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Ça s'est passé le 20 mai 1993 : VA/OM, le match qui va mener Bernard Tapie en prison

L’affaire VA/OM est, à ce jour, le plus grand scandale de l’histoire du football français. Une affaire de corruption de joueurs dans le championnat professionnel, révélée par un défenseur de Valenciennes, Jacques Glassmann. Voici les faits autour de ce match disputé le 20 mai 1993, racontés par Alain Vernon, grand reporter à france tv sport et à l'origine des révélations qui vont ensuite déboucher sur l'affaire VA/OM...
Article rédigé par Alain Vernon
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié
Temps de lecture : 8min
 

Le jeudi 20 mai 1993, l’Olympique de Marseille de Bernard Tapie se déplace à Valenciennes en championnat et n’a besoin que d’une victoire pour s’assurer du titre de champion de France de Division 1. Ainsi, l’OM partirait en toute sérénité à Munich, pour y disputer quelques jours plus tard, une nouvelle finale de Coupe d’Europe des Clubs Champions contre l’AC Milan cette fois. De son côté, Valenciennes ne doit pas perdre pour assurer son maintien dans l’élite...

Lorsque Jacques Glassmann monte dans le bus qui doit le conduire, la veille du match, à l’hôtel du Lac de Conde-sur-Escaut dans la banlieue de Valenciennes, pour la mise au vert des nordistes, il n’imagine pas un seul instant, la tempête sportive et médiatique que ce match va déclencher.

Après le dîner avec son équipe, vers 21h , deux de ses coéquipiers, Christophe Robert (passé par Nantes et Monaco) et Jorge Burruchaga (champion du monde en 86 avec l’Argentine de Maradona) le convoquent dans leur chambre. Ils attendent un coup de téléphone du Marseillais Jean-Jacques Eydelie , défenseur et ex-coéquipier de Glassmann à Tours. Les paroles d’Eydelie sont sans équivoque dans l’oreille de Jacques Glassmann. L’OM a choisi trois joueurs de Valenciennes pour “lever le pied” le lendemain pendant le match : Robert-Burruchaga-Glassmann. Robert et Burruchaga sont prêts à accepter les 200 000 francs (environ 30 000 euro) proposés un peu plus tard au téléphone par le directeur délégué de l’OM , Jean-Pierre Bernès, beaucoup plus agressif dans le ton qu’Eydelie. Jacques Glassmann est abasourdi par une telle proposition de corruption. Mais est-ce la première fois que l’OM se hasarde à de tels agissements ? Car la rumeur court depuis plusieurs mois dans le championnat de France. Jusque-là, personne n’a jamais osé dénoncer ces méthodes. Jacques Glasmann appelle, comme chaque jour, sa compagne Audrey, scandalisée par l’audace des Marseillais. Il est décidé, il ne lèvera pas le pied demain soir contre l’OM même pour 200 000 francs !

Jacques Glassmann dort peu cette nuit-là. Lui qui a fait sa carrière à Mulhouse puis à Strasbourg, se rend compte de la gravité de la situation mais ignore encore à quel point il va en souffrir... Il tente d’alerter son entraîneur, Boro Primorac , mais personne ne voit venir le danger.

 

Jeudi 20 mai 1993, jour du match VA/OM

Les Marseillais ouvrent assez vite le score par l’attaquant croate Alen Boksic et Christophe Robert, lui, quitte assez vite ses coéquipiers, victime d’une blessure simulée ou pas, on ne le saura jamais. Valenciennes a besoin d’une victoire mais c’est l’OM qui l’emporte 1-0. Robert n’a presque pas joué, Burruchaga a été transparent et Glassmann s’est battu en vain... Mais les dirigeants de l’US Valenciennes, sans doute excédés par leur défaite, décident, à la mi-temps, de poser des réserves techniques sur le match. Dans le vestiaire du stade Nungesser, Jacques Glassmann lance une première alerte auprès des médias présents, sur cette tentative de corruption, sans citer de noms. De toute façon, la plupart des journalistes n’y voient qu’une réaction amère à la défaite des Nordistes et à six jours de la finale européenne de l’OM, seul le destin glorieux des Marseillais compte.

Vendredi 21 mai. Les accusations de Glassmann viennent jusqu'aux rédactions parisiennes mais sa déclaration faite la veille au micro d’Olivier Rey de France 2, ami de Bernard Tapie, est introuvable. Je décide alors de solliciter de nouveau Glassmann et de le rencontrer dans un parc public de Valenciennes. Sa colère est toujours présente et veut dénoncer les corrupteurs. Au journal de 20h de France 2 du samedi 22 mai, dans son pullover blanc et les cheveux longs sur les yeux, il déclare ceci devant notre caméra : "Oui , c’est Jean-Pierre Bernès qui m’a proposé 200.000 francs pour laisser gagner l’OM. Somme que j’ai refusée !". Déclaration choc, reprise par l’AFP dès 20h40. Nous rediffusons son témoignage accablant le lendemain dans Stade 2, dirigé par Patrick Chêne.

 

 L’affaire VA-OM explose véritablement ce soir-là

Le mercredi 26 mai, l'OM gagne la Coupe d’Europe des Clubs Champions face au Milan de Berlusconi, mais l’affaire VA-OM, devenue l’affaire Glassmann , n’est pas enterrée pour autant. Car la Ligue Professionnelle, présidée à l’époque par Noël Le Graët, porte plainte contre X et le procureur de Valenciennes, Eric de Montgolfier, future star des médias, ouvre une information judiciaire. C’est le juge Bernard Beffy qui mène l'enquête, c’est de Montgolfier qui agite le cocotier. Au point que Bernard Tapie lui-même, souhaite rencontrer ce procureur de province, pour convaincre la justice de l’absence de corruption...

Mais Tapie va trop loin et tente d’acheter le silence de l'entraîneur de Valenciennes, Boro Primorac. Puis les gendarmes retrouvent l’argent de la corruption, dans le jardin de la belle-mère de Christophe Robert, dans le Périgord ! Ainsi que des billets au siège de l’OM, identiques à ceux de l’enveloppe, remise la veille du match de la honte sur le parking du Novotel de Valenciennes, par Jean-Jacques Eydelie, à l’épouse de Christophe Robert... On nage en plein roman noir. Mais c’est aussi une terrible réalité que la France entière découvre.

Après aveux, Bernès, Eydelie, Robert et Burruchaga sont mis en examen pour corruption passive le 7 juillet. Le 6 septembre 93, l’UEFA exclut l’OM des Coupes d’Europe, les Marseillais voient aussi leur titre de champion de France suspendu... Tapie qui monte au créneau partout et à tout moment, ment jour après jour pour soutenir Jacques Mellick venu à son secours. Il est lui aussi mis en examen le 10 février 1994. Le 22 avril, l’Olympique de Marseille, deuxième de Division 1, est relégué en Division 2 ! Enfin, en mars 95, c’est le procès de l’affaire VA-OM. Verdict : Tapie part en prison à la Sante puis à Luynes pour un an ferme en février 97, mais sera libéré en conditionnelle le 25 juillet. Bernès est condamné à deux ans avec sursis, Eydelie à un an avec sursis, Robert et Burruchaga à six mois avec sursis. Tandis que Jacques Glassmann n’aura droit qu’à un franc de dommages et intérêts pour préjudice moral...

Jacques Glassmann, l’homme qui a dit la vérité et tenu tête à Bernard Tapie, l’intouchable chouchou de la Mitterrandie, est lâché par le milieu du foot. Seul l’exil à la Réunion le mettra à l’abri des insultes, des coups bas, des mauvais regards. C’est grâce à l’UNFP, l’Union Nationale des Footballeurs Professionnels qui lui a tendu la main, qu’il a repris sa place dans le football français. Et retrouvé sa dignité.

L’affaire VA-OM a mobilisé les médias plus que pour la Guerre du Golfe ou l’affaire Grégory. Le feuilleton de la corruption dans le football français a marqué les esprits. Sans le courage de Jacques Glassmann et la ténacité de sa compagne Audrey, comment et quand ce système, mis en place par un homme, aurait-il pris fin ?

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