Foot : niveau provocation, Stéphane Ruffier n'est qu'un petit joueur
Les propos du gardien de Saint-Etienne contre un joueur du club amateur de Raon-L'Etape, ce week-end, font scandale. On a pourtant entendu nettement pire sur un terrain de foot. La preuve en cinq points.
"Guignol, rentre chez toi ! N'oublie pas de me regarder le jeudi en Europa League." La phrase de Stéphane Ruffier, gardien de l'AS Saint-Etienne, à l'adresse d'un attaquant de l'équipe amateur de Raon-l'Etape (Vosges), dimanche 3 janvier en 32e de finale de la Coupe de France, suscite l'indignation sur les réseaux sociaux. Faut-il pour autant faire le procès du portier stéphanois ? Certes, ses relations avec les médias sont compliquées. Certes, il a un passif en matière de provocation. Mais ses propos n'entreront jamais dans le panthéon de la provoc' en crampons. La preuve en cinq points.
1"La provocation fera toujours partie du jeu"
"Vous croyez quoi ? Que les footballeurs se disent 'bonjour, comment allez-vous ?' sur le terrain ?" s'amuse John McEnroe, le tennisman qui a élevé le trash talking (le langage ordurier) au rang d'art. La différence avec la petite balle jaune, c'est que les micros ne rapportent pas tout ce que les joueurs se disent. Ce n'est pas faute d'essayer : des chaînes ont même embauché des spécialistes de la lecture labiale. La déclinaison allemande de Sky Sports a ainsi montré, en 2007, que le gardien de Dortmund, Roman Weidenfeller, avait traité l'attaquant de Schalke 04 Gerald Asamoah de "cochon noir", rappelle Die Welt (en allemand). Weidenfeller a écopé de trois matchs de suspension, et les joueurs ont retenu la leçon : ils sont de plus en plus nombreux à s'exprimer en se cachant la bouche avec la main. "Cela fera toujours partie du jeu, déplorait en 1999 Dave Bassett dans le Guardian (en anglais). Lequel sait de quoi il parle, puisqu'il a dirigé l'équipe la plus violente d'Angleterre, le "crazy gang" de Wimbledon, dans les années 1980.
2"Tout peut être exploité"
"Un peu de provoc sur la sexualité de l'adversaire peut toujours marcher. On peut tomber sur un joueur qui vient de se faire lourder, qui a une sexualité bizarre. Tout peut être exploité", poursuit Dave Bassett. Un exemple resté tristement célèbre. En 1999, l'Anglais Graeme Le Saux s'apprête à tirer un coup franc pour Chelsea, quand l'attaquant de Liverpool Robbie Fowler se poste à côté de lui, montre ses fesses et lui dit : "Viens ici me la mettre dans le cul." Le Saux, réputé –à tort– homosexuel dans le milieu du foot, explose de rage et donne un coup de coude à Fowler. L'arbitre, qui n'a rien vu de l'action, finit par donner un carton jaune... à Le Saux, lui reprochant d'avoir cherché à gagner du temps. "Le football a manqué l'occasion de marquer le coup ce jour-là, écrira Le Saux dans son autobiographie. Les gestes homophobes n'auraient plus été tolérés."
Parmi les provocations les plus efficaces, celle de s'en prendre à la famille est très prisée. On passera sur l'exemple du coup de boule de Zidane sur Materazzi en finale du Mondial 2006, où tout a été dit, sauf la phrase exacte du défenseur italien sur la sœur et la mère du meneur de jeu des Bleus. Autre cible facile, le physique. John Kay, défenseur de Wimbledon surnommé "le tracteur", avait réussi à mettre hors de lui le joueur de Liverpool Phil Thompson, "qui avait un sacré tarin", raconte l'entraîneur Harry Redknapp dans son livre A man walks on to a pitch (en anglais). Sur un corner, Kay s'est approché de lui et a glissé : "Même Walt Disney n'arriverait pas à dessiner ta tête de con." "Connaissant Phil Thompson, le coup de coude n'a pas tardé", commente Redknapp.
L'ennemi public n°1 du football mondial, le Brésilien naturalisé espagnol Diego Costa, est un adepte des provocations en tout genre, y compris sur la couleur de peau de son adversaire. Quand il jouait dans le championnat espagnol, il avait fait péter les plombs à un adversaire sévillan, le Français Geoffrey Kondogbia. Ce dernier l'accuse d'avoir imité le cri du singe à chaque fois qu'il passait à proximité. Rien n'a pu être prouvé contre Costa, qui demeure le meilleur pour faire sortir de ses gonds un adversaire. "Quand je rentre chez moi, je peux m'endormir paisiblement en sachant que je n'ai rien fait de mal", confie l'attaquant au magazine FourFourTwo. La preuve, poursuit-il, sa dernière expulsion remonte à... 2012.
3Mépriser ou intimider son adversaire, "ce n'est pas quelque chose de mal"
En matière de condescendance, le grand classique de la provocation consiste à demander à un joueur moins huppé de se retourner pour montrer son nom inscrit sur le maillot. Une spécialité du défenseur du Real Madrid Sergio Ramos, qui ne passe pas pour être un poète. Zlatan Ibrahimovic a tenté la même chose lors d'un match contre Saint-Etienne, en regardant ostensiblement le numéro du défenseur Paul Baysse, qui lui a rendu la pareille. Le "Z" ne s'y attendait pas et toute son attitude respire l'incrédulité. "C'est un chambreur et ça fait partie du jeu, commente le défenseur stéphanois. Mais c'est plus facile pour lui de chambrer quand il gagne. Il ne se serait pas amusé à faire ça en perdant 1-0. Je ne me laisse pas faire, mais je ne prête pas attention à ça."
Il y a consensus sur le fait que les gardiens sont moins impliqués dans la guerre de mots. Sauf lors des séances de tirs au but. Tim Krul, le gardien néerlandais, a dû s'expliquer dans les médias après la séance victorieuse de son équipe en quarts de finale de la Coupe du monde, en 2014, face au Costa Rica. "Je ne pense pas avoir fait quelque chose de mal. Je ne leur ai pas crié dessus agressivement. Je leur ai juste dit que je savais où ils allaient tirer leur penalty." Technique payante : il a stoppé le tir au but décisif.
4Tout n'est pas à prendre au premier degré
Le mieux est encore d'avoir un peu de répartie, comme l'Argentin Lionel Messi, régulièrement pris pour cible. En témoigne cette réplique à Pepe, le défenseur survolté du Real Madrid, qui lui lance : "Tu fais toujours de la merde contre moi !" raconte Sport.es (en espagnol). "Je marque toujours contre toi, lui rétorque Messi. Tu devrais me remercier : c'est grâce à moi que tu es sur les photos dans les journaux le lendemain du match."
Même Diego Costa peut arguer d'un exemple en sa faveur, lors d'un fameux derby de Madrid entre l'Atletico et le Real. Son adversaire direct : Sergio Ramos. Les deux hommes échangent des "carajo" –on traduira poliment par "tête de nœud"– pendant toute la rencontre et se rendent coup pour coup. Avant qu'à la fin du match, Ramos lui demande... où en est sa demande de naturalisation pour évoluer avec l'équipe d'Espagne. "Quand est-ce que tu nous rejoins ?" Signe qu'il y a beaucoup d'esbroufe et pas tant de méchanceté une fois la fin du match sifflée.
5C'était pire avant
Autre signe encourageant, les joueurs sont nettement plus polis depuis quelques décennies, à en croire l'Allemand Friedhelm Funkel, qui a porté les couleurs de l'Eintracht Frankfort de 1974 à 1990 : "A l'époque, le langage était plus cru, raconte-t-il au magazine Stern (en allemand). L'époque n'était pas aussi sensible."
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.