Foot : de jeune patron de PME à président emblématique de l'OL, Jean-Michel Aulas l'infatigable bâtisseur
Cinq mois après la vente de l'Olympique lyonnais au millionnaire américain John Textor le 19 décembre, Jean-Michel Aulas a quitté son poste de PDG du club rhodanien, après 36 ans passés à sa tête, a annoncé le club lundi 8 mai. Jean-Michel Aulas, 74 ans, devait pourtant rester président exécutif pour un contrat de trois ans après le rachat de l'OL. Toutefois, des divergences de point de vue quant à la politique sportive à mener sont vite apparues entre Jean-Michel Aulas et l'équipe de l'investisseur américain.
S'il sera nommé Président d’honneur, celui que l'on surnomme "JMA", laisse derrière lui plus qu'un club. L'OL est le bébé d'Aulas. L'entrepreneur a fait d'une structure criblée de dettes, croupissant en deuxième division, une place forte du football français, triomphante dans les années 2000, qui compte aujourd'hui sur la scène européenne.
L'histoire de Jean-Michel Aulas à l'Olympique lyonnais se place entre le heureux hasard et l'art du contre-pied. Il n'est, dans les années 80, qu'un jeune patron de PME du coin, spécialisé dans les logiciels de gestion. C'est ce costume de businessman qui lui ouvre les portes du monde du sport, avec un chaperon tout désigné, nommé Bernard Tapie.
Entre "Ma petite entreprise" et "L'homme pressé"
Le Rhodanien pur souche n'est pas du sérail footballistique. Un temps, il a espéré faire carrière dans le handball. Mais il se montre ambitieux dès son arrivée à son nouveau poste en juin 1987 : il veut découvrir l'Europe en trois saisons. Il n'en aura besoin que d'une supplémentaire pour atteindre son but, après être remonté de D2.
"Ça avait fait sourire parce que dans le foot, on a le droit d’être ambitieux, mais on n’a pas le droit de se tromper de trop parce qu’on attire les sarcasmes, la jalousie, évoquait-il dans l'émission Téléfoot, le 19 juin dernier. J’arrivais et je n’avais pas le palmarès qui permettait d’être crédible. Il fallait le construire."
Pour cela, Aulas impose une révolution dans le football français et contribue à le faire basculer dans l'ère du foot-business. Le président de l'OL structure son club comme il structure ses entreprises, étape par étape. Il diversifie les revenus que génère Lyon, crée une holding pour en gérer l'exploitation avant de la coter en bourse en février 2007. Puis, il devient propriétaire de son stade avec des fonds privés, une rareté en France.
"Je voulais rappeler la primauté de l'économique sur le sportif, exposait-il dès 2005 dans un portrait tiré par Libération. Pour avoir la meilleure équipe, il faut une structure d'entreprise forte. J'ai pris le risque de l'exprimer."
Le dirigeant va bien plus loin qu'être le garant du livre de comptes du club. On ne naît pas fils d'une professeure de maths sans en garder quelques traces. Il en est aussi le directeur de sa ligne de conduite sportive, tenue d'une main de fer avec son bras droit et "conseiller" de toujours, Bernard Lacombe.
Jean-Michel Aulas est un homme de projets, qui aime s'entourer de fidèles alliés dans la durée. C'est aussi avec ce cap que se bâtit sa vision de la gestion sportive : être performant oui, mais aussi faire du profit pour rendre l'institution viable et pérenne.
L'hégémonie de la décennie 2000
Cette gestion entrepreneuriale du football fait grincer quelques dents, mais elle fonctionne. L'OL devient un club qui compte dans les années 90, et se donne les moyens – ceux notamment du groupe Pathé – de devenir une entité qui gagne dans la décennie suivante.
Les investissements sur le marché des transferts sont ciblés, à l'image de la signature de l'attaquant brésilien Sonny Anderson en juin 1999. L'arrivée du Brésilien, ancienne star de l'OM ou Monaco passée par le FC Barcelone, hisse l'Olympique lyonnais vers de nouveaux sommets. Le rêve de titre de Jean-Michel Aulas est exaucé. Et sept fois de suite, entre 2002 et 2008, un palmarès auquel s'ajoute une Coupe de France en 2008.
Avec une ossature de joueurs tricolores ou habitués de Ligue 1, et les très bonnes trouvailles de sa cellule de recrutement au Brésil (Juninho, Caçapa, Cris…), Lyon s'impose comme le nouveau patron du foot français, "JMA" comme un de ses personnages les plus incontournables.
Pour continuer à faire partie du gratin sans dépenser des millions à tout va, Jean-Michel Aulas s'appuie sur le maillage local pour trouver les jeunes talents de demain. Le centre de formation lyonnais devient la référence nationale et un des plus importants d'Europe : de Sidney Govou à Rayan Cherki, en passant par la génération dorée Karim Benzema–Hatem Ben Arfa, ou encore celle de Nabil Fekir, Samuel Umtiti et Corentin Tolisso...
Nombreux sont ceux qui font leurs gammes à Tola Vologe, puis dans le nouveau centre flambant neuf situé à Décines, à côté du Groupama Stadium. Un bon moyen là aussi d'assurer l'avenir du club et de son tiroir-caisse, avec des ventes importantes.
Communication, section féminine : Aulas, cœur de Lyon
Cette politique d'économies et l'émergence de nouvelles puissances en Ligue 1, grâce à l'apport de capitaux étrangers, a fait reculer Lyon dans la hiérarchie et l'a éloigné de son rêve d'Europe. Après être resté bloqué aux portes de la finale de la Ligue des champions en 2010, puis (à la surprise générale) en 2020, le club rhodanien vient d'enchaîner une troisième saison sans participer à la C1.
Mais, dans le même temps, Jean-Michel Aulas s'est fait précurseur en investissant financièrement et personnellement dans son équipe féminine. Mêmes recettes, conséquences plus grandes encore. Son OL est devenu un modèle de domination, ce qui se fait de mieux sur la scène nationale, glanant 15 des 16 derniers titres de champion de France, et sur la scène continentale, un record de huit sacres en Ligue des champions depuis 2011, dont la dernière édition en date (2022).
Et quand les choses se passent moins bien, Jean-Michel Aulas ne fuit pas le terrain. Gare à celui qui voudrait toucher à l'institution OL. C'est lui, en personne, qui a pris l'habitude de monter au créneau, en jouant très (parfois trop) offensif, quitte à incarner les paratonnerres.
Ses déclarations contre l'arbitrage, ses saillies sur Twitter, ou encore ses punchlines contre le voisin honni Saint-Etienne, contre les journalistes ou encore l'état de la pelouse… Tout est prétexte à exprimer sa haine farouche de la défaite. "Des fois, j’ai forcé le trait pour être écouté et entendu, mais il est vrai aussi que je ne calcule pas. Quand j’ai l’intime conviction qu’il faut faire quelque chose, je suis capable de défendre mes joueurs et joueuses", confiait-il à Téléfoot le 19 juin.
En 2021, son envie farouche de voir la Ligue 1 reprendre après la pause contrainte par le Covid-19 et le confinement, alors que son club se retrouvait 7e et privé de coupes d'Europe, avait fini par irriter une large partie du foot français.
"Dans le football, nous tenons notre Líder máximo, prêt à bondir sur un virus dévastateur pour occulter la saison difficile de son club en Ligue 1, publiait Jacques-Henri Eyraud, alors président de l'Olympique de Marseille, dans une tribune au JDD, faisant référence à l'ancien dirigeant cubain Fidel Castro. Nous connaissons la volonté obsessionnelle de Jean-Michel Aulas de défendre l'OL par tous les moyens."
C'est une autre facette - qui a plus d'une fois eu tendance à agacer le monde du football français - de son amour passionnel, sa fusion même avec l'OL, parfois au-delà du bon sens. A 74 ans, Jean-Michel Aulas passe la main, pour de bon cette fois, et après l'avoir mené à bon port pendant tant d'années.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.