Interview "On est en train de détruire le spectacle", alerte David Terrier, président du syndicat européen des footballeurs pros, sur les cadences infernales

Le patron de la FIFPro Europe évoque pour franceinfo: sport les problématiques du calendrier surchargé, et explique comment c'est tout un écosystème qui s'en trouve menacé.
Article rédigé par Clément Mariotti Pons
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié
Temps de lecture : 7 min
David Terrier, vice-président de l'Union nationale des footballeurs professionnels (UNFP), s'adresse à la presse lors de l'assemblée générale de la FIFPro Europe, le 3 mai 2023. (LUCIAN ALECU / SIPA)

Les témoignages pointant la multiplication des matchs et la diminution des périodes de repos pour les meilleurs joueurs évoluant en Europe ont pris une toute autre ampleur ces dernières semaines. Garants de leurs revendications et de la protection de leur santé physique et mentale, les syndicats de footballeurs professionnels ont décidé de monter au créneau, au premier rang desquels la FIFPro, instance regroupant les différents syndicats nationaux.

Pour franceinfo: sport, David Terrier, le président de la FIFPro Europe, également vice-président de l'Union nationale des footballeurs professionnels (UNFP) en France, revient sur ce mouvement de protestation et les différentes problématiques qui en découlent.

franceinfo: sport : Quelle est l'origine de la situation que l'on vit actuellement, où des footballeurs évoquent publiquement leur ras-le-bol quant à un calendrier à rallonge qui mettrait en péril leur santé ?

David Terrier : Elle est assez simple. Nous passons dans les vestiaires six fois par an, on échange au minimum une fois avec les joueurs de l'équipe de France, au niveau de l'UNFP en France. C'est le cas aussi dans d'autres pays comme l'Angleterre avec la PFA [Professional Footballers' Association]. Il nous a été remonté il y a un peu plus de six ans par les "top players", qui jouent dans les grands clubs et en sélections nationales, une surcharge des calendriers, que ça commençait à devenir difficile pour eux avec l'intensité des matchs qui augmentait. On a demandé des études, en lien avec Football Benchmark, une plateforme d'analyse de données qui nous rapporte une analyse objective des temps de travail, mais pas que. On a développé d'autres paramètres : les trajets et les différents fuseaux horaires, le temps passé à la maison, les temps de récupération, les vacances... C'est ce que l'on transmet aux instances, que ce soit les ligues, les fédérations et les confédérations, pour les alerter.

Quels retours avez-vous eu ?

Jusque-là, ils nous disaient qu'il n'y avait pas un gros impact en termes de nombre de matchs, que ça ne concernait que peu de joueurs. C'était vrai dans un premier temps, mais nos arguments étaient de dire que ce sont aussi ces joueurs qui font vivre l'industrie, de par leur talent, leur image, le spectacle qu'ils produisent... Mais en fait on s'est aperçus dans les analyses que ça allait bien plus loin que cela. Certains joueurs me disaient : "Tu parles de Messi, Neymar ou Mbappé, mais moi je suis un joueur africain et, en sélection, je ne voyage pas dans les mêmes conditions qu'eux. Je suis dans des vols commerciaux en classe éco et, quand on arrive au pays, on prend parfois des avions militaires."

C'est l'exemple de Saliou Ciss, ancien latéral gauche et international sénégalais qui jouait à Nancy et a gagné la Coupe d'Afrique des nations en 2022. Il était revenu complètement épuisé physiquement et mentalement de la CAN, et son club est descendu en National. Derrière, il n'a pas retrouvé de club. Il y a eu un vrai impact et il s'est senti responsable de ne pas pouvoir donner 100% de ses capacités à son club, alors que c'est lui qui le paie.

Saliou Ciss avec le Sénégal lors d'un match de Coupe d'Afrique des nations face à la Guinée équatoriale, le 30 janvier 2022. (ULRIK PEDERSEN / AFP)

Aujourd'hui, les meilleurs joueurs évoluant en Europe et impliqués avec leurs sélections nationales ne jouent plus à fond chaque rencontre ?

Non, ils nous disent qu'ils ne peuvent plus les disputer à 100%, qu'ils se gèrent pendant les matchs. On est en train de détruire le spectacle. Des entraîneurs d'équipes de très haut niveau mettent en place des stratégies en disant : "On met beaucoup d'intensité en début de match pour faire la différence et ensuite, en deuxième période, on conserve le ballon et on gère l'intensité."

"Les gens paient leurs abonnements TV, paient leurs places dans les stades et voient des joueurs qui ne jouent plus à 100%. La bulle a explosé, on est en train de tuer le foot."

David Terrier, président de FIFpro Europe

à franceinfo: sport

En dehors de protéger les joueurs, notre position est de dire que c'est aussi protéger l'industrie du foot. On a l'impression que le système tourne en rond, qu'il y a toujours plus d'argent mais que c'est au détriment du spectacle et ça ne tient plus.

La prochaine Coupe du monde des clubs l'été prochain, qui doit durer près d'un mois, ne risque pas d'arranger les choses...

Cette compétition ne respecte plus rien. Elle est à cheval sur deux saisons, du 15 juin au 13 juillet. Sachant que les contrats de travail en Europe finissent le 30 juin, comment fait-on ? Cela veut dire que si elle avait eu lieu l'année dernière, Kylian Mbappé aurait commencé la Coupe du monde des clubs avec Paris pour la finir avec le Real Madrid ?

Je suis 100% d'accord avec les clubs, qui sont les employeurs et qui doivent les avoir à disposition, mais les joueurs doivent aussi défendre leur pays. L'équipe de France, de par ses performances, génère des revenus qui permettent de financer le football amateur et son développement. C'est tout ça qui est en péril. On ne veut pas que les clubs soient perdants, ni les ligues domestiques et évidemment pas les fédérations. Ou alors, on doit aller vers un système américain de ligue fermée, mais il y a eu une opposition assez forte au moment de la Super Ligue.

Combien de joueurs sont concernés par cette surcharge du calendrier ?

On parle d'environ 5-6% des "top players". Mais c'est déjà énorme ! Ce sont ceux qui nous font rêver, qui débloquent les matchs, créent l'émotion, la passion... Et ce n'est pas péjoratif pour les autres. Les meilleurs clubs et les meilleurs joueurs auront toujours plus d'argent, ce sont les autres qui vont payer les pots cassés en jouant moins, en ayant des revenus moindres car les droits de leurs compétitions domestiques vont perdre en valeur au détriment des autres.

Par exemple, la Ligue 1 a été réduite à 18 équipes car il y avait trop de matchs. Deux équipes en moins, ça veut dire moins de possibilités pour avoir des contrats de joueurs professionnels. Et quand les droits TV de la Ligue 1 ont baissé, les diffuseurs ont décidé de privilégier le produit premium des compétitions de l'Uefa au détriment du championnat domestique. Le problème est bien plus global et plus important que le fait que "les joueurs jouent trop de matchs".

Quel poids peut avoir le mouvement syndical dans un milieu comme le football ?

Disons que notre rôle est très clair : ce sont les joueurs qui priment. Quand ils nous font remonter des problématiques, on les étudie et on les défend, on les rend crédibles avec des études de médecins et de spécialistes de la performance. Ensuite, si les instances ne sont pas prêtes à écouter, on doit s'organiser, se mobiliser avec eux et les autres organisations et créer un mouvement collectif pour montrer que les joueurs ne sont pas prêts à se laisser faire. Un joueur de foot est un salarié comme les autres, il a des droits comme les autres. Et quand il n'a même pas un jour off par semaine, on se pose des questions.

Jules Koundé, ici avec le Barça face à Villarreal lors d'un match de Liga, le 22 septembre 2024, fait partie des joueurs français à s'être exprimés pour dénoncer les cadences infernales. (JOSE BRETON / AFP)

Vous avez décidé de porter ces problématiques devant la justice...

Oui, on a fait deux plaintes, la première devant le tribunal de grande instance de Bruxelles avec l'UNFP, la PFA, le syndicat italien et FIFPro Europe. Le but est que le juge saisisse la Cour de justice de l'Union européenne sur la question du temps de travail et des droits des travailleurs (congés, repos...). La deuxième plainte, qui va être lancée le 14 octobre, associe les ligues (Premier League, Bundesliga, Liga, Serie A) avec les syndicats et FIFPro Europe. On va solliciter la Commission européenne sur le droit à la concurrence, les différentes ligues européennes estimant que la multiplication des compétitions internationales nuit à l'attractivité des championnats domestiques.

Que faut-il en attendre ?

Le temps de la justice n'est jamais celui du sportif malheureusement. Mais le mouvement prend de l'ampleur, les joueurs nous suivent, cela peut inquiéter et obliger les instances à trouver des solutions.

Une grève des joueurs est-elle envisageable dans les prochaines semaines ?

Oui, c'est une possibilité. Mais il y a aussi plusieurs manières de manifester. Cela peut être un signal, comme le fait de rester quinze minutes dans le vestiaire avant le début d'un match, et aller jusqu'au boycott d'une compétition. Mais pour cela, il faut être ensemble et il n'y a pas mieux qu'un syndicat et qu'une organisation des joueurs comme la Fifpro pour le faire.

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