Violences des parents dans le football : "Tant qu'il n'y a pas de drame, on ne prend pas conscience de la situation", avertit un ancien éducateur
Menaces avec un couteau, agressions verbales de parents… Depuis plusieurs jours, le monde du football amateur est secoué par une accumulation de comportements violents envers des éducateurs, de la part de parents. Yacine Hamened, ancien éducateur dans des clubs amateurs, et auteur du livre Les hors-jeu du football français (éditions Talent Sport), revient sur ce phénomène préoccupant et pointe plusieurs responsables.
Franceinfo: sport : Plusieurs actes de violences envers des éducateurs, allant jusqu’à des menaces avec un couteau, ont récemment été rapportés. Est-ce un phénomène nouveau ?
Yacine Hamened : Le phénomène n’est pas nouveau. Mais j’ai l’impression que la concentration sur une courte période de tous ces événements violents est nouvelle. Ça prend des proportions en termes d’actes violents avec armes ou coups, qui deviennent extrêmement préoccupantes. Avant, ce type d’actes se déroulaient plus largement dans les gros clubs. Maintenant c’est partout, même dans des clubs plus familiaux.
On parle beaucoup du "projet Mbappé", qui consiste à faire de son enfant la prochaine pépite du football français. Est-il un catalyseur de ces violences ?
Évidemment que ce fameux "projet Mbappé" est un accélérateur de ces violences parce qu’on entend parler de chiffres faramineux sur les salaires. Mais je pense que ce n’est qu’une des raisons qui expliquent tout ça.
On stigmatise les parents - à raison - parce que personne ne mérite d’être menacé avec un couteau. Mais ils ne sont pas les seuls responsables. S’ils se comportent comme ça, c’est qu’à un moment donné, on leur a permis de le faire.
A qui faites-vous référence ?
Les éducateurs sont aussi dans cette recherche du futur Kylian Mbappé. Ils ont l’objectif d’être le conseiller de ce nouveau joueur. Il faut savoir qu'ils sont payés plus ou moins 200 euros par mois. Tant qu’ils ne gagneront pas leur vie, il y aura ce rapport avec les enfants et les parents de faiseur de roi ou d'agent.
Mais vous avez aussi les clubs et la fédération qui sont coupables de ce laxisme. Quand les parents se comportent mal, les clubs ne prennent pas forcément de sanctions. Pourquoi ? Un, ils perdent le joueur. Deux, ils perdent la licence. Trois, parfois c’est un enfant de la ville. Et quatre, de toute façon on sait qu’il retrouvera un club.
Aujourd’hui, pour attirer un bon joueur, les éducateurs et les clubs promettent beaucoup de choses : ça peut aller de la gratuité de la licence, aux équipements mais aussi - et c’est même surtout ça - des contacts avec des clubs pros. On promet qu’on va les envoyer faire des essais, qu’on a des entrées dans des clubs de formation…
Ne faut-il pas revoir le système sur le fond ? Comment ?
Un enfant de 11 ans peut changer deux ou trois fois de club dans l’année, c’est la responsabilité de la Fédération française de football (FFF). Quand un enfant signe en U9 ou U11 dans un club en septembre, il n'y a aucune raison - excepté pour des raisons familiales ou scolaires - qu'il aille dans un autre club en octobre ou novembre parce qu’il ne joue pas et qu’il fasse la même chose en janvier.
La FFF doit bloquer tout ça. C’est un peu artificiel au départ, mais je pense qu’on va créer un contexte qui permet d’avoir un peu plus de recul, retrouver du dialogue entre les parents et les éducateurs.
"Les clubs doivent aussi créer de la solidarité. Ils doivent refuser de prendre un joueur dont les parents ont été violents avec les éducateurs et qui quitte un club pour aller dans un autre."
Yacine Hamened, ancien éducateurà franceinfo: sport
Je ne suis pas sûr que tout le monde ait envie de ces changements. Parce que le football français forme des joueurs, les exporte, est double champion du monde (1998, 2018)...
Pourquoi punir les enfants alors qu’ils sont les premières victimes du comportement de leurs parents ?
Malheureusement on ne peut pas interdire à un parent de venir sur un stade, c’est un lieu public. Il faudrait porter plainte, attendre un jugement, avoir des gens qui puissent contrôler les entrées, c’est trop compliqué. Le seul moyen de pression sur les parents c’est ça : s’il y a agression au mois de novembre, votre enfant ne jouera plus, et ce jusqu’en juin. Ça permettrait peut-être de ne pas aller aussi loin et de dialoguer plutôt que de tomber dans la violence.
Ce n'est pas la solution idéale, mais il faut prendre ses responsabilités. On ne peut pas laisser des parents menacer ou agresser des éducateurs. Et en plus, on donne le mauvais exemple à l’enfant. Au lieu de le laisser travailler et de lui dire : "Il faut que tu bosses plus", on lui montre que dès que c’est dur, la violence résout tout.
Des clubs ont pris la décision de suspendre les matchs ou de faire jouer les enfants à huis clos… Ce sont des solutions efficaces ?
C’est un début de solution parce que ça va ramener un peu de calme. Mais c’est une solution sur le court terme. On parlait de sanction envers les enfants, mais là on sanctionne aussi des parents qui se comportent bien. Tant qu’il n’y aura pas de drame, on a l’impression qu’on ne prend pas conscience de la situation. C’est à force de ne pas prendre de décision, et d’en prendre une quand il y a un drame, qu’elle est injuste. Si demain, un éducateur décède après des violences, de fortes décisions seront prises et ce seront de mauvaises décisions.
Le statut d’éducateur, celui qui apprend le sport mais qui a aussi une fonction éducative, est-il toujours aussi respecté ?
C’est une figure qui n’est plus aussi forte. Aujourd’hui, vous avez tellement d’émissions de football, de discussion autour du football, que beaucoup de parents pensent maîtriser tous les éléments. Et donc ils ont un avis sur l’éducateur. On peut facilement faire le parallèle avec les enseignants. Des professeurs sont agressés, on leur explique comment ils doivent noter les élèves… Tout est remis en cause : le statut du professeur, de l’éducateur… L’éducateur n’a plus cette figure de "grand frère" aussi. C’est désormais un rapport uniquement de métier et de performance, il n’y a plus d’échanges.
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