Guerre en Ukraine : comment la Russie de Vladimir Poutine est passée de place forte à paria du sport mondial
Si l'annexion de la Crimée en 2014 et les affaires de dopage avaient déjà ébranlé la puissance sportive russe, la guerre en Ukraine a été un tournant, expliquent des spécialistes à franceinfo: sport.
Depuis le jeudi 24 février, tout a changé pour la Russie. En lançant une offensive militaire sur le sol ukrainien, Moscou a franchi un point de non-retour sur la scène internationale. Les réactions politiques, géopolitiques, économiques, ont été nombreuses, y compris dans le monde du sport. De nombreuses fédérations sportives internationales, dont la Fifa et l'UEFA, ont exclu ou suspendu les athlètes russes et biélorusses des compétitions à venir. Même le Comité international olympique (CIO) a "recommandé" leur exclusion, sanction appliquée à ces athlètes à deux jours de l'ouverture des Jeux paralympiques.
"Par son ampleur et sa rapidité, cette exclusion quasi totale de la Russie par l'ensemble du mouvement sportif mondial est du jamais-vu dans l'histoire", constate Lukas Aubin, docteur en géopolitique, spécialiste de la Russie et du sport. "Ce qui se passe était inimaginable il y a encore une semaine, confirme Jean-Baptiste Guégan, enseignant en géopolitique du sport. On est dans de l'inédit, dans un schéma où on ne peut pas utiliser les grilles de lecture du passé. Ce n'est pas la guerre froide, on est au-delà."
Plus seule que jamais
En quelques jours, voilà la Russie devenue paria, isolée de tous. Pourtant, il n'y a encore pas si longtemps, sa position sur la scène sportive mondiale était tout autre.
Depuis son arrivée au pouvoir en 2000, Vladimir Poutine n'a eu de cesse de redonner à la Russie sa puissance sportive d'antan, et par là même un rayonnement international. Ces choix sont articulés autour d'un narratif assez clair, selon Lukas Aubin : "Il met en avant le fait que sans le sport, il n'aurait pas pu devenir un homme, sortir des bas-fonds de Leningrad [Saint-Pétersbourg], et que sans lui, il serait devenu un voyou." "Quand Vladimir Poutine arrive au pouvoir, une de ses premières décisions est de faire venir au Kremlin Anatoli Rakhline, son ancien entraîneur de judo, qu'il a rencontré à 11 ans. L'usage du sport à travers sa politique commence à ce moment-là", poursuit le chercheur
Le maître du Kremlin a alors employé les grands moyens, notamment en faisant appel aux oligarques pour financer ses projets en la matière, aux hommes et femmes politiques pour les organiser, et les athlètes ou anciens champions de haut niveau pour le promouvoir.
Le pays a aussi organisé en l'espace de dix ans deux des trois plus grands événements sportifs : les Jeux olympiques d'hiver en 2014, et la Coupe du monde de football en 2018.
"Entre 2005 et 2015, la Russie a candidaté très régulièrement, presque de façon systématique, pour accueillir les plus grands événements sportifs de la planète. Et globalement, cette stratégie a fonctionné."
Lukas Aubin, docteur en géopolitique, spécialiste de la Russie et du sportà franceinfo: sport
Ainsi, la Russie s'est affirmée tout au long de la décennie 2010 comme un acteur incontournable du sport. "Poutine a complètement réussi à réaffirmer la puissance sportive russe sur la scène internationale. Il est parvenu à lui redonner une place qui était celle qu'avait l'URSS", constate Jean-Baptiste Guégan.
Mais en parallèle, Moscou a aussi montré un tout autre visage, qui a peu à peu grippé la machine. L'annexion de la Crimée en 2014 par Poutine a été critiquée au-delà des frontières russes, même si les sanctions ont été bien moindres que celles d'aujourd'hui. Sur le plan purement sportif, l'image dorée de la Russie s'est ternie juste après les Jeux de Sotchi, avec les révélations du scandale d'un dopage systématique des athlètes russes.
"A ce moment-là, on commence à voir la face sombre du régime, poursuit Jean-Baptiste Guégan. Autrement dit, l'instrumentalisation du sport se fait sans limites et sans contre-feu, avec une priorité donnée aux résultats plus qu'à l'élaboration d'une politique publique respectueuse et rigoureuse des règles et des athlètes." Les réponses internationales se font alors plus lourdes, avec l'exclusion de la Russie des compétitions internationales, même si les athlètes du pays ont pu continuer de concourir sous bannière neutre.
Le conflit ukrainien a donc conduit à un durcissement inédit des positions du monde du sport. "Aujourd'hui, la rupture est historique. C'est la fin de l'apolitisme de façade de toutes les institutions sportives, qui se sont alignées sur une décision du CIO."
"Ces dernières années, on est passé de la suspicion à une condamnation, puis à une situation d'exclusion. La réaffirmation géopolitique de la puissance russe sur la scène mondiale a été menée par le sport, elle va aussi se payer par le sport."
Jean-Baptiste Guégan, enseignant en géopolitique du sportfranceinfo: sport
Des traces indélébiles ?
La Russie conservera-t-elle ce statut de paria de manière durable ? "Il est très difficile de le dire à l'heure actuelle", estime Lukas Aubin. Pour les experts interrogés, les conséquences dépendront de la manière dont la Russie sortira du conflit, et si Vladimir Poutine reste aux commandes du pays. "La résolution diplomatique et géopolitique du conflit va avoir une incidence directe sur le retour ou non de la Russie dans le sport, et à quelle place, souligne Jean-Baptiste Guégan. Si le conflit se termine par des négociations et un cessez-le-feu, évidemment toutes les fédérations internationales vont rouvrir leurs portes aux sportifs russes, car ils ne sont pas responsables." Dans le cas contraire, les mobilisations pourraient se poursuivre.
"A un moment, il faudra reconstruire les ponts avec la Russie. Mais les questions qui se posent sont : avec qui à sa tête, et dans quel contexte ?", interroge Lukas Aubin. Ce dernier précise qu'à la différence de l'annexion de la Crimée en 2014, "une bonne partie de la population russe et des proches de Poutine ne sont pas dans le soutien inconditionnel de cette invasion".
Toutefois, quoi qu'il arrive sur le plan géopolitique, la Russie ne cessera pas de vouloir s'exprimer sur la scène mondiale sportive. "On n'enlèvera à la Russie ni son potentiel sportif, ni l'envie des Russes de faire du sport et d'y briller, ni encore de porter leurs couleurs", conclut Jean-Baptiste Guégan.
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