Troisième âge du foot et paillettes : l'étrange recette du championnat indien pour vous faire rêver
Nicolas Anelka, David Trezeguet et Alessandro Del Piero figurent au casting d'un improbable championnat de trois mois, dans un pays où le football est largement éclipsé par le cricket.
Des vieux grognards sur le retour se rassemblent pour une toute dernière mission. Expendables, avec Sylvester Stallone et Arnold Schwarzenegger ? Presque : il s'agit d'un remake, avec Robert Pirès, Nicolas Anelka et Alessandro Del Piero qui investissent le championnat indien avec la délicate tâche de rendre fou de football un pays qui vibre surtout pour le cricket. Et ce, en trois mois. Sur vos écrans le 12 octobre. Voilà à quoi ça va ressembler.
Le scénario : un mélange entre la NBA et la Ligue des champions
L'Indian Super League, c'est un championnat rassemblant huit équipes disséminées dans le pays avec un savant dosage de stars (au moins une par équipe), d'étrangers et de joueurs locaux. Tous les clubs ont été créés pour l'occasion : l'Atletico Kolkota, situé à Calcutta, est en partie propriété de l'Atletico Madrid. Certains noms font penser à des franchises NBA, comme les Kerala Blasters ou les Chennai Titans. D'autres à des clubs soviétiques, comme le Dynamo Delhi.
Les producteurs : des milliardaires aux dents longues
La compétition est née grâce aux fonds de la compagnie de marketing sportif IMG, du groupe indien Reliance, et de l'intérêt de Star TV, la principale chaîne indienne, propriété du célèbre magnat australo-américain Rupert Murdoch. Le format de la compétition n'a rien d'original : c'est un copié-collé à peine caché de l'Indian Premier League, une compétition privée de cricket qui se joue sur trois mois et génère des profits considérables. Et aussi un remake du précédent projet de ligue privée, la Premier Soccer League, échafaudé fin 2012, avec déjà le Français Robert Pirès en tête d'affiche. Un projet abandonné faute de fonds.
L'ambition : se faire une place derrière le cricket
Les Indiens adorent le foot. La fédération indienne de football estime qu'il y a davantage de téléspectateurs de la Premier League anglaise en Inde qu'au Royaume-Uni (il faut dire que l'Inde compte 1,2 milliard d'habitants). Interviewé par Sports Business International, Sepp Blatter, le patron du foot mondial, a qualifié l'Inde de "géant endormi" du football, puis de "nouveau marché". Seul le journaliste qui l'a interrogé sait si les yeux du patron de la Fifa se sont transformés en symbole du dollar, comme dans les bandes dessinées. "L'objectif est de devenir le deuxième sport que le pays attend depuis si longtemps", estime Uday Shankar, de la chaîne Star India. Pour le moment, c'est... le hockey sur gazon qui détient ce titre.
Le casting : 20% de papys stars, 80% d'anonymes
Les promoteurs de ce championnat avaient vendu du rêve : "Il y a une forte probabilité que Thierry Henry, David Beckham ou Raul jouent en Indian Super League", affirmait-on chez IMG en 2013, note New Indian Express (en anglais). Aucun n'est venu. Ronaldinho a fait faux bond, préférant s'engager avec une équipe mexicaine. Au lieu des mégastars espérées, Alessandro Del Piero (39 ans), vedette de la Juventus Turin pendant une décennie, David Trezeguet (36 ans) ou Robert Pirès (40 ans) – à la retraite depuis deux ans – constituent les têtes de gondole du championnat (pour un salaire de 1,1 million d'euros les trois mois pour Del Piero, la moitié pour Pirès, d'après le Times of India). D'excellents joueurs, mais pas des rock stars capables de déclencher les passions.
Des joueurs locaux et un contingent de footballeurs étrangers anonymes, inconnus du grand public, complètent les équipes. Sans leur faire injure, il n'y a guère que les fans de Ligue 1 à qui les noms de Cédric Hengbart, Bernard Mendy ou Apoula Edel disent quelque chose.
Le vrai casting : dans les gradins
Les vraies stars de l'Indian Super League ne seront pas sur le terrain début octobre. Mais dans la tribune présidentielle. Le joueur de cricket Sachin Tendulkar, pratiquement un demi-dieu en Inde, a investi dans une des huit équipes, tout comme le gratin de Bollywood. Ce sont eux qui passionnent les foules : quand Sachin Tendulkar s'est rendu au stade de Kochi, plusieurs milliers de personnes ont tenté de l'approcher.
Certains entrepreneurs indiens y sont aussi allés de leur chèque. Mais pas le plus connu d'entre eux, Lakshmi Mittal, pourtant amateur de football puisqu'il détient un tiers des parts du club londonien des Queens Park Rangers.
La concurrence : moribonde
Chose inédite dans le football : la fédération indienne a sabordé le championnat régulier, l'I-League, pour faire de la place à l'Indian Soccer League. L'I-League était déjà mal en point : plusieurs clubs majeurs du pays comme le Mahindra United, le plus prestigieux club de Bombay, ou le JCT FC, le meilleur club du nord du pays, ont disparu à la fin des années 2000. IMG, le promoteur de l'Indian Soccer League, a fait son marché dans les joueurs du championnat pour en retenir 80. Les autres sont au chômage technique jusqu'en décembre, date de la reprise de l'I-League, qui a été décalée pour ne pas concurrencer l'ISL. "Toute injection d'argent dans le foot indien ne peut pas faire de mal. Le championnat ne peut pas être en pire état qu'il n'est actuellement", constate, fataliste, l'ancien international Chuni Goswami, cité par Bloomberg (en anglais).
Le public : exigeant
Quand, il y a quelques semaines, Zico – oui, le génial footballeur brésilien des années 1980 – a débarqué à l'aéroport de Goa, prêt à entraîner l'équipe locale, aucun voyageur n'a levé les yeux de son journal. Pas un chasseur d'autographe ni de groupie énamourée, pas de badaud curieux ni de collectionneur de selfies. Les seuls qui se battent pour être sur la photo, ce sont les représentants de la fédération de l'Etat de Goa. En guise de cadeau de bienvenue, six malheureuses couronnes de fleurs et une horde de reporters, rapporte le Times of India (en anglais).
Comme le résume crûment Chuni Goswami, capitaine de l'équipe nationale dans les années 1960, sur le site de Bloomberg (en anglais), "les organisateurs risquent d'avoir du mal à remplir les stades". Surtout avec des passionnés biberonnés à la Premier League depuis leur plus tendre enfance : "Les fans les plus jeunes ont grandi avec le championnat anglais, la Liga ou la Bundesliga. Ils ne se contenteront pas de quelque chose de moins bien", prophétise l'ancien international Satyajit Chatterjee dans l'International Business Times (en anglais).
Le box-office : incertain
Une des principales critiques adressées à la défunte Premier Soccer League, c'était le prix pharaonique des billets. Les organisateurs de l'ISL ont (un peu) rectifié le tir, avec des billets tout de même quatre fois plus chers qu'un match de championnat local classique. N'empêche, il n'est pas sûr que les fans se bousculent dans les gradins de stades fraîchement rénovés. Ce que résume Bhargab Sarmah, spécialiste du football indien, sur le Huffington Post britannique (en anglais) : "Les billets qu'on nous vend feront plus de bien au compte en banque de Rupert Murdoch qu'au football indien."
La bande-annonce : hollywoodienne
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