Ligue 1 : "Pour un club comme Lyon, être en Ligue 2 serait une catastrophe", redoute un économiste du CNRS
L'Olympique lyonnais plongé dans la tourmente. Au lendemain de la décision de la Direction nationale du contrôle de gestion (DNCG) de "rétrograder à titre conservatoire" le club rhodanien, vendredi 15 novembre, de nombreuses questions se posent sur l'avenir de l'un des plus grands clubs du championnat de France. Quelles solutions s'offrent désormais à John Textor, le propriétaire américain arrivé à la tête de l'OL en 2022 ? Comment éviter la chute d'un monument du foot tricolore ? Pour franceinfo: sport, Luc Arrondel, chercheur au CNRS (Centre national de la recherche scientifique), économiste, et coauteur du livre L'argent du football (avec Richard Duhautois) donne des premiers éléments de réponse.
franceinfo: sport : En quoi la situation actuelle de l'Olympique lyonnais est-elle si grave ?
Luc Arrondel : La DNCG a décidé de trois mesures : l'interdiction de recrutement, l'encadrement de la masse salariale et la relégation à titre conservatoire. Ainsi, si l'OL ne donne pas de garantie financière avant la fin de la saison, le club sera relégué en Ligue 2 l'année prochaine. Cette décision est liée aux problèmes financiers du club, qui ont été rendus publics, la semaine dernière, dans le dernier bilan. Pour un club comme Lyon, être en Ligue 2 serait une catastrophe. Le modèle économique de Lyon implique quand même de se qualifier pour la Ligue des champions de manière régulière.
"Il y a un gouffre financier entre les budgets de Ligue 1 (autour de 2 milliards au global pour les 20 clubs) et de Ligue 2 (entre 400 000 et 500 000 euros), ce qui remet en question le modèle économique du club."
Luc Arrondel, chercheur au CNRS, économisteà franceinfo: sport
Pourquoi la DNCG a-t-elle pris une telle décision ?
Quand on regarde le bilan, il y a deux indices de solvabilité. La solvabilité de trésorerie d'abord, autrement dit est-ce que le club génère suffisamment de revenus pour pallier ses dépenses ? Sur le dernier bilan, l'OL a un déficit d'environ 30 millions, si on ne prend pas en considération les amortissements [de l'achat des joueurs qui se règle sur plusieurs saisons et qui s'intègre donc dans le bilan comptable sur plusieurs années]..
Le deuxième indice est l'insolvabilité de bilan, qui permet de savoir si le club est solvable, c'est-à-dire si le propriétaire peut subvenir à son endettement. Ces dernières années, il y a eu une vente de plusieurs actifs. Ils ont vendu leur équipe féminine, leur franchise américaine et leur Arena. De l'autre côté, il y a eu aussi une baisse des fonds propres liée au rachat des actions de Jean-Michel Aulas, avec parallèlement, une augmentation de l'endettement qui est à hauteur de 500 millions d'euros.
Ainsi, les actifs ne couvrent pas le passif. Et je pense que c'est davantage cette insolvabilité de bilan qu'a considérée la DNCG. Le club n'est donc "pas solvable". C'est pour cette raison que la DNCG a statué sur cette "relégation à titre confiscatoire". Maintenant, charge au propriétaire Jean-Textor, d'apporter de la trésorerie et des garanties financières pour assurer la survie financière du club.
Dans ce contexte, quelles sont les solutions pour Lyon ?
Le plan présenté par l'OL est la vente de joueurs au sein du groupe auquel appartient Lyon, Eagle Football Group, avant décembre. Ce dernier possède plusieurs clubs de foot comme Crystal Palace (Angleterre), Botafogo (Brésil), Molenbeek (Belgique), et un centre de formation. Il y a aussi la vente de joueurs au mercato d'hiver et la vente de ses parts de Crystal Palace. Enfin, l'introduction de la Holding Eagle à la bourse de New York est aussi mise sur la table pour essayer de recapitaliser le groupe.
Mais avec la décision de la DNCG, qui est plutôt négative, cela va être plus compliqué pour l'OL de trouver de nouveaux investisseurs et de vendre ses joueurs, et de bien les vendre.
En étant empêché d'acheter de nouveaux joueurs tout en devant en vendre, l'objectif sportif risque d'être remis en cause ?
Oui, tout à fait. Sur le plan sportif cela ne va pas s'arranger car si vous êtes obligés de vendre des joueurs pour combler votre déficit, il va être difficile de briller sur la scène footballistique. Les ventes de Rayan Cherki et Malick Fofana, leurs deux joueurs les plus chers, sont dans les tuyaux. Mais à partir du moment où vous avez le couteau sous la gorge, il devient difficile de négocier un gros transfert.
L'Olympique lyonnais ne fait-il pas les frais du système financier complexe d'Eagle Football Group (achat et vente de joueurs au sein du même groupe), qui est en train de s'écrouler ?
Nous sommes passés d'un modèle à un autre, d'une époque à une autre. On observe une période post-moderne du foot jusqu'aux années 2020, où les structures de propriété étaient surtout liées à des milliardaires ou à des propriétaires locaux, etc. C'était d'ailleurs le cas de Lyon avec Jean-Michel Aulas. Depuis le Covid notamment, on a vu l'arrivée d'investisseurs américains, et de fonds d'investissement. Ce qui est un peu connexe à cette tendance, c'est le développement de la multipropriété. Et Lyon est en plein dedans.
"Nous sommes dans une période hyper-moderne, avec des nouveaux investisseurs qui arrivent dans le foot, et qui, souvent, recherchent du rendement."
Luc Arrondel, chercheur au CNRS, économisteà franceinfo: sport
Il faut aussi rappeler que le fonds d'investissement Ares a prêté énormément d'argent à la Holding Eagle, à hauteur de 500 millions, et je présume qu'il y a des demandes de garanties. Donc, si Lyon et Textor n'arrivent pas à rembourser leurs dettes à l'échéance, ce fonds d'investissement pourrait récupérer le club. C'est ce qu'il s'est passé en Italie par exemple avec l'AC Milan, où le propriétaire chinois n'a pas pu payer ses dettes, et le fond américain Redbird a récupéré le club. C'est un scénario possible.
Aperçoit-on les limites de ce genre de montage financier ?
Pour statuer sur ce sujet, il faudrait regarder de manière plus précise les mouvements. Mais il est vrai que le transfert d'Ernest Nuamah de Molenbeek à Lyon par exemple a été un peu surpayé, ce qui a sans doute permis de remplir les caisses de Molenbeek, mais au détriment de Lyon.
Une autre chose interroge : ils ont vendu beaucoup d'actifs. La franchise américaine a été achetée à 3 ou 4 millions de dollars par Aulas et l'année dernière, ils l'ont revendue presque 50 millions de dollars. L'équipe féminine a été vendue à un propriétaire américain, qui possède d'autres franchises aux Etats-Unis, à environ 50 millions d'euros. Ils ont vendu aussi leur Arena pour une centaine de millions d'euros. Il y a donc une perte d'actifs, ce qui, normalement, aurait dû permettre de mettre les finances dans le vert. Vraisemblablement, cela n'a pas été le cas.
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