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Guerre en Ukraine : "Aujourd'hui, la Russie ne peut pas participer à Paris 2024", explique Lukas Aubin, spécialiste de la géopolitique russe et du sport

Exclue des compétitions internationales après l'invasion de l'Ukraine, la Russie avait misé sur le sport pour développer sa politique extérieure.

Article rédigé par franceinfo: sport - Paul Peret
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
Vladimir Poutine accueille au Kremlin les athlètes russes ayant pris part aux Jeux olympiques de Pékin, le 26 avril 2022. (KREMLIN PRESS SERVICE / HANDOUT / ANADOLU AGENCY)

En 2014, Lukas Aubin était loin d’imaginer que le sport prendrait une telle importance dans les relations internationales entre Moscou et le reste du monde. Dix voyages plus tard en Russie, ce docteur en études slaves contemporaines publiait en 2021, La Sportokratura sous Vladimir Poutine. Une géopolitique du sport russe, aux éditions Bréal by Studyrama.

Un ouvrage de référence pour mieux comprendre comment le président russe utilise le sport pour asseoir son autorité. Un sujet d'autant plus d’actualité depuis l’invasion de l’Ukraine et l’exclusion de la Russie des grandes compétitions à venir. Le livre de Lukas Aubin fera donc l’objet d’une mise à jour avec une réédition à la rentrée.

Franceinfo: sport : Avez-vous été surpris par la décision du CIO de demander aux fédérations sportives internationales d’exclure la Russie ?
Lukas Aubin : Ce qui m’a déjà étonné, c’est la rapidité avec laquelle le CIO a pris sa décision. Quatre jours seulement après l’ouverture du conflit en Ukraine. Ce qui est aussi surprenant, c’est qu’en temps normal, les différentes organisations sportives revendiquent une forme de neutralité et d’apolitisme. Dans le cas présent, nous étions en pleine trêve olympique. Les JO d’hiver venaient à peine de se conclure (le 20 février) et les Jeux paralympiques devaient s’ouvrir dix jours plus tard, toujours en Chine.

Souvenons-nous qu’il y avait eu une succession de demi-mesures précédemment, [participation aux JO sous bannière neutre en 2016 à Rio, sous l’appellation ''Athlètes olympiques russes'' à Pyeongchang en 2018, et ''Comité olympique de Russie'' tant à Tokyo pour les JO 2020 qu’à Pékin pour les derniers Jeux d’hiver en 2022]. Il a fallu une grosse actualité pour parvenir à une telle décision. Un déclic pour l’avenir peut-être.

Vladimir Poutine s’est souvent mis en scène en sportif (judoka, hockeyeur notamment). Est-ce qu'organiser de grands événements sportifs a été l’un des axes majeurs de sa politique ?
Lors de sa prise de pouvoir en 2000, il avait compris tout le prestige, tant domestique qu’à l’extérieur, qu’il pourrait retirer en obtenant de telles compétitions. Après quelques échecs, dont les leçons ont été tirées et analysées, il s’est même investi personnellement. La Russie s’est notamment imposée en 2007 pour l’obtention des JO de 2014 à Sotchi. Vladimir Poutine s’était rendu à la session du CIO à Guatemala City et avait prononcé un discours en anglais. Trois ans plus tard, c’était la victoire pour la Coupe du monde 2018.

Mais la Russie a obtenu d’autres compétitions de renom [comme les championnats du monde d’athlétisme en 2013 ou les championnats du monde de natation en 2015]. Ce qui m’a le plus frappé, c’est l’importance des moyens et des facilités mis en place pour les Universiades d’été en 2013 à Kazan. On était loin de la sobriété attendue pour ce genre de manifestation. Pas de mauvaise surprise au classement par nations : 152 titres remportés pour un total de 285 médailles ! La Chine suivait avec 27 titres et 77 médailles.

Vladimir Poutine, invité spécial d'une session d'entraînement de l'équipe nationale de judo russe à Sotchi, le 14 février 2019. (MIKHAIL KLIMENTYEV / SPUTNIK via AFP)

Le sport est un marqueur pour Vladimir Poutine. Et on a vu des sportifs de renom le soutenir le 18 mars dernier lors d’un meeting organisé au stade Loujniki à Moscou . Cela n’est pas sans rappeler la grande époque de l’URSS ?
Les méthodes sont identiques ! Souvenez-vous du poids sur les épaules des sportifs. Les résultats étaient exploités par le pouvoir et les médaillés obtenaient des avantages. Aujourd’hui, c’est du copier-coller. À une différence près. L’Etat mettait la main à la poche avec les ministères comme l’Intérieur ou la Défense. Maintenant, ce sont les oligarques qui jouent le rôle de mécènes, fortement incités par Poutine à obtempérer.

Et les entreprises y vont de leurs subsides. Certaines sont même des partenaires majeurs de l’économie du sport mondial. Gazprom était l’un des sponsors historiques de l’UEFA et cette dernière a décidé de couper les ponts. Il sera intéressant de voir comment ça va évoluer dans les prochains mois. 

Justement, les oligarques ont joué un rôle majeur lors des Jeux de Sotchi en 2014...
Pour financer la facture globale, soit près de 50 milliards de dollars, Vladimir Poutine leur a demandé de sortir le carnet de chèques. Mais on peut s’étonner que la plupart des équipements sportifs hivernaux n’aient pas accueilli de grandes compétitions internationales depuis. Ces facilités servent localement et aussi pour des entraînements des rassemblements nationaux. Le seul événement qui a survécu aux JO n’a rien à voir avec les Jeux, c'est le Grand Prix de Formule 1. Mais le conflit actuel avec l’Ukraine a eu raison de son maintien au calendrier !

Sotchi est aussi synonyme d’un scandale de dopage hors-normes…
Je ne reviendrai pas sur les détails, le documentaire Icarus primé aux Oscars a tout raconté. Mais cela rappelle que c’est malheureusement dans la culture du pays. Il y a eu de forts soupçons notamment lors des JO à domicile de Moscou en 1980 et s’il n’y avait pas eu le boycott des Jeux de Los Angeles en 1984 côté soviétique, il était prévu qu’un navire mouillerait au large et qu’il servirait à "préparer" les athlètes sélectionnés et les contrôler en amont.

Les médaillés olympiques russes sur scène, avec un Z sur la veste (symbole que l'on retrouve sur les chars russes durant l'envahissement de l'Ukraine), lors du meeting organisé par Vladimir Poutine au Stade Loujniki, le 18 mars 2022. (ALEXANDER VILF / SPUTNIK via AFP)

Que penser alors de l’affaire Kamila Valieva ?
On a vu l’ampleur des moyens déployés pour la disculper et pour qu’elle puisse participer à l’épreuve féminine individuelle. Une affaire d’état. Dopage organisé ou pas ? La coach mêlée à cette affaire ou innocente ? La Russie se retrouve dans une situation périlleuse. On l’a vu, elle ne participe plus aux JO sous le nom de Russie depuis 2016.

Le CIO n’avait pas osé l’exclure nommément mais s’était contenté de demi-mesures. Il cherchait des excuses. Lorsque le conflit en Ukraine sera terminé, il faudra sérieusement se poser la question pour les futurs Jeux olympiques. La Russie donne du grain à moudre pour Paris 2024 et au-delà. Aujourd’hui, elle ne peut pas participer aux Jeux de Paris.

Quel peut être l'avenir de la Russie alors ? 
Vladimir Poutine a fait du sport un outil de communication important. Il faut reconnaître qu’il a obtenu des résultats non négligeables en termes de santé publique du peuple russe. En 2000, 20% de la population pratiquait une discipline sportive ; 20 ans plus tard, cette proportion a doublé. Par ailleurs, les statistiques de l’OMS reconnaissent que le tabagisme et l’alcoolisme ont reculé en Russie. En ce qui concerne le sport de haut niveau, il y a une volonté de briser l’isolement actuel.

Pendant que les championnats du monde de patinage artistique se déroulaient fin mars à Montpellier [sans la Russie], le patinage artistique russe s’était donné rendez-vous à Saransk pour une épreuve organisée par Channel One, la première chaîne de télévision russe. Mais personne n’en a parlé, en dehors de la Russie. On s’affaire aussi pour organiser des compétitions avec des pays amis ou la Chine [les deux pays envisagent même une candidature commune pour organiser les championnats du monde féminin de handball en 2029 ou 2031]. La question qui restera à régler sera celle d’une réintégration dans le concert mondial. Quand ? À quel prix ? Avec quels acteurs ?

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