Guy Roux : "Entraîner, ça s'est fait naturellement, j'avais envie de m'occuper des autres"
Dans ses mémoires, parues mercredi, le mythique entraîneur au bonnet se confie sur sa vie bourguignonne et son indéfectible amour pour son club de l'AJ Auxerre. Franceinfo: sport a profité de cette occasion pour s'entretenir avec ce personnage populaire et attachant, qui se livre sans détour.
Personnage emblématique et incontournable du football français, Guy Roux a encore des choses à dire et à partager. A 82 ans, le légendaire entraîneur de l'AJ Auxerre se livre dans Confidences (éd. Talent Sport), un ouvrage sorti mercredi 19 mai et dans lequel l'homme au(x) fameux bonnet(s) revient sur sa passion pour le ballon rond. L'occasion de l'interroger sur son parcours si atypique et ces quelque 45 années passées sur le banc de l'AJA.
Franceinfo: sport : quels sont vos premiers souvenirs de vous jouant au football ?
Guy Roux : On jouait dans la cour d'un notaire de mon village. Il y avait deux marronniers et on avait accroché une ficelle qui faisait office de barre transversale. On se retrouvait à cinq ou six. On jouait des heures et des heures.
A 21 ans, le président de l'AJ Auxerre vous a proposé de rejoindre le club en tant que joueur. Vous avez accepté à la condition d'être entraîneur-joueur. Pourquoi cette volonté d'entraîner aussi tôt ?
C'est dans mon caractère, je pense. J'étais déjà le chef de classe à l'école communale. Quand on jouait, je faisais souvent les équipes. A 13 ans, on m'a offert un livre sur l'entraînement au football, je l'ai appris par cœur et j'ai ensuite mis cela en application. Ça s'est fait naturellement. J'avais envie de m'occuper des autres.
Vous avez eu plus de 600 joueurs sous vos ordres. Vous racontez votre lien avec eux dans votre livre. On apprend notamment que vous étiez aux petits soins. Par exemple, vous vérifiiez les repas en cuisine, vous leur apportiez une tisane la veille des matchs...
Absolument. Déjà, la diététique est absolument nécessaire chez les sportifs de haut niveau, et je veillais à cela. Je n'étais pas dans un club où on pouvait embaucher une personne pour chaque nouvelle mission qu'on jugeait utile. Donc je m'en occupais. Je commandais les repas et je vérifiais que tout était en ordre avec ce qu'on avait demandé. Et la tisane est connue pour ses bienfaits pour guérir les petits maux comme une douleur dans la gorge ou des insomnies. Les veilles de match, nous étions toujours rassemblés dans un hôtel, et comme je me faisais une tisane pour moi, je leur en faisais aussi une pour eux.
Vous décrivez aussi vos fameuses mises au vert, que vous pratiquez toujours. Vous écrivez "On devait être la seule équipe à manger des champignons avant un match de Coupe d'Europe, à se promener et à partager des moments autour de la cheminée". Ces mises au vert étaient votre recette de la victoire ?
A 100 km d'Auxerre, il y a une montagne qui s'appelle le Morvan. Et à 600 m d'altitude, il y avait une auberge où nous faisions ces mises au vert. Quand on isole un groupe, on le solidifie. Ces moments permettent les échanges. Quand on est en ville, qu'on descend de la voiture, qu'on va au vestiaire, qu'on joue et qu'on repart aussi vite, on ne se voit plus. Là, ils étaient ensemble depuis la veille ou l'avant veille. C'est comme cela qu'on crée un groupe très solide, capable aussi de détruire les peurs qu'ils pouvaient avoir sur leurs adversaires, même les plus impressionnants. C'est pour cela que j'ai beaucoup utilisé ces mises au vert.
Vous vous confiez aussi sur vos superstitions, dont une assez intrigante. Vous racontez le jour où, lors de la saison 1995-1996, un homme vous appelle et vous affirme qu'il fait gagner les équipes qu'il soutient et qu'il peut faire gagner l'AJA. Il sait déjà que le PSG, qui doit jouer la semaine suivante, va perdre cinq points sur les deux prochains matchs. Cette histoire est improbable, pourtant vous y avez cru tout de suite ?
Oui, je ne risquais pas grand-chose. Quand j'ai eu cet homme au téléphone, il m'a dit : "Le PSG joue deux matchs la semaine prochaine, deux matchs faciles qui plus est, mais vous allez voir, ils vont perdre cinq points en chemin." En effet, ils les ont perdus. Et nous, on a commencé à remonter [l'AJA sera finalement sacrée championne de France pour la seule et unique fois de son histoire cette saison là].
La démonstration étant faite, j'ai été d'accord pour jouer le coup jusqu'au bout. Je n'ai pas joué ma chemise ou mes chaussettes, mais j'ai joué la somme que j'aurais pu jouer aux courses si j'avais été un joueur. Cette réussite fabuleuse que nous avons eue reste une très grande énigme pour moi. On rencontre parfois des gens qui savent dominer les esprits. Chacun peut se faire sa propre opinion. On est restés en contact pendant deux ans et, ensuite, on est restés bons amis.
Vous évoquez également votre premier départ du banc de l'AJA, au printemps 2000, car vous êtes "usé". Mais ce départ a été dur pour vous. Vous dîtes avoir "végété", "dû pousser les murs pour installer" votre bureau et que vous flottiez "à côté du fonctionnement du club".
Oui, mais je ne regrette pas de m'être arrêté. Le mot n'existait pas à l'époque mais j'ai fait un burn-out. Je ne supportais même plus d'aller au stade les jours de match. C'était terrible, je ne pouvais pas continuer. En m'arrêtant une année, j'ai rechargé les batteries et j'ai pu continuer [Guy Roux est redevenu l'entraîneur d'Auxerre dès l'année suivante et jusqu'en 2005].
En 2007, alors que vous n'êtes plus entraîneur, le club vous "met dehors"...
Oui, c'était inattendu. J'essayais vraiment de ne pas gêner l'entraîneur en place. J'avais émigré au centre de formation à 500 mètres de là. Je ne venais jamais au stade, sauf les jours de match, et je me cachais dans la tribune en face. Je ne rencontrais pas les joueurs. Mais certains ont voulu diviser pour mieux régner et voilà ce qu'il s'est passé.
A propos de votre expérience ratée à Lens, vous écrivez : "Peut-être que je n'étais pas fait pour aller ailleurs qu'à l'AJA". Auxerre avait donc quelque chose de différent des autres clubs ?
Oui, et je m'en suis aperçu après. Je suis allé à Lens, le meilleur club en France, avec une valeur morale certaine et sans faille, et un président très droit et très compétent. J'ai donc cru que ça irait tout seul. En réalité, il y avait une différence. A Auxerre, si vous comparez le club de foot à une voiture de course, je choisissais la voiture, je la montrais à mes dirigeants, qui validaient ou demandaient des ajustements, et ensuite je la faisais rouler. Autrement dit, je faisais jouer les matchs et le championnat. Mais à Lens, c'est le système de nombreux clubs français, comme à Lyon, qui était en place. Avec un conseil d'administration et un président qui choisissaient la voiture et vous la donnaient à conduire. Et ce n'est vraiment pas pareil. Je ne l'avais pas deviné avant, et tant pis pour moi.
Vous revenez aussi sur un trait de caractère dont les Guignols de Canal+ se sont beaucoup amusés à votre sujet : le grippe-sou. Vous dites ne jamais avoir été affecté par ce surnom, bien au contraire.
Oui, ça a provoqué chez moi un nouveau métier, qui est acteur publicitaire. Devenir acteur avec des metteurs en scène de qualité a été une partie très importante de ma vie car j'ai fait une vingtaine de publicités. Je ne regrette pas du tout les sketchs des Guignols, et c'est finalement grâce à eux que j'ai pu être connu.
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