Qualifications Euro 2025 : en avance sur la France, l'Angleterre veut encore accélérer la professionnalisation du football féminin

Le match Angleterre-France, vendredi, fait se rencontrer deux modèles. A la professionnalisation balbutiante des clubs français s'oppose un système plus structuré, qui mise aussi sur l'extrasportif pour attirer un nouveau public.
Article rédigé par Gabriel Joly - avec Maÿlice Lavorel
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié
Temps de lecture : 8min
Les joueuses de l'équipe d'Angleterre après leur victoire en Irlande pour le compte des qualifications à l'Euro, le 9 avril 2024. (PAUL FAITH / AFP)

De part et d'autre de la Manche, le football féminin se structure. D'un côté, la France, qui n'a jamais atteint la finale d'un Mondial, d'un Euro ou des Jeux olympiques, va entrer de plain-pied dans le professionnalisme avec l'ère de l'Arkema Première Ligue. De l'autre, l'Angleterre, vice-championne du monde et championne d'Europe en titre, que les Bleues affrontent vendredi 31 mai à Newcastle en qualifications de l'Euro 2025, accélère.

Alors que leurs clubs sont professionnels depuis 2018, les deux premières divisions, la Women's Super League (WSL) et le Women's Championship, vont s'émanciper de la Fédération anglaise (FA) dès la saison prochaine. Sur le modèle de la Premier League masculine, elles seront gérées par une société indépendante dont les clubs seront les actionnaires, temporairement baptisée NewCo.

Une initiative annoncée le 28 novembre 2023, après validation unanime des 24 clubs de ces championnats. Le but est de prendre le relais de la FA, qui développe le football féminin depuis la création de la WSL en 2011, mais ne peut pas prioriser cette mission au détriment des équipes amateurs ou de ses autres compétitions. A l'inverse, NewCo pourra être focalisé à 100% sur l'enjeu de générer plus de recettes et améliorer les infrastructures des clubs. "C'est la conséquence naturelle de la progression du football féminin ici", juge Emma Smith, journaliste à la BBC.

"L'intérêt n'a cessé de croître depuis le Mondial 2015, où l'Angleterre a terminé troisième. Et il a évidemment explosé après la victoire des Lionesses à l'Euro 2022. Je pense qu'il y a eu une acceptation générale du fait que, pour encore progresser, le football féminin avait besoin d'un certain degré d'indépendance. Cela fait partie d'un plan à long terme", poursuit-elle. Six saisons après son entrée dans l'ère du professionnalisme et l'obtention de contrats moins précaires pour les joueuses, l'Angleterre entre ainsi dans une deuxième phase.

Public familial et ambiance de festival

"Le football anglais n'est pas spécialement meilleur qu'en France. Ce qui fait son succès, c'est le marketing incroyable, comment on vend le produit, a assuré Kenza Dali, milieu d'Aston Villa et des Bleues, lors de l'événement House of WePlayStrong, en marge de la finale de Ligue des champions à Bilbao, samedi 25 mai. Quand vous marquez un but en Angleterre, il y a 50 caméras, des ralentis et ça fait le tour des réseaux. En D1, il faut aller le chercher au fin fond de YouTube… Parfois, j'essaie de suivre mes copines et c'est difficile de trouver les matchs."

Pour s'assurer d'une durabilité financière à long terme, NewCo compte miser sur "un produit différent et un public différent", comme l'expliquait à Sky Sports en janvier Nikki Doucet, nommée présidente après avoir passé près de 20 ans dans le sport et la finance, notamment chez Nike.

"Ce que les clubs connaissent du football masculin peut ne pas fonctionner exactement pareil chez les femmes. Il y a une atmosphère de festival autour du football féminin. C'est accueillant, inclusif, fun et passionné, évidemment, mais sans jugement."

Nikki Doucet, présidente de NewCo

à Sky Sports

Le postulat de départ est que le football féminin "touche un public beaucoup plus jeune et plus familial, avec plus de femmes en tribunes", résume Emma Smith, qui assiste régulièrement aux rencontres. Autant d'éléments que NewCo compte faire fructifier pour créer une identité propre à la WSL, susceptible d'attirer des investisseurs. L'accent est donc mis sur la préservation du lien entre supporters et joueuses, mais également de cette ambiance de "festival".

"NewCo veut ramener des food trucks autour des stades pour plaire à un public familial, mais aussi un DJ à la mi-temps. L’idée, c’est que cela corresponde à une sortie en famille", explique la journaliste, qui nuance : "On peut se demander s’il ne faudrait pas traiter avec plus de respect ces joueuses professionnelles".

La section féminine d'Arsenal a battu le record d'affluence de la WSL lors de la réception de Manchester United à l'Emirates Stadium, le 17 février 2024. (MI NEWS / AFP)

Toujours est-il que sur l’exercice 2023-2024, la WSL a enregistré son record d’affluence avec 971 000 spectateurs (contre 176 000 en D1 française), soit environ 300 000 de plus que la saison précédente. Arsenal a aussi battu le record sur un match avec 60 160 personnes rassemblées à l’Emirates Stadium pour la réception de Manchester United le 17 février. A tel point que le club a décidé de faire jouer tous les matchs à domicile de sa section féminine dans l'antre habituel des hommes l'an prochain.

"C’était un rêve inatteignable, cela semble surréaliste. Jouer devant autant de monde, c'est une sensation très différente, cela donne la chair de poule et un boost de motivation", s'est réjouit la Gunner et internationale suisse Lia Wälti lors de la journée WePlayStong. Un argument de plus pour vendre à meilleur prix les droits télévisés sur les prochaines saisons. A ce titre, un vieux débat a été rouvert pour offrir une place de choix au football féminin dans les grilles de programmes.

Eviter la mainmise des gros clubs

Depuis 1960, la retransmission en direct de matchs est interdite au Royaume-Uni le samedi de 14h45 à 17h15. Une mesure prise à l'époque afin d'encourager les fans à se rendre au stade pour voir leurs équipes locales dans les divisions inférieures, plutôt que de rester devant la télévision pour un choc de l'élite. Mais avec cette prise de conscience que le football féminin n'attire pas la même audience que son pendant masculin, la question de la levée de ce blackout pour les femmes a été soulevée. 

Le gouvernement britannique a même estimé que ce serait "une option viable pour soutenir le football féminin et augmenter de manière significative ses revenus de diffusion et commerciaux", arguant qu'on pourrait, dans le cas contraire, "dédommager le football féminin pour cette occasion manquée" de générer des bénéfices. Craignant que les mastodontes (Arsenal, Chelsea, Manchester City et Manchester United) ne s'approprient tous les revenus, les plus petits clubs espèrent profiter de ces négociations pour obtenir une répartition égalitaire de cette manne.

Pour l'heure, la possibilité est en suspens, NewCo ayant renouvelé pour un an son contrat de droits TV avec Sky Sports et la BBC. De quoi lui permettre de travailler pour mieux négocier mi-2025. "La question sera de savoir si, oui ou non, la WSL veut suivre la même voie que la Premier League ou la Ligue des champions chez les hommes, avec une diffusion payante au Royaume-Uni", interroge la journaliste de la BBC Emma Smith. 

Les joueuses de Chelsea célébrant leur cinquième titre consécutif en WSL sur le terrain de Manchester United, le 18 mai 2024. (CONOR MOLLOY / AFP)

Une chose est claire : l'Angleterre – qui compte 3,4 millions de licenciées selon les derniers chiffres de 2020, quand la France en recense 250 000 – essaye de mettre les bouchées doubles avec cette prise d'indépendance de la WSL et du Championship. "L'écart à combler avec les autres pays n'est pas grand, ce n'est qu'une question de temps. De plus en plus d'équipes investissent, de nouvelles joueuses rejoignent l'Angleterre pour renforcer la WSL. Je pense que dans deux-trois ans, vous verrez une équipe anglaise en finale de C1", prédit Lia Wälti. Pour l'heure, seuls Arsenal, vainqueur en 2007, et Chelsea, battu par Barcelone en 2021, ont atteint la finale de la Ligue des champions.

Questionné lors des Trophées de la D1 Arkema, fin avril, au sujet d'une éventuelle émancipation de la nouvelle Ligue féminine de football professionnel (LFFP) par rapport à la fédération française, Jean-Michel Aulas, président de la LFFP, avait quant à lui estimé ne pas être "un partisan d'une ligue complètement autonome" à l'avenir.

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