"Nike veut dominer le marché du football" en signant les équipes de France et d'Allemagne, estime le spécialiste du marketing sportif Lionel Maltese
Nike a doublé la mise. Quelques semaines seulement après avoir signé un accord retentissant avec la Fédération allemande de football (DFB), Nike a prolongé jusqu'en 2034 son contrat d'équipementier officiel de la Fédération française de football (FFF), via un communiqué paru mardi 30 avril. Alors que l'équipe de France est passée de la marque allemande Adidas à Nike en 2011, l'équipe d'Allemagne mettra un terme en 2027 à son partenariat historique (depuis 1954) avec sa marque nationale, pour un contrat courant jusqu'en 2034 avec le rival américain.
Bjørn Gulden, patron de la marque aux trois bandes, avait jugé "inexplicable" le montant de l'offre de Nike, le 19 avril dernier dans un entretien à l'AFP. Pour Lionel Maltese, maître de conférences à l'Université d'Aix-Marseille en marketing et management sportif, ces investissements reflètent une stratégie agressive mais cohérente de Nike.
Franceinfo: sport : Ces partenariats prestigieux mais onéreux sont-ils rentables pour les marques ?
Lionel Maltese : La rentabilité financière est très compliquée à mesurer. C'est un marché difficilement analysable du point de vue du retour sur investissement, plutôt en termes de concurrence avec des marques rivales clairement identifiables [Adidas et Puma notamment]. L'équipe de France est une sélection jeune, avec beaucoup de joueurs déjà extrêmement attractifs individuellement et un potentiel futur à sécuriser.
Avoir des joueurs d'une équipe nationale sous le giron de l'équipementier génère un avantage concurrentiel, même si certains joueurs ont des contrats individuels avec d'autres marques. Les maillots vendus sont des associations de marque entre l'équipe de France et ses joueurs clés, comme dans les clubs. Nike cherche à faire des coups, il y a aussi une question de timing.
Cette annonce intervient quelques semaines après un accord entre Nike et l'équipe d'Allemagne...
Les signatures avec la France et l'Allemagne renforcent un désir de domination de Nike sur le marché du football. Le retour sur investissement est incalculable. L'avantage qui peut être fait est sur la durée. Les appartenances avec certains joueurs qui portent leurs équipes sont de plus en plus fortes, donc c'est un moyen de sécuriser les deux. Les "marques joueurs" sont de plus en plus importantes.
Adidas ne va pas aller chercher des joueurs majeurs de l'équipe de France : Kylian Mbappé ne quittera pas Nike du jour au lendemain, pour Warren Zaïre-Emery il y a eu un investissement sur la chaussure. Ils vont peut-être se rabattre sur des sports plus urbains ou émergents et se diversifier.
"Adidas va perdre sa domination et son authenticité. C'est une marque historique, et la cassure avec l'Allemagne est un signal fort."
Lionel Maltese, spécialiste du marketing sportifà franceinfo: sport
Pourquoi l'équipe de France est-elle un partenaire clé de la marque américaine ?
En 2026, la Coupe du Monde est aux Etats-Unis. L'exploitation commerciale sera dense, l'équipe de France est l'une des favorites. C'est une sécurisation sur le marché américain, où Jordan (filiale de Nike) a déjà fait un gros travail sur la marque PSG, avec Kylian Mbappé en figure de proue du club et de l'équipe de France.
Sur les autres équipes nationales, des joueurs marquants dans des équipes dominantes, il n'y en a pas tellement. C'est la fin de Léo (Messi) et de Cristiano (Ronaldo) donc l'investissement sera de courte durée, (Erling) Haaland est dans un petit marché (la Norvège), l'Espagne n'a pas de joueurs extrêmement dominants. Il y a le marché anglais qui est important.
Que représente le renouvellement de ce partenariat du point de vue de la Fédération française de football ?
Les signatures d'équipementiers avec les fédérations, c'est assez particulier parce qu'elles sont votées par les Comités exécutifs. Ces comités aiment bien signer des partenariats de haut vol au niveau financier, dans une perspective de réélection. N'oublions pas qu'après les Jeux olympiques, il y a les élections (pour la présidence de la Fédération française de football).
Comment expliquer l'augmentation significative des sommes investies par Nike pour ces partenariats ?
Il y a deux explications. D'abord la longueur : il est rare chez les équipementiers, notamment avec les athlètes, de signer plus de trois ou quatre ans. Là, on sécurise un travail sur la durée (jusqu'en 2034) : l'effet de mémorisation est fort et avec des joueurs jeunes, qui ont une vingtaine d'années, il y a une histoire qui se construit. L'autre raison, c'est que Nike a toujours essayé de se focaliser sur des niches de très haut niveau plutôt que de s'éparpiller sur beaucoup d'éléments.
Puma, par exemple, n'a pas du tout la même stratégie, et privilégie des partenariats locaux, avec des "underdogs". Adidas est un peu perdu, on ne comprend pas trop où ils vont. La perte de l'équipe d'Allemagne est un coup dur, mais ils n'ont pas pu s'aligner financièrement. C'est pareil avec l'équipe de France : Adidas avait une histoire avec l'équipe 1998, avec Zidane. Il y a une page qui s'est tournée, et qui se confirme. Pour l'instant, leur stratégie n'est pas claire et ils sont dans la réaction.
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