Football : Gianluigi Buffon, l'un des derniers romantiques du ballon rond, raccroche les gants à 45 ans
De cette formidable génération de gardiens de but des années 2000, il restera à jamais le dernier des Mohicans. Contemporain des illustres Iker Casillas, Oliver Kahn ou Edwin van der Sar, Gianluigi Buffon a prolongé le plaisir plusieurs années après ces grands noms. Même la quarantaine allègement dépassée, personne ne cillait de ses multiples prolongations de contrat, tant sa santé semblait intacte. A 45 ans et demi, et après plus d'un quart de siècle d'une longue aventure débutée et achevée à Parme, le mythique portier transalpin a finalement raccroché ses gants pour de bon, en l'annonçant sur ses réseaux sociaux, mercredi 2 août.
Sportivement, Buffon était une icône. De la trempe de ceux dont le poncif dit qu'ils ont "révolutionné" leur poste. Intimement lié à la Juventus, il en a gardé la cage pendant 19 ans, savourant d'innombrables succès (10 Serie A, 6 Coupes) et frôlant le graal continental à trois reprises (défaites en finale de Ligue des champions en 2003, 2015 et 2017). Avec la Nazionale qu'il a menée au titre mondial en 2006, il collectionne les records. Ses 176 capes constitueront par exemple pour longtemps, une marque proche de l'inatteignable.
Une fidélité anachronique
S'arrêter à ces données brutes s'avère pourtant largement insuffisant pour décrire la trace laissée par Gigi Buffon dans l'histoire de son sport. Parfois galvaudé, le terme de "légende" semble ici taillé sur mesure pour son mètre 92. Sa détente soignée et son charisme débordant ont fait de lui l'un des emblèmes de son poste et l'ont rendu, presque naturellement, consensuel. Et qu'importe s'il exprimait en 2022 dans France Football son aversion du "politiquement correct".
Ses choix de carrière ont forgé cette image de gentleman. Lorsque sa Juve, le nez plongé dans le scandale Calciopoli à l'été 2006, est rétrogradée en Serie B, il fait fi des multiples convoitises et rempile. Cette fidélité jusque dans l'anonymat lui a-t-elle coûté le Ballon d'Or, finalement remis à Cannavaro qui, lui, a déserté la deuxième division pour le Real Madrid ? Quinze ans plus tard, plutôt que de raccrocher à la fin de son contrat à la Juventus en 2021, il s'est replongé dans cette antichambre pour rembobiner le fil avec Parme, son club formateur, à plus de 43 ans.
Cette forme ultime du romantisme, forcément anachronique dans un football toujours plus mondialisé, est parfois romancée. On en oublierait presque que, 20 ans avant son retour, Buffon a quitté Parme – alors au sommet du Calcio – pour la Juve, auréolé d'une réputation de traître. Un tricot brodé d'une maxime mussolinienne (Boia chi molla" ("Celui qui abandonne est un bourreau") exhibé sur un terrain à la fin des années 1990 l'a longtemps poursuivi.
Emerveillé par Chagall
L'intéressé, à peine majeur au moment des faits et qui ne cache pas ses accointances avec la droite italienne, a alors plaidé l'ignorance du message politique. L'émanation de la "classe à l'italienne" en a aussi pris un coup lorsque son addiction aux paris sportifs – pratique prohibée pour les footballeurs – a été révélée, en 2012.
Malgré ces parts d'ombre et une relative discrétion qui renforce son côté mystique en Italie, il ne s'est jamais détaché de cette image du gendre idéal. Lui-même aime la cultiver. Oubliable sur le terrain, son passage éclair au Paris Saint-Germain (2018-19) lui a permis à d'arpenter incognito les musées de la capitale. Pour entériner son départ de la Ville Lumière, l'homonyme du célèbre naturaliste cite Hemingway. Tout en croisant le chemin du champion du monde français 2018 Kylian Mbappé, lui qui avait été équipier, près de 20 ans avant, d'autres champions du monde tricolores, ceux de 1998, Zinédine Zidane et Didier Deschamps (à la Juventus) ainsi que Lilian Thuram (à Parme et à Turin).
Ce côté "intello", Gianluigi Buffon l'aurait découvert en contemplant des toiles de Chagall pour soigner une dépression en 2004. Celui-ci a sans doute atteint son paroxysme lorsque le quadragénaire s'adonne à une introspection, en publiant en 2021 une lettre... au jeune Gigi Buffon de 17 ans, le mettant en garde face aux vices du football professionnel. Celle-ci s'achevait ainsi : "Tu es Buffon.Tu feras voir au monde que tu existes." En 28 ans de carrière, la légende du natif de Carrare est gravée dans le marbre.
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