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Récit "Ce feu s'est allumé en 1989" : le jour où le match OM-PSG a semé les graines du clasico

La rivalité entre les deux clubs a, certes, atteint son paroxysme dans les années 1990 avec Canal+ et Bernard Tapie, mais les graines ont été plantées le 5 mai 1989 au soir d'un match bouillant, lourd de conséquences.

Article rédigé par Pierre Godon
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 10 min
Les Marseillais Franck Sauzée, Philippe Vercruysse et Jean-Pierre Papin (de gauche à droite, en blanc) à l'assaut de la défense du PSG, le 5 mai 1989 au Stade-Vélodrome de Marseille (Bouches-du-Rhône). (RICHARD BARSOTTI / AFP)

Il fait une chaleur étouffante sur la cité phocéenne ce 5 mai 1989. La canicule a débarqué plus tôt que prévu pour un match que peu de supporters de l'OM avaient coché sur leur calendrier en début de saison. A cette époque, le PSG ne fait pas partie des têtes de Turc des Marseillais. L'année précédente, le club de la capitale a péniblement sauvé sa tête dans l'élite, alors les Marseillais visent la tête du championnat. Le patron du club, Bernard Tapie, a bâti une équipe pour aller loin dans toutes les compétitions, alors que Paris a peu touché à un effectif déjà limité. Pourtant, cet OM-PSG va semer les germes de la rivalité exacerbée de la décennie suivante, quand cette affiche du football français deviendra, qu'on le veuille ou non, le clasico made in France. 

"La pelouse tremblait"

La banderole déployée par le Commando Ultra 84 dans les tribunes du Vélodrome avant le match OM-PSG du 5 mai 1989. (VG84)

Au coup d'envoi, les ultras marseillais assurent l'ambiance. "On a bien dû craquer une centaine de fumigènes, se souvient Pierre, un des membres fondateurs du Commando Ultra 84 (CU84), premier du genre en France. Notre cérémonial de début de match était bien rodé, on n'en avait pas fait plus parce que c'était Paris ou que c'était le match du titre." Tout de même, l'écharpe confectionnée pour le match, avec "Ultras" écrit en lettre de sang à côté du personnage de films d'horreur Freddy s'arrache avant la rencontre. La banderole déployée a un côté prémonitoire : "Vous avec la foi et le cœur, nous avec la voix et la ferveur, nous serons vainqueurs."

Car l'enjeu est d'importance. A quatre journées de la fin, Paris occupe une surprenante première place, un point devant l'OM. A l'époque, la victoire rapporte deux points. Le vainqueur de la rencontre aura donc son destin en main. Le milieu de terrain Frédéric Meyrieu, qui prend place sur le banc de l'OM, garde un souvenir marquant de l'échauffement : "Je me rappelle que la pelouse tremblait tellement les gens faisaient de bruit." Malgré l'enjeu, le stade n'a pourtant pas fait le plein. Si les 35 000 Marseillais présents sont motivés, il reste près de 10 000 places vides dans l'enceinte. "Il faut se remettre dans le contexte de l'époque. A ce moment-là, l'OM de Tapie n'a rien gagné, poursuit Pierre du CU84. Les gens ne se sont pas encore appropriés le club." 

Dans les tribunes, une poignée de Parisiens, sans signe distinctif, éparpillés dans le stade. Le déplacement des groupes de supporters d'Auteuil et de Boulogne a été annulé quelques jours avant pour des raisons de sécurité. En cause, un tract menaçant, divulgué dans la presse.

Marseille ne se relèvera pas après notre passage. (...) Notre haine est sans limite. Le Heysel nouveau est arrivé.

un tract des fans du PSG

"On était prêts, pourtant", peste Patrick Noé, qui use ses fonds de culotte dans les travées du Parc depuis qu'il a 5 ans. Tifos et chants resteront au placard. "On avait encore en travers de la gorge qu'au match aller, le Parc soit rempli d'un tiers de Marseillais, qui ne se cachaient pas, avec leurs écharpes." Ce soir-là, le kop Boulogne naissant inaugurait le chant "Marseille, Marseille, on t'encule" à l'élégance douteuse, mais que le Parc reprend toujours en chœur aujourd'hui. 

Rendez-vous "en terre hostile"

Le président du PSG, Francis Borelli, sur la pelouse du Parc des Princes, en 1989. (GADOFFRE / SIPA)

Si la rencontre est sous tension, c'est aussi à cause de l'escalade des déclarations entre les deux présidents de l'époque. Francis Borelli, le patron du club parisien, a le premier déterré la hache de guerre : "Nous allons en terre hostile, voire étrangère", déclare celui qui se dira ciblé par des menaces de mort et passera le match protégé par deux armoires à glace. Réplique de Bernard Tapie : "Tout se passera bien si Borelli ne fait pas son cinéma." Les joueurs s'en mêlent, comme Jean-Pierre Papin, l'avant-centre de l'OM : "En venant ici, ils vont comprendre leur mal, surtout Pilorget. Ce sera l'enfer pour eux." "On s'était un peu asticoté dans la presse avec Jean-Pierre, se souvient Jean-Marc Pilorget, pilier de la défense parisienne. Ce qui m'a valu d'avoir mon nom scandé par le stade avec quelques gentillesses avant et après. Le genre de truc qui décuple ta motivation !" 

Les Marseillais entament leur match bille en tête. Il faut gagner, point. Dans les vestiaires, ils n'ont pas pu rater Bernard Tapie, debout, dans un coin. "Il n'avait même pas besoin de parler pour nous motiver, se souvient Frédéric Meyrieu. Il y a des gens comme ça, ils vous transmettent une force, une détermination, sans ouvrir la bouche." La pression, ils connaissent. "Il n'y avait pas encore les chaînes d'info sportives en continu, mais on avait quatre quotidiens à Marseille qui se battaient pour avoir des infos", poursuit le milieu de terrain, aujourd'hui responsable des jeunes au Racing FC Toulon. 

Côté PSG, l'entraîneur Tomislav Ivic a établi une tactique défensive. "On n'était pas venu pour gagner, euphémise Daniel Xuereb, alors attaquant à Paris. Je me rappelle d'un match très tendu." C'est aussi le souvenir en face. Demandez à Philippe Vercruysse, qui menait le jeu de l'OM ce soir-là. 

A l'époque, les arbitres ne sortaient pas un carton jaune à la moindre bousculade comme aujourd'hui. C'était un match, comment dire... physique.

Philippe Vercruysse

à franceinfo

Dans les cages parisiennes, Joël Bats nettoie les poussières d'occasion que laisse passer sa défense. Le premier tir du PSG n'intervient... qu'à la 71e minute. "La partie n'est pas restée dans ma mémoire", concède Philippe Vercruysse, qui répond naturellement "non" quand on lui demande s'il a revu ce match, noté 8/20 par France Football

Le Marseillais Philippe Vercruysse sur la pelouse du Vélodrome, le 5 mai 1989. (RICHARD BARSOTTI / AFP)

"Une hystérie collective absolue"

Ce match, le PSG est à deux doigts de le gagner à une poignée de secondes de la fin. Deux doigts du gardien marseillais Gaëtan Huard, qui dévie par miracle une frappe de l'attaquant parisien Amara Simba, entré quelques minutes plus tôt. "A ce moment-là, dans les tribunes, on s'était résigné à l'idée que tenir ce 0-0, ce serait déjà pas mal et qu'on pouvait encore refaire notre retard" au classement, raconte Pierre. Les supporters marseillais s'épuisent au fur et à mesure que leurs protégés butent sur le bloc parisien.

Débute le temps additionnel. A l'époque, il n'y a pas de quatrième arbitre qui brandit un panneau où est indiqué le nombre de minutes supplémentaires. Le choc du championnat va-t-il accoucher d'une souris ? "Je me rappelle avoir passé la fin du match à tourner autour de l'arbitre, Michel Vautrot, pour lui demander de siffler la fin du match, confie Christian Perez, qui jouait ailier au PSG. Il a fini par le faire... mais trop tard."

C'est dans le temps additionnel que Franck Sauzée, arrivé en début de saison de Sochaux, entre dans la légende. Jusque-là étouffé par le pressing parisien, le milieu se présente à 25 mètres du but, et frappe "en fermant les yeux". "Je ne suis pas très loin de Sauzée, raconte le défenseur parisien Jean-Marc Pilorget. Je suis sur la trajectoire du ballon, mais je n'arrive pas à la dévier !" Le gardien parisien Joël Bats non plus, surpris par cette frappe flottante. "Quand je comprends que le ballon rentre, je ne vois plus rien. Littéralement, se remémore Pierre, qui "a les poils qui se dressent" rien que de repasser le but de Sauzée dans sa tête. Une hystérie collective absolue, à la mesure de la tension qu'on avait accumulée pendant tout le match. Parfois, on dit à Marseille que c'était la folie, mais là, ce n'était pas exagéré. Je pense que ce cri, ce hurlement, il résonne encore dans la tête des Parisiens la nuit." 

Le but est marqué devant le virage Sud, peuplé de gamins à peine sortis de l'adolescence, des jeunes qui n'ont jamais vu l'OM gagner le moindre titre. L'euphorie est contagieuse. A la fin de la rencontre, un cortège s'improvise à la sortie du stade, passant par la place de la Castellane et sa fontaine – où certains finiront en slip – jusqu'au Vieux-Port – où d'autres finiront dévêtus à leur tour. "Les gens qui ne s'étaient pas déplacés au stade descendaient de chez eux se joindre à nous", souffle Pierre, habité par ce souvenir "aussi fort que Munich 1993", la victoire en Coupe d'Europe face à l'AC Milan. 

Paradoxalement, Franck Sauzée ne garde pas un si bon souvenir de ce but, à cause d'un drame survenu en tribune. "Ce but constitue pour moi un souvenir très difficile car, juste après, dans les tribunes du Vélodrome, une femme de 22 ans avait fait un arrêt cardiaque et elle en était décédée, raconte-t-il à  L'Equipe. Du coup, quand je repense à cette action, ce drame me revient à l'esprit..."

Comme à chaque fois sous l'ère Tapie, un feu d'artifice est tiré après la rencontre. Un Franck Sauzée encore essoufflé lâche sur Canal+ qu'il est trop tôt pour parler de sacre. En face, on ne se berce d'aucune illusion. "Quand j'ai vu la frappe de Sauzée aller au fond, je savais qu'on avait perdu le titre", grommelle Daniel Xuereb. "Le bon Dieu nous a punis pour n'avoir pas joué", lâche, mystique, Francis Borelli. 

"C'est le début de la méthode 'berlusconienne' de Tapie"

Une défaite qui sème d'autant plus les graines de la haine entre Olympiens et Parisiens que les rêves de titres s'envolent la journée suivante. Sur le terrain, le PSG se montre incapable de gagner à Lens, bon dernier du championnat. Les Sang et Or, moribonds jusque-là, effectuent le meilleur match de leur saison pour arracher le nul (0-0). Alors qu'il était bien présent à Marseille, le coach parisien s'est privé de son meilleur joueur, Safet Susic. Officiellement, c'est un "choix tactique". Ce qui filtrera par la suite, c'est qu'Ivic et Susic se sont croisés avant le match face à l'OM... à la table de Bernard Tapie, qui voulait les débaucher pour la saison suivante. 

"C'est le début de la méthode 'berlusconienne' de Tapie, grince Michel Kollar, historien du PSG, qui n'oublie pas que Francis Borelli avait aussi pour habitude de draguer les joueurs adverses avant les confrontations de fin de saison. 

On se pose encore beaucoup de questions sur ce match.

Daniel Xuereb

à franceinfo

L'avant-centre a été bizarrement remplacé avant la mi-temps alors que son équipe ne parvenait pas à faire la décision. "Les joueurs en ont parlé longtemps entre eux."

Bernard Tapie, président de l'OM, sur la pelouse du Vélodrome le 20 mai 1989. (JACQUES DEMARTHON / AFP)

Hors de lui, Francis Borelli accuse Bernard Tapie d'avoir "acheté ce match" pour que les Sang et Or se "battent comme des lions". Dans le livre PSG-OM, histoire d'une rivalité, un ex-joueur du club artésien se souvient avoir reçu double prime pour ce match nul. Mais ignore qui l'a payée... Le mystère perdure, même si côté Paris, on n'oubliera pas cette rumeur de sitôt. "Le titre devait nous revenir", grogne Christian Perez, presque trente ans plus tard. Quelques semaines plus tôt, un sondage réalisé auprès d'amateurs de foot montrait que 87% d'entre eux étaient convaincus qu'il y avait quelque chose de pourri au royaume du foot français. Cet épisode n'a fait que renforcer leurs convictions.

Curieusement, la rivalité entre les deux clubs fera une pause de quelques mois. "La saison suivante, l'OM se déplace au Parc en Coupe de France, et je me rappelle nettement avoir entendu des applaudissements à l'entrée des joueurs marseillais, et des chants "Chris Waddle à Paris'", souligne Michel Kollar. Il faudra attendre l'arrivée de Canal+ aux commandes du club parisien pour que les PSG-OM se transforment en véritable guerre de tranchées. "On dit souvent que Canal+ a jeté de l'huile sur le feu, fait remarquer Patrick Noé. Mais ce feu, il s'est allumé en 1989."

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