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Enquête FFF : de nouveaux témoignages mettent en cause le comportement de Noël Le Graët et le management de sa directrice générale

Article rédigé par Géraldine Hallot
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 14min
Le siège de la Fédération Française de Football (FFF) photographié en mars 2021, au 87 boulevard de Grenelle, à Paris. (FRANCK FIFE / AFP)

Alors que la FFF fait l’objet d’une mission d’audit commandée par la ministre des Sports, la cellule investigation de Radio France a recueilli de nouveaux témoignages de femmes qui accusent Noël Le Graët de “harcèlement” et dénoncent l’attitude, selon elles, “ambiguë” de sa directrice générale.

"Attention, ce n'est pas l’affaire PPDA !" Les témoins que nous avons rencontrés - tous anciens ou actuels salariés de la FFF - tiennent à nous le dire d’emblée : il ne faut pas comparer le patron de la Fédération Française de Football (FFF) à l'ancien présentateur du 20h de TF1, accusé par de nombreuses femmes de viols et d’agressions sexuelles. "Mais ce n’est pas parce que c’est moins grave, qu’on ne doit pas en parler", estime une ancienne cadre de la FFF. Des femmes, et quelques hommes, en poste à la Fédération ces dernières années, se sont donc confiés à la cellule investigation de Radio France. Pour l’instant, tous ont préféré conserver leur anonymat, soit parce qu’ils travaillent encore dans le monde du sport, soit parce qu’ils espèrent y revenir. Des témoignages anonymes donc, mais recoupés et circonstanciés.

"Des invitations à dîner à répétition"

Alors de quoi parle-t-on ? D’un comportement "inapproprié" pour certaines, de "harcèlement" pour d’autres. Des histoires et des ressentis différents. Sonia* a quitté la FFF il y a quelques années. "L’enquête de So Foot** m’a perturbée", nous dit-elle. "Elle m’a ramenée à des choses enfouies, des non-dits." Si elle accepte de nous parler aujourd’hui, c’est "parce qu’il faut que ce genre de pratiques cesse".

"Avec moi, Noël Le Graët était vraiment lourdingue, se remémore-elle. Il me disait qu’il voulait me ramener chez lui. Il ne m’envoyait pas de sms. À cette époque, ce n’était pas un pro du téléphone. Mais c’étaient des invitations à répétition pour venir dîner avec lui." Sonia raconte que quand elle voulait faire le point sur ses dossiers avec le président de la FFF, "ce n’était jamais possible en journée". "Il me disait ‘les déjeuners je ne peux pas, je n’ai que mes dîners de libres’." Elle affirme qu’un jour Noël Le Graët lui a dit : "S’il se passe quelque chose entre nous, ne vous inquiétez pas, personne ne le saura." "Certains disaient ‘oh elle est là [à la FFF, NDRL] parce que Le Graët l’aime bien’. Mais ce n’était pas une promotion canapé ! J’essayais de gérer la situation au mieux." Quand on demande à Sonia comment elle qualifierait le comportement de Noël Le Graët elle répond : "C’est un vieux monsieur qui n’a pas vu que le monde avait changé. Il a des propos et des blagues déplacés. Comme c’est le président, vous rigolez jaune. Ce n’est pas facile à gérer."

"Il pose sa main sur ma cuisse"

Sonia souhaite également témoigner du rôle "ambigu" joué, selon elle, dans cette affaire par l’actuelle numéro deux de la FFF, Florence Hardouin. "Elle aussi a reçu des invitations répétées et tendancieuses de Noël Le Graët. On en a parlé ensemble." Ce qui n’a pas empêché par la suite la directrice générale "de vouloir me virer, affirme-t-elle. Florence Hardouin m’a dit un jour ‘si tu ne tues pas ton N-1, ton N-1 te tuera.’ J’ai vite compris son état d’esprit." Aujourd’hui, Sonia s’épanouit loin de la FFF, qu’elle juge "dysfonctionnelle". "À la FFF, la soupe est bonne et les salaires sont élevés. C’est pour cela que certains restent", dit-elle. Estelle* fait un constat similaire. Elle a occupé un poste élevé à la Fédération pendant plusieurs années, avant de quitter le navire. Elle aussi affirme avoir été victime de harcèlement.

"Il y a d’énormes problèmes de gouvernance et une omerta généralisée sur un certain nombre de sujets comme le harcèlement sexuel et moral."

Estelle

à franceinfo

"En 2016, je devais partir avec le président Le Graët en déplacement officiel, nous raconte-t-elle. Pendant la semaine qui précède, il me harcèle en m’appelant quasiment tous les soirs pour me dire qu’il se réjouit d'y aller avec moi. Il me dit qu’il faut que je me mette en jupe le jour du voyage. Évidemment je refuse, je mets un pantalon. Dans l’avion, je suis à côté de lui, il pose sa main sur ma cuisse. Je l’ai repoussé en lui disant ‘président, on ne va pas commencer le trajet comme ça’." Une fois arrivés sur place, "Noël Le Graët me demande de monter dans sa chambre d’hôtel, poursuit Estelle. Il voulait que je lui installe un VPN sur son Ipad. Je lui ai dit de descendre dans le hall pour que je puisse m’en occuper." De retour à Paris, pour mettre fin aux assauts de son patron, Estelle raconte lui avoir dit : "Président, je préfère votre femme". "Après ça, il a cessé."

Interrogé sur ces accusations, Noël Le Graët nous a fait parvenir cette réponse via son directeur de la communication. "Je conteste fermement les prétendus comportements ‘déplacés’ à l'égard de salariées au sein de la FFF", écrit le patron de la Fédération. "J’ai toujours entretenu des relations respectueuses avec mes collaboratrices et mes collaborateurs dans un climat de confiance mutuelle. Ces allégations anonymes à la fois mensongères et malveillantes visent manifestement à me nuire professionnellement et personnellement."

Le rôle "trouble" de la directrice générale

Tout comme Sonia, Estelle – que nous avons vue à plusieurs reprises pointe le rôle "trouble" dans cette affaire de la directrice générale de la FFF. "Florence Hardouin était au courant du comportement du président. Elle m’a demandé de lui raconter. Je pensais qu’elle allait me protéger. En fait non, elle a tout enterré." Un ancien haut responsable de la FFF confirme que "Florence Hardouin savait comment Noël Le Graët se comportait avec les femmes. Elle-même racontait, en 2013, qu’il la harcelait. Elle m’a confié qu’elle gardait tout [les messages, NDRL]."

Pour cet ancien salarié cependant, "Noël Le Graët n’est pas un pervers. C’est un homme qui aime les femmes et qui drague lourdement. À ma connaissance il n’a pas commis d’agression." Notre témoin estime qu’il y a là "un fossé générationnel. Noël Le Graët est né avant que les femmes n’aient le droit de vote. Il avait 25 ans quand elles ont pu ouvrir un compte en banque. Son rapport aux femmes est complètement différent de ce qui se passe aujourd’hui."

Samuel*, un ancien cadre de la FFF qui fut proche de Florence Hardouin, estime pour sa part qu’il y a "un climat sexiste et des comportements misogynes à la FFF". À cela s’ajoute, selon lui, "le management brutal de Florence Hardouin. Lors de la mise en place du PSE [plan de sauvegarde de l’emploi, qui s’est soldé par 18 licenciements en 2021, ndlr***], elle a prétexté des difficultés économiques qui n’existaient pas pour se débarrasser de tous ceux dont elle ne voulait plus, dont de nombreuses femmes." D’après le rapport financier de la FFF pour l’année 2020-2021 (voir ci-dessous), la Fédération a clos l’année 2021 avec un excédent de 201 000 euros. 3,3 millions d’euros avaient été provisionnés pour le plan social. "S’il n’y avait pas eu le PSE, la FFF terminait l’année avec un excédent de 3,5 millions d’euros. Il n’y avait pas besoin de virer des gens", affirme l’ancien responsable cité plus haut.

Extrait du rapport financier de la FFF 2020-2021, en milliers d’euros. (CELLULE INVESTIGATION DE RADIOFRANCE)

Extrait du rapport financier de la FFF 2020-2021, en milliers d’euros. (CELLULE INVESTIGATION DE RADIO FRANCE)

Charlotte*, une ancienne salariée de la FFF, fait une analyse du management à la Fédération assez similaire. "Oui j’ai reçu de nombreuses invitations à dîner de la part de Noël Le Graët, et ce n’est pas normal vu le rapport hiérarchique que l’on avait", nous confie-t-elle. "Il a un comportement vraiment limite. Mais je n’ai jamais ressenti ses propos comme menaçants. J’ai esquivé les invitations et il ne m’en a pas tenu rigueur. On a gardé de bonnes relations." "Dans mon cas, explique la jeune femme, c’est la gouvernance clivante de Florence Hardouin qui m’a posé le plus problème. Soit on est avec elle, soit on est contre elle." Pour Charlotte, "le crédo de Florence Hardouin, c’est de dire qu’elle est une femme qui réussit dans un milieu de mecs." Estelle affirme : "À la FFF, elle voulait être la seule femme." Samuel résume les choses ainsi : "C’est une sorte de couple qui a basculé. Au départ, Le Graët avait besoin que Florence Hardouin prenne un certain nombre de responsabilités. Mais quand elle s’est trop rapprochée de l’Équipe de France, il s’est crispé. Aujourd’hui ils se détestent et cela déteint sur toute la fédération."

Clémence*, une ancienne directrice de la FFF raconte un autre épisode, qui aurait eu lieu début 2021. "J’allais quitter la FFF. Je vais voir Le Graët pour le saluer. Dans son bureau, il me demande, gêné, si j’avais raconté à Florence qu’il m’avait agressé sexuellement chez lui, en me plaquant contre un mur et en mettant sa main dans ma culotte. C’était faux. Oui, il était un peu lourd avec moi notamment quand il me faisait la bise, mais jamais il ne m’a agressée."

"Florence Hardouin a raconté n’importe quoi au président. Elle a besoin d’avoir des dossiers sur les gens, voire même d’en créer, pour asseoir son pouvoir. On parle d’un système Le Graët mais elle en fait partie."

Clémence

à franceinfo

Clémence dit avoir "proposé une réunion à trois, avec Le Graët et Hardouin pour tirer au clair cette affaire de fausse agression" mais selon elle, "le président n’a pas osé".

Interrogée sur ces accusations, Florence Hardouin nous a répondu par écrit : "Je démens catégoriquement les allégations mensongères qui vous sont rapportées à mon encontre. De manière générale, je ne répondrai à aucune question des journalistes puisque, comme vous le savez, un audit demandé par le Ministère des Sports est en cours." Pour faire la lumière sur les soupçons de harcèlement sexuel et moral qui pèsent sur la FFF, la ministre des Sports Amélie Oudéa-Castéra a en effet commandé un audit de la Fédération à l'Inspection générale de l'éducation, du sport et de la recherche (IGESR). Les auditions devraient débuter très prochainement. Selon toute vraisemblance, le rapport sera remis après la Coupe du monde de football qui débute le 20 novembre prochain. Noël Le Graët nous a fait savoir qu’il attendait "avec sérénité" les conclusions de cet audit.

Alors, qu’en disent les salariés actuels de la FFF ? Au siège de la fédération boulevard de Grenelle, c’est le silence radio ou presque. Une proche de la direction, visiblement dans l’embarras, expédie la conversation : "Je suis d’une loyauté absolue. Ce n’est pas à moi de vous dire quoi que ce soit." Une autre source précise qu’aujourd’hui il y a "des formations contre le harcèlement dispensées à tous les salariés. On a également une référente sur ces questions-là. Les salariés peuvent la contacter en toute confidentialité." Visiblement sceptique, un salarié s’épanche longuement sur le climat "toxique" qui régnerait à la FFF. Il ne souhaite pas pour autant apparaître dans notre enquête.

*les prénoms ont été modifiés

**L’enquête du magazine So Foot, publiée le 8 septembre et intitulée “Fédération désenchantée”, révélait que plusieurs femmes avaient démissionné de la FFF ces dernières années, car elles se sentaient “harcelées sexuellement et moralement”. L’article faisait notamment état de SMS à “caractère sexuel” que Noël Le Graët aurait envoyé à des employées. La FFF a porté plainte pour diffamation.

*** Contesté par 10 anciens salariés de la FFF, le PSE a été annulé par le tribunal administratif de Paris, avant d’être validé en appel. Les requérants ont saisi le Conseil d’État. L’affaire sera examinée courant 2023.

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