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"Le stade, c'est ma deuxième maison" : après quatre mois sans foot, les supporters en manque pas emballés par la reprise

Article rédigé par Pierre Godon
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 13min
Les supporters respectent la distanciation sociale lors d'un match amical Le Havre-PSG, le 12 juillet 2020 au Stade Océane du Havre (Seine-Maritime). (ANNE-CHRISTINE POUJOULAT / AFP)

Les finales de Coupe de France, vendredi, et de Coupe de la Ligue, le 31 juillet, sonnent l'heure de la reprise du foot pro dans l'Hexagone. Le Stade de France n'accueillera cependant que 5 000 spectateurs pour ces deux rencontres, normes sanitaires obligent.

"Cette finale, j'hésite même à la regarder". On ne peut pas douter de l'amour de Cédric pour l'AS Saint-Etienne, opposé en finale de la Coupe de France au PSG, vendredi 24 juillet. Môme, dans les Ardennes, il ne se séparait jamais de son maillot vert avec le gros sponsor KB Jardin. Quelques années plus tard, le samedi soir dans les boums, c'est tout juste s'il consentait à ôter son Walkman pour les slows. Forcément, ses protégés en décousaient sur le rectangle vert et le seul moyen de les suivre hors du stade, c'était la radio.

Aujourd'hui installé en Nouvelle-Aquitaine, il enquille les kilomètres et les factures de péage pour assouvir sa passion. Mais pas cette fois. La reprise du foot professionnel en France se fait sans lui, dans un Stade de France désert, avec en théorie 5 000 spectateurs et 75 000 sièges vides, normes sanitaires obligent. Le club stéphanois a même renoncé à commercialiser ses tickets, devant la fronde de ses supporters. C'est donc ça, le foot du "monde d'après" ?

"Le foot, ça ne peut pas s'arrêter". Nous sommes début mars, la France découvre que le coronavirus est en train de faire étape dans l'Hexagone après un passage en Chine et en Italie, pour résumer. Et Basile Brigandet, groundhopper de son état (on pourrait traduire par "collectionneur de stades" mais le terme est relativement intraduisible), ne s'en fait pas plus que ça. Celui qui a assisté à 106 matchs l'an passé s'est fixé l'objectif de voir au moins une rencontre dans 12 pays. Soit un match par mois. Il est en avance sur son tableau, avec cinq pays en à peine plus de deux mois.

"Je comptais les jours"

Le week-end du 15 mars, il planifie son retour dans sa famille, à Troyes (Aube). "D'habitude, je ne reviens que pour les trêves internationales, raconte celui qui planifie trois mois à l'avance ses nombreux déplacements. Cette fois, je devais voter aux municipales et je pensais en profiter pour assister à Auxerre-Lens, pas très loin." Sauf que le samedi 14, Edouard Philippe annonce le confinement à effet quasi immédiat. Rideau sur le foot. "J'avais pris une valise pour trois jours... Je suis resté trois mois."

Pour les quelques millions de supporters qui suivent la Ligue 1 tous les week-ends, le coup est rude. Pour ceux dont la vie tourne autour du foot, c'est même carrément un monde qui s'effondre. "Chaque matin, je comptais les jours", raconte Loïc Durand, plus connu sous le surnom de "Perfettu", l'infatigable supporter de l'AC Ajaccio en déplacement, qui sillonne la France au volant d'une 106 antédiluvienne qui ferait passer la 403 de Columbo pour une Formule 1.

Au début, je pensais quand même faire les déplacements, même si les matchs se jouaient à huis clos, en soutenant l'ACA sur le parking...

Loïc Durand, dit "Perfettu", supporter de l'AC Ajaccio

à franceinfo

La solution du huis clos, expérimentée lors d'un sinistre Lens-Orléans, puis au cours d'un surréaliste PSG-Dortmund où les joueurs parisiens ont pris un bain de foule sur le parvis du Parc des Princes, est rapidement abandonnée. Les différents championnats s'arrêtent, et ne reprendront pas. "J'errais chez moi, à ne pas savoir quoi faire. Chaque vendredi, je me disais : 'Là, je devrais être à Rodez..'. Et je passais la journée à 'bader'." 

Déprime et châtiment

Ce ne sont pas les rediffusions sur les chaînes sportives, la mise en ligne des images glorieuses de leur histoire par les clubs ou les trépignements de Jean-Michel Aulas implorant pour la reprise du championnat, seul contre tous, qui ont comblé le manque. "Mon fils, ça lui a fait mal. Moi, ça m'a fait bizarre", avance Patrick Noé, abonné au Parc des Princes depuis 1986, qui insiste sur une différence d'attitude selon les générations. "Ça a fait du bien au porte-monnaie", ironise Sacha, vice-président du groupe de supporters lyonnais HexaGones.

Certains ont même découvert une vie sans ballon rond qui ne manquait finalement pas de saveur. "A ma grande surprise, le foot ne m'a pas vraiment manqué. Pas le sport en tout cas, confie Nicolas Georges, quinze ans à se ruiner les cordes vocales au Vélodrome, qui a utilisé son temps libre à rattraper documentaires et séries qu'il avait "toujours voulu voir". Et pourtant, ce dernier participe à un podcast sur l'OM... "Ce qui m'a manqué, c'est le côté social autour : les copains, l'apéro devant le stade, les matchs à l'extérieur au bar... Le foot en lui-même m'a peu, voire pas manqué. J'ai eu un petit pincement au cœur à l'annonce de l'annulation de l'Euro mais, là encore, c'était plus la perspective d'une grande fête qui s'évaporait."

La reprise progressive des autres championnats, avec ces matchs à huis clos mâtinés de spectateurs incrustés en 3D façon Fifa 98 et ces chants de supporters diffusés comme les rires enregistrés dans les sitcoms ? Un pâle ersatz de l'émotion suscitée par la présence au stade. "Glauque, tranche même Nicolas Georges, notre Marseillais en plein questionnement. Ça m'a plus déprimé qu'autre chose et mis en exergue l'incongruité de 22 gars qui se battent pour un ballon sans le truc culturel autour." 

Pas sûr que le témoignage de Basile, notre groundhopper, lui donne envie de revenir au stade de sitôt. Car si la France (pas que celle du foot) a vu l'état d'urgence sanitaire prendre fin le 11 juillet, outre-Quiévrain les premiers matchs avec public se sont déroulés une semaine plus tôt. Dès le 4 juillet, il a pris la route avec une demi-douzaine d'autres accros, direction la grande banlieue de Bruges, où se déroule un KFC Varsenare - KV Ostende (score final 0-7, plusieurs divisions séparant les deux équipes). "Un stade champêtre, sans tribunes, entouré de chaises de jardin séparées d'un mètre, avec interdiction de se mettre debout", décrit notre globe-trotter. "On était très encadrés par la sécurité. Il faut dire que c'était le premier match accueillant du public en Europe de l'Ouest. Il y avait pas moins de 11 caméras pour suivre le match."

Loïc "Perfettu" Durand, lui, a choisi de renouer avec le ballon rond en suivant les pérégrinations de son ACA dans le Sud-Ouest. D'abord à Saint-Gaudens (cinq heures de route), puis à Bayonne (trois heures de plus), non sans avoir entretenu sa 106 pendant le confinement. "Elle a économisé 10 000 km, peut-être six mois de vie. Mais je veillais à la faire démarrer de temps en temps pour éviter que la batterie se vide. Et la veille du premier déplacement, j'ai pris rendez-vous au garage pour refaire le niveau d'huile et la pression des pneus".

Celui qui publie à la fin de chaque saison un très commenté classement des buvettes risque de déchanter. Epidémie oblige, les frites ont moins la cote que le paquet de chips sous vide. "C'est tout ce qu'ils proposaient pour le match Dunkerque-Reims au Touquet", abonde Basile Brigandet. "Et je viens de recevoir un mail m'indiquant qu'il n'y aurait pas de buvette pour le match amical Saint-Brieuc-Brest où je me rends ce week-end." Loïc Durand publie aussi un classement des toilettes de L2 (si, si) et voit un motif d'espoir dans la vague d'hygiénisme généralisé dû à la pandémie : "Si ça peut convaincre les responsables de stade de nettoyer un peu mieux et un peu plus souvent leurs sanitaires, ça aura au moins servi à quelque chose..."

Jauge minimale, émotions au rabais

On saura fin juillet si la jauge, pour l'instant bloquée à 5 000 places, va être réévaluée, permettant aux stades de sonner un peu moins creux. Vu les indicateurs épidémiques à la hausse publiés récemment, une certaine inquiétude règne parmi les aficionados. "Le stade me manque. C'est ma deuxième maison, j'ai hâte d'y retourner", glisse Nicolas Georges, qui ne fera pas n'importe quoi pour autant : "Je pense rester légaliste et raisonnable. Jusqu'à ce que les autorités décident que les stades peuvent être ouverts normalement et sans risque, je ne m'imagine pas trop y retourner." Du côté des HexaGones, le groupe de supporters lyonnais spécialisé dans les déplacements, on grimace d'avance : "On ne va pas se mentir, on ne voit rien du match depuis le parcage, et quand on va à Brest, par exemple, c'est pas pour l'amour du jeu pratiqué en L1", soupire Sacha, le vice-président de l'association.

Les déplacements, c'est l'occasion de picoler, de voyager, de visiter des villes entre copains. Mais les préfets, qui délivrent des interdictions pour des raisons farfelues, vont sauter sur l'occasion en invoquant le risque sanitaire. Je ne pense pas qu'on pourra faire un déplacement avant la phase retour, au mieux.

Sacha, vice-président du groupe de supporters lyonnais HexaGones

à franceinfo

Beaucoup, dans ces circonstances difficiles, ont tenu à matérialiser leur attachement à leur club de prédilection. "Je n'ai pas hésité une seconde avant de me réabonner, insiste le Parisien Patrick Noé, soulignant le beau geste du PSG, qui n'a pas débité ses abonnés en attendant d'en savoir plus sur les conditions de reprise. D'autres années, j'ai tergiversé, oui, mais pas cette fois. Et s'il faut aller au stade en respectant les gestes barrières, séparé d'un siège de son voisin, et un match sur trois pour cause de jauge maximale, on ira."

Une position que ne partage pas tout à fait Philippe Wolff, président de la fédération des supporters du RC Strasbourg, une autre région fortement touchée par l'épidémie. "Je vais me réabonner, bien sûr, j'ai un lien affectif fort avec le club. Mais vais-je aller au stade à chaque fois dans ces conditions ? Nous avons un local situé à deux pas du stade, où on peut regarder les matchs et accueillir un peu de monde. Si l'ambiance y est meilleure, c'est là que je passerai mes samedis soir." 

"Si ça dure dix ans..."

Comme à la Meinau, il n'est pas rare qu'à Saint-Etienne, le public pousse une équipe moyenne à se surpasser. Les statistiques montrent d'ailleurs que l'avantage de recevoir disparaît purement et simplement quand la rencontre se déroule à huis clos, et on imagine que devant une jauge réduite, ce sera du pareil au même. "J'ai vécu dans le Kop Nord des choses inégalables, insiste Cédric, l'un des cofondateurs du site Poteaux carrés. Tu entres en communion avec des mecs avec lesquels tu te serais peut-être pris le bec dans d'autres circonstances. L'année où on est remontés en L1 [2004], on devait battre Châteauroux à la dernière journée pour être champions. On joue la 85e. Dans l'autre match, Caen s'est imposé et nous dépasse virtuellement. Arrive le plus bel embrasement de tribune que j'aie jamais connu, quand le défenseur Damien Bridonneau marque d'une reprise de volée le but du titre. Pour moi, la plus grande contribution d'un public à la victoire de son équipe. Tu ne peux pas revivre ça avec seulement 5 000 personnes dans le stade."

Dans d'autres régions où l'on regarde le virus de plus loin, ces restrictions paraissent excessives. Comme à Orléans, dernier de L2 relégué en National, où Vincent James n'a qu'une envie, "retourner au stade de La Source à côté de mes potes, sans masque". Ce commercial dans le civil anime l'hilarante émission d'après-match "Le Petit Ballon Jaune", où il n'est pas rare de le voir interviewer des quidams sur les marchés au sujet des exploits (ou pas) de l'USO. "Après la mise en ligne de mon premier micro-trottoir post-confinement sans masque, je pensais me faire clasher sur internet... mais il n'y a pas eu de réactions." C'est peut-être aussi parce qu'une équipe qui a gagné seulement quatre de ses 28 matchs de Ligue 2, ça ne passionne pas les foules ? "Vous rigolez ? Les matchs contre Bourg-en-Bresse ou le Stade briochin la saison prochaine [en National 1], ça m'excite grave."

La passion est toujours là. Mais pour combien de temps ? Les supporters interrogés se sont dits prêts à faire des efforts... pour une période déterminée, qui dépendra du délai nécessaire à la mise au point d'un vaccin. "Si ça dure dix ans, regrette Patrick Noé, c'est clair que je finirai par ne plus regarder les matchs que sur mon canapé." 

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