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Supporters en France, le changement c'est maintenant ?

Alors que le football est à l’arrêt, les supporters français rongent leur frein depuis début mars. Fin août, la reprise devrait se faire en leur présence, dans un premier temps avec des jauges limitées. D’ici là, les supporters des clubs français auront passé presque six mois loin de leurs tribunes. Une interminable attente qui pourrait être l’occasion de faire le point sur le modèle français du supportérisme qui, justement, est en pleine évolution. Pour preuve, un rapport parlementaire sur la question vient d’être rendu. Alors, le changement, c’est maintenant ?
Article rédigé par Adrien Hémard Dohain
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié
Temps de lecture : 10min
  (FRANCK FIFE / AFP)

Comme tout le monde, on est dans le flou. Chaque groupe ultra est pour l’instant privé de son activité principale”, reconnaît Tom, supporter de l’AS Saint-Etienne et vice-président de l’Association Nationale des Supporters. Comme tous les ultras français, Tom est impuissant face à cette frustration. Et il préfère ne pas voir de matches du tout, que de voir son club jouer sans supporters : “Le bel exemple allemand nous montre qu’un match à huis clos est sans saveur”. Les ultras français devraient retrouver peu à peu leur tribunes dès la fin août. D’ici là, ils traversent la plus longue période sans matches de leur vie. Un sevrage qui peut être l’occasion de repenser, en compagnie des différents acteurs, le modèle français du supportérisme. Cela tombe bien, un rapport parlementaire en ce sens vient d’être publié

Un rapport unanimement salué

Présenté le 22 mai, le rapport d’information sur les interdictions de stade et le supportérisme est l’œuvre de Sacha Houlié, député LREM de la Vienne, et de Marie-George Buffet, députée communiste de Seine-Saint-Denis. “Lors du débat sur la loi anti-casseurs, certains ont présenté les mesures comme une réussite, et voulaient l’étendre aux manifestations. Je n’étais pas d’accord”, raconte Sacha Houlié, qui décide alors de se lancer dans ce rapport en septembre 2019. “Je me suis portée volontaire pour être sa co-rapporteure”, ajoute l’ancienne ministre des Sports. Buffet ajoute : “L’image souvent négative accolée aux supporters est injuste, même s’il y a parfois des débordements et de la violence. On assimile trop souvent les supporters à des hooligans, alors que les ultras sont attachés au maillot, à leur ville. C’est toute une culture qu’il faut redonner à voir. Et on ne parle pas souvent de leurs droits”

“L’image souvent négative accolée aux supporters est injuste, même s’il y a parfois des débordements et de la violence. On assimile trop souvent les supporters à des hooligans, alors que les ultras sont attachés au maillot, à leur ville. C’est toute une culture qu’il faut redonner à voir. Et on ne parle pas souvent de leurs droits”

Après dix mois, cinquante auditions et cinq déplacements, le rapport n’élude aucun sujet, et ne se prive pas de dénoncer les dérives des dernières années, notamment sur les interdictions administratives de stade (IAS) et de déplacement. Légalisation des fumigènes, développement des tribunes debout, réduction des IAS, fin des sanctions collectives sauf exception : le texte reprend une par une les revendications des ultras, tout en pointant les failles de l’Etat en la matière depuis des années. “On a beaucoup auditionné les différents acteurs du foot, des supporters eux-même aux administrations préfectorales. On a eu des apports très divers qui vont étonnamment dans le même sens, sans forcément viser la même chose”, raconte Marie-George Buffet. “Beaucoup de gens ne voient pas la vraie dimension politique de ce sujet. Au-delà des supporters, c’est une question de libertés publiques”, assure Sacha Houlié. “Ce régime induisait une notion de sous-citoyen, parce que le dispositif a dérivé de manière très liberticide”, ajoute Pierre Barthélémy, avocat.
 

Logiquement, le rapport a été bien reçu chez les supporters. “Son seul défaut, c’est d’arriver si tard. On attendait depuis 2006 qu’une autorité administrative dresse le bilan de toutes ces mesures. Ça permet aussi d’élargir, quatre ans après la loi du 10 mai 2016. On commence à avoir une première phase de dialogue aboutie. On a largement de quoi créer un modèle de supportérisme à la française”, explique Pierre Barthélémy. “Ce que démontre ce rapport, c’est ce qu’on défend depuis 2013. Il constitue une belle avancée. Il ne s’agit pas de faire tomber le régime, mais de le faire évoluer pour qu’il soit adapté et utile. Les propositions sont assez claires. On ne peut que se satisfaire que ces sujets arrivent à l’Assemblée Nationale et dans le débat public”, apprécie Tom de l’ANS.

Le temps de la réflexion, puis du changement

Le timing du rapport est aussi idéal car propice à la réflexion, à un moment où les stades sont désertés face à la pandémie du Covid-19. “Aujourd’hui, les libertés publiques sont interrogées car elles ont été restreintes par le confinement. La question de la liberté de circulation a été posée. Et par ailleurs, on a des stades sans supporters. Est-ce que le foot, le sport en général, ça peut se vivre sans supporters ? Les Allemands ont répondu oui, les Français ont répondu non : je me sens très français”, clame Sacha Houllié. Présenté ce lundi devant l’Instance Nationale du Supportérisme, le rapport ouvre le débat pour un nouveau supportérisme à la française, pourquoi pas dès la reprise du football après la crise ?

"Aujourd’hui les libertés publiques sont interrogées car elles ont été restreintes par le confinement. Est-ce que le foot, le sport en général, ça peut se vivre sans supporters ? Les Allemands ont répondu oui, les Français ont répondu non : je me sens très français”

C’est compliqué, il y a tellement de sujets différents à traiter. Sur les tribunes debout ça avance bien, sur la pyrotechnie ça avance depuis deux ans avec l’INS, mais là le rapport vient donner du poids à ces revendications. Sur les interdictions de déplacements, on avait progressé avec la circulaire de Laurent Nunez”, récapitule Pierre Barthélémy. “On a quitté les stades en mars, il y a de grandes chances qu’on les retrouve en l’état en septembre” illustre Tom. Pas parce que les choses ne changent pas, au contraire, mais parce que cela prend du temps. “Septembre, ce sera encore un peu tôt pour voir des évolutions. Il va falloir faire bouger des cultures, et le processus législatif demande du temps”, analyse Marie-George Buffet. D’autant que l’idée est d’incorporer le rapport au projet de loi de la ministre des Sports Roxana Maracineanu, prévu pour 2021. 

D’ici là, certains progrès sont déjà visibles. Selon Sacha Houlié, le rapport a ainsi contribué à la circulaire Nunez, destinée à diminuer le nombre d’interdictions de déplacements. “L’INS a aussi déjà beaucoup travaillé sur les tribunes debout, instauré les référents supporters, des groupes de travail sur les fumigènes”, résume le député. Autrement dit, petit à petit, chaque dossier avance. “Tous les chantiers évoqués dans le rapport sont prioritaires et sont à mener de front maintenant que le débat est sur la table” explique Tom. Pierre Barthélémy ajoute : “En avançant sur l’un, on avance sur l’autre. Après, le plus important, de très loin, ce sont les IAS et les interdictions de déplacements, qui sont des atteintes à la liberté de circuler”. Marie-George Buffet approuve : “On a l’impression aujourd’hui que certaines interdictions de déplacements sont systématiques, il faut en refaire une exception. Il faut des négociations entre les parties. A force d’interdire les déplacements, on fait monter la tension : c’est l’urgence”. 

Un vent enfin favorable aux ultras ?

En pointant l’hypocrisie des autorités sur les fumigènes (aucune brûlure recensée la saison dernière en France, ndlr), les abus des IAS (75% de ces interdictions de stades attaquées en justice sont annulées, ndlr) et en prônant un dialogue encore plus intense entre les autorités et les supporters (notamment via le référent supporter, ndlr), le rapport ouvre ainsi la porte à un nouveau modèle français du supportérisme, et marque un tournant. Toutefois, le texte n’idéalise pas le monde des tribunes pour autant. “On l’a basé sur le principe du droit-devoir” résume Sacha Houlié, qui veut responsabiliser les supporters et les associations. 

"C’est l’aboutissement de ce qui se construit depuis plusieurs années. Depuis l’arrivée de Mme Boy de la Tour à la tête de la LFP, la relation s’est apaisée. Aujourd’hui, le conflit est épisodique et local. Les relations sont enfin fluides et constructives, même s’ils restent des désaccords frontaux"

Pour le moment vides face au Covid-19, les tribunes des stades français pourraient donc bien évoluer dans les prochains mois, si ce rapport salué par tous est appliqué, ne serait-ce que partiellement. De là à dire que le vent a tourné et qu’il souffle enfin dans le sens des drapeaux des ultras ? “C’est l’aboutissement de ce qui se construit depuis plusieurs années. Depuis l’arrivée de Mme Boy de la Tour à la tête de la LFP, la relation s’est apaisée. Aujourd’hui, le conflit est épisodique et local. Les relations sont enfin fluides et constructives, même s’ils restent des désaccords frontaux”, récapitule Pierre Barthélémy.

D’ailleurs, les deux rapporteurs partagent ce point de vue. “Le vent tourne dans le bon sens parce qu’on a quand même pu compter sur des gens organisés et structurés, notamment à l’INS”, avoue Sacha Houlié. “Les premières avancées comme le référent supporter sont efficaces. Un dialogue s’établit de meilleure façon. Reste à aller plus loin”, complète Marie-George Buffet. Du côté des supporters, Tom savoure mais reste prudent : “Ce qu’on a gagné ces dernières années, on peut le perdre demain. On est sur une dynamique positive, nos revendications sont sur la table, le couvert est dressé et on a montré qu’on était là pour dialoguer”. Reste maintenant à voir ce que la cuisine législative va concocter.

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