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"Corée unifiée" : comment le Nord et le Sud ont bricolé une équipe pour le Mondial de handball

Les Bleus affrontent l'équipe unifiée de Corée, lundi, à Berlin. Cette sélection mixte est le fruit des efforts réalisés par les deux pays de la péninsule en vue de la réconciliation. 

Article rédigé par Fabien Magnenou
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 10min
L'équipe unifiée de Corée, lundi 7 janvier 2019, à Oranienburg (Allemagne), lors de son dernier match de préparation avant le début du championnat du monde de handball.  (J?RG CARSTENSEN / DPA)

Nom de code ? "COR". Drapeau ? Bleu et blanc. Sensation au championnat du monde de handball qui a débuté le 10 janvier en Allemagne : la Corée du Sud et la Corée du Nord concourent sous le même maillot, reprenant ainsi le flambeau de l'équipe féminine unifiée de hockey sur glace qui a disputé les derniers Jeux olympiques d'hiver. A l'époque, le régime de Pyongyang s'était surtout illustré dans les gradins, tant les étranges chorégraphies de ses pom-pom girls avaient marqué les esprits. Cette nouvelle participation dans une grande compétition internationale reste toutefois un symbole fort sur le chemin de la réconciliation.

Pour le championnat du monde, quatre handballeurs du Nord ont grossi l'effectif du Sud, portant le nombre total de joueurs à 20 au lieu de 16 pour les autres formations en lice – après dérogation obtenue auprès de la fédération internationale. Une solution plutôt habile. "L'opinion sud-coréenne soutient généralement les équipes unifiées, précise à franceinfo Antoine Bondaz, chercheur à la Fondation pour la recherche stratégique et spécialiste des deux Corées. Mais elle accepte moins que des joueurs du pays soient retirés au profit de joueurs du Nord."

Gâteaux de riz et porc pour unir les troupes

Le président de la fédération internationale de handball (IHF), Hassan Moustafa, a été l'initiateur principal de ce projet, présenté lors d'une séance de la commission sportive, un organe chargé notamment de préparer les grandes compétitions, puis adopté par le comité exécutif (en anglais). La Corée du Sud étant déjà qualifiée, il a simplement fallu ajouter quelques joueurs. "Une excellente idée", juge également Mark Schober, président de la fédération allemande de handball – dont l'équipe a affronté la Corée en match d'ouverture du Mondial –, interrogé par le site spécialisé Handball World (en allemand).

Le processus de sélection est obscur, mais Pyongyang retient les noms de Pak Jong-gon, Ri Kyong-song, Ri Yong-myong et Ri Song-jin. Trois membres viennent également prêter main-forte au staff, dont l'entraîneur-adjoint Sin Myong-chol. Il a d'abord été question d'intégrer les joueurs nord-coréens au groupe lors de la préparation des joueurs du Sud, en amont du tournoi. Finalement, l'unification a lieu bien tardivement, le 22 décembre, à Berlin. Les Coréens du Nord venaient d'arriver le matin même et ceux du Sud avaient atterri dans la nuit, un peu tard en raison d'un retard à Paris.

Aussitôt, une dizaine de journalistes scrutent leurs premiers pas au centre sportif Horst-Korber, sur le terrain d'entraînement situé en sous-sol. Certains observateurs font notamment remarquer que les quatre joueurs nord-coréens évoluent avec des lacets rouges, signale le Berliner Zeitung (en allemand). Une référence au régime communiste ?

L'équipe de Corée a peu de temps pour que la mayonnaise prenne, mais les deux pays ont mis les petits plats dans les grands. L'ambassadeur de Séoul en Allemagne, Jong Bum-goo, a reçu un ballon dédicacé par les 20 joueurs, après avoir partagé des gâteaux de riz. Sans négliger quelques extras. En cette année du cochon, les joueurs ont également dévoré des poitrines de porc – 120 pour être exact – dans un restaurant coréen situé près de leur hôtel. C'est l'un des rares détails à se mettre sous la dent dans les communiqués distillés par la fédération de Séoul. Les interviews des joueurs nord-coréens, elles, sont rares et policées. "En tant qu'équipe, nous voulons obtenir un résultat solide"s'est contenté de déclarer Ri Kyong-song.

Alors que les joueuses de hockey étaient logées dans des hôtels différents lors des JO, les joueurs vivent cette fois dans le même établissement, précise El Pais (en espagnol). "Nous nous sommes sentis un peu éloignés les uns des autres lorsque nous avons rencontré les Nord-Coréens pour la première fois, concède le capitaine de l'équipe Jung Su-young, selon des propos rapportés par la Deutsche Welle (en anglais). Mais nous nous sommes rapprochés au cours des jours passés ensemble et nous sommes devenus amis." Il reste difficile d'en apprendre davantage sur la cohabitation des uns et des autres et sur la "gestion sécuritaire" des Nord-Coréens. "On peut imaginer la présence d'un staff pour les surveiller, veiller à ce qu'il y ait des interactions mais pas trop", estime Antoine Bondaz.

Le coach sud-coréen, toutefois, a dû faire quelques compromis, car les quatre joueurs nord-coréens ont un statut militaire (ce n'est pas toujours le cas pour les sportifs du pays). Cho Young-shin a donc été contraint de ne pas choisir de joueur sud-coréen au sein du club militaire qu'il entraîne à l'année, raconte le Süddeutsche Zeitung (en allemand). La situation aurait été bien trop sensible, alors que les deux pays sont toujours officiellement en guerre.

Sportivement, un grand saut dans l'inconnu

Cette greffe symbolique pose également des questions sportives. La Corée du Sud est en délicatesse depuis plusieurs années et pointe à une modeste 19e place mondiale. Elle n'est pas même parvenue à décrocher son billet pour les deux éditions précédentes de la compétition. Du côté de la Corée du Nord, c'est le mystère absolu. "J'ai entendu dire que les Nord-Coréens qui jouent au handball depuis leur plus jeune âge rencontrent des difficultés quand ils sont adultes, car il n'y a pas assez de clubs", a reconnu sans détour le sélectionneur sud-coréen Cho Young-shin, cité par l'agence Yonhap (en anglais).

Je m'attends à ce qu'ils aient des compétences de niveau junior comparés à nos joueurs, mais je dois découvrir leurs capacités par le biais de l'entraînement.

Cho Young-shin, sélectionneur de l'équipe coréenne

cité par l'agence Yonhap

Le handball n'est "clairement pas" un sport de premier plan au Nord, explique Antoine Bondaz, où l'on préfère l'haltérophilie, le football, le tennis de table, le taekwondo, le tir et le ssireum (la lutte nationale). De l'aveu même de Cho Young-shin, ses joueurs venus du Nord semblent pêcher sur le plan technique, malgré une "excellente condition physique". De quoi compromettre encore davantage les chances d'une formation qui fait office de petit poucet ? Peut-être, mais le sélectionneur coréen a promis d'aligner un représentant du Nord à chaque rencontre.

La Corée unifiée a un lourd programme dans le groupe A, puisqu'elle affronte la France, l'Allemagne, la Russie, la Serbie et le Brésil. Avant même le tournoi, les premiers signaux étaient déjà négatifs – l'équipe s'est piteusement inclinée contre le VfL Potsdam (3e division allemande) en match de préparation (30-26) avant de se reprendre contre Oranienburg (victoire 34-29). L'histoire retiendra que le Nord-Coréen Ri Kyong-song est entré peu avant la pause contre Potsdam, mais les handballeurs coréens semblent condamnés au même sort que les hockeyeuses, éliminées après trois défaites et un seul petit but inscrit lors des derniers JO.

"On risque d'assister à la simple intégration de quelques joueurs dans l'équipe de Corée du Sud traditionnelle", explique à franceinfo Philippe Bana, directeur technique des Bleus, futurs adversaires des Coréens. Il n'y aura pas de changement majeur dans leur jeu et donc, il n'y a pas la nécessité pour nous d'un travail vidéo [spécifique] sur l'équipe unifiée." Cela tombe plutôt bien, puisque l'entraîneur allemand, Christian Prokop, reconnaît avoir eu bien du mal à obtenir des images des joueurs nord-coréens, selon le site Sport.de (en allemand). Mercredi, face à l'Allemagne, l'équipe a adopté le style traditionnel de la Corée du Sud, marqué par la vitesse et la discipline tactique.

Une charge émotionnelle et historique

La Corée semble condamnée à l'exploit dans ce groupe de la mort, mais l'important est ailleurs. Pendant longtemps, le sport était l'un des rares outils permettant de créer des interactions de part et d'autre du 38e parallèle. En témoigne encore la présence conjointe des deux ambassadeurs coréens en Allemagne, a fortiori dans un stade de Berlin. Une ville dont la charge émotionnelle et historique n'a pas échappé au sélectionneur.

Le championnat du monde a beaucoup d'importance pour nous, surtout que nous jouons à Berlin. Cette ville, qui a été coupée en deux, a trouvé le chemin de la paix après la fin de la guerre. En tant qu'équipe unifiée, nous voulons monter que la Corée peut également emprunter cette voie.

Cho Young-shin, entraîneur de l'équipe coréenne de handball

propos cités par la Deutsche Welle

"Il existe également des rencontres entre les deux pays dans la péninsule, précise Antoine Bondaz, ou même des équipes mixtes. En septembre dernier, un match de basket a opposé une équipe de la paix à une autre de la prospérité." Le sport, toutefois, n'est pas l'unique point de rencontre entre deux mondes. Concerts de K-pop à Pyongyang et de chansons nord-coréennes à Séoul, fouilles archéologiques, programmes communs d'histoire... La culture joue un rôle moins connu, mais tout aussi essentiel dans le processus de dialogue. Par ailleurs, la création d'un bureau de liaison à Kaesong, ville frontalière du Nord, permet depuis septembre dernier d'assurer un dialogue quotidien entre les deux Etats. 

Le sport n'est pas le moteur de la réconciliation mais un des leviers utilisés par les pouvoirs politiques pour la mettre en scène. Au Sud, par exemple, cela permet d'habituer la population à des interactions plus fréquentes. Il a également le mérite d'offrir une dimension internationale à cette idée de Corée unifiée.

Antoine Bondaz, spécialiste des deux Corées

à franceinfo

En attendant mieux, les équipes unifiées se multiplient (tennis de table, basket, taekwondo...) et pourraient disputer huit épreuves des JO 2020 au Japon. "Les deux Corées ont encore des relations compliquées avec ce pays, résume Antoine Bondaz. Il est tentant d'utiliser cette carte pour renforcer la cohésion nationale des deux Etats." A moyen terme, les deux Corées ambitionnent également de déposer une candidature commune pour organiser l'édition 2032 – une rencontre de travail est prévue en février à Lausanne (Suisse). Aux acteurs politiques et économiques, désormais, de prendre le relais des handballeurs et de faire vivre la flamme.

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