Mondial de handball : l'article à lire avant de se plaindre de l'arbitrage
Le handball est un jeu qui se joue à sept contre sept et où l'arbitre siffle certaines fautes et pas d'autres, alors qu'elles vous semblaient évidentes devant votre poste de télé. Avant de crier au complot sur les réseaux sociaux, lisez ce qui suit.
Soixante minutes de match, 59 fautes sifflées. Lors du match France-Allemagne (25-25) du tour préliminaire du Mondial de handball, le duo arbitral danois a sifflé presque à chaque minute. C'est dire l'importance de ses décisions sur le cours de la rencontre... qui s'est jouée sur un coup franc envoyé au fond des filets par les Français à trois secondes de la fin. A titre de comparaison, un arbitre de L1 siffle en moyenne 28 fautes par match (de 90 minutes, rappelons-le), et très peu de ses décisions font changer le score.
Tatillons, les arbitres de hand ? Pourtant, une étude universitaire (qui commence à dater, 1983) a mis en évidence que ces derniers laissaient passer 70% des fautes. Alors comment comprendre l'arbitrage au handball ? Avant la demi-finale entre les Experts et le Danemark, vendredi 25 janvier, démontons quelques idées reçues sur les hommes en noir (ou en rose, parfois) dont les décisions sont souvent mal comprises des supporters.
#GERFRA #HandAction cet arbitrage est un scandale. C’est insupportable à un niveau pareil. Faire arbitrer le champion du monde en titre face au pays hôte par le co-organisateur est une grosse erreur.
— Cook (@CookSlash) 15 janvier 2019
"On n'est pas au basket" à siffler chaque faute
Soixante-dix pour cent des fautes non sifflées dans le handball ? "Le chiffre me paraît énorme, confie Gilles Bord, ancien arbitre international qui a conclu sa carrière sur une finale olympique à Pékin en 2008. Mais ce n'est pas incohérent avec la philosophie du handball où l'arbitre participe à la construction du spectacle, en laissant beaucoup l'avantage." Sur chaque attaque, les défenseurs se collent à la zone, la surface de réparation du handball où seul le gardien a le droit de poser le pied. Et ils utilisent souvent des moyens peu licites pour stopper leur adversaire direct. Main baladeuse sur le maillot adverse, coudes saillants ou pieds qui traînent, on ne fait pas dans le détail.
Surtout autour du pivot, le golgoth de l'attaque, qui dépasse les 2 mètres et les 100 kg, sur lequel s'acharnent bien souvent deux défenseurs, et qui le leur rend bien. On le voit très nettement sur cette vidéo extraite de la finale des Jeux olympiques de Rio en 2016.
Sur une situation d'attaque placée, vous pouvez avoir quatre à cinq duels en même temps, donc quatre ou cinq fautes. Et souvent, l'arbitre ne dit rien. "Tant que la faute ne nuit pas à la continuité du jeu, on ne siffle pas, éclaire Nordine Lazaar, ancien arbitre international qui a raccroché le sifflet en 2012. Si on sifflait toutes les fautes, on arrêterait le jeu tout le temps." Ce que résume Julie Bonaventura, que vous avez pu voir sur le terrain au dernier Euro féminin : "On n'est pas au basket !"
Prise de tête à la danoise
S'il fallait chercher un cousinage au mode d'arbitrage du handball, on se tournerait plutôt vers le rugby, où la façon de siffler de l'arbitre influence directement les deux équipes. Premier critère à observer, sa nationalité : les Nordiques ont la réputation d'avoir le coup de sifflet plus facile que les Latins. Demandez à la joueuse tricolore Allison Pineau, exclue de la finale de l'Euro pour un penalty qui a chauffé l'oreille de la gardienne russe. Le règlement précise noir sur blanc (page 37 du PDF) que lorsqu'on touche la tête, c'est carton rouge. Les arbitres danois l'ont appliqué à la lettre, "et je peux parfaitement le comprendre", défend Julie Bonaventura.
"Des tirs pas loin de la tête, il y en a cinquante par match. Devant ma télé, je n'ai pas eu le sentiment que c'était un acte volontaire, estime Nordine Lazaar. Ça m'a rappelé un carton rouge infligé à Luc Abalo lors d'une demi-finale mondiale France-Danemark en 2009, c'était déjà des arbitres de l'Est [des Biélorusses], réputés aussi stricts que les Scandinaves. Mais bon, aujourd'hui, le maître-mot de l'arbitrage au handball, c'est l'interprétation."
Et cette interprétation du règlement doit se voir dès les premières minutes. Comme l'explique Julie Bonaventura : "Lors des cinq ou dix premières minutes, on fait ce qu'on appelle le cadrage. L'idée, c'est de montrer aux joueurs ce qu'on tolère et ce qu'on ne tolère pas." Lors du match France-Allemagne de ce Mondial, Ludovic Fabregas a pris deux minutes de frigo dès la première minute de jeu, ce qui a entraîné les hauts cris des supporters… qui devraient être habitués, à force. "On ne va pas mettre un carton jaune au lieu d'un deux minutes parce que c'est le début du match, si la faute mérite une telle sanction. Il faut rester cohérent tout au long de la partie", développe Julie Bonaventura.
Ptdr Fabregas qui prend 2 minutes direct sans préavis sans jaune ça commence l’arnaque du corps arbitral ... #FRAALL
— Erwannou ⭐️⭐️ (@ErwannMkg) 15 janvier 2019
Ne tirez pas sur l'arbitre
En matière de contexte explosif, Nordine Lazaar en connaît un rayon. La fédération internationale l'a assigné sur un Serbie-Croatie en demi-finale de l'Euro 2012… en Serbie. Un match considéré par les deux pays comme une revanche de la guerre en ex-Yougoslavie. Ce jour-là, l'intimidation commence dès le petit déjeuner, quand le serveur lui apporte un plateau royal sans qu'il ait commandé autre chose qu'un café-croissant. "C'est pour que vous soyez en forme ce soir", glisse l'employé à notre arbitre international. La perspective de devoir fuir la salle dès le coup de sifflet final, dans un cortège de cinq voitures banalisées, dont trois leurres, pour éviter d'éventuelles attaques, lui pèse aussi, mais hors de question de lâcher ses principes. "Il ne fallait surtout pas faire d'arbitrage maison. Donc au bout de deux minutes de jeu, on [le duo d'arbitres français] avait déjà envoyé deux Serbes au frigo. On se demandait si on pouvait tenir la distance. Les Serbes ont compris qu'on ne lâcherait rien. Les Croates ont, eux, compris qu'ils seraient protégés, et le jeu a pu se dérouler normalement."
Le CV du duo arbitral français a bien aidé à ce que la partie ne parte pas en torche, malgré la bouteille reçue dans l'œil par un joueur serbe, lancée depuis les tribunes par un spectateur qui visait un Croate. "On était connus, c'est à ça que sert une carte de visite, sourit aujourd'hui Nordine Lazaar, qui n'en menait pas large à l'époque. Les Serbes savaient que s'ils nous pourrissaient le match, on les recroiserait forcément sur une autre compétition." Gilles Bord abonde dans le même sens : "C'est aussi une question de charisme. On a tendance à dire que l'arbitrage d'un match est déjà fait à 30% avant le coup d'envoi, rien qu'avec la personnalité de l'arbitre."
Est-il donc mensonger de dire que les arbitres faussent le résultat des matchs ? "Cela m'est arrivé, bien sûr, reconnaît sans fard Gilles Bord. Dans ces cas-là, c'est une spirale infinie : on commence par une mauvaise décision, et on les enchaîne tout au long de la partie. Et, à la fin du match, je savais que le plus mauvais sur le terrain, c'était moi." Julie Bonaventura se souvient d'avoir été sauvée par sa sœur – avec qui elle arbitre en binôme –, un jour où elle n'était pas dans son assiette. "Je lui avais dit 'ne compte pas sur moi' et elle a tenu le match pratiquement toute seule. A la fin, les joueurs nous ont félicitées, mais je savais que j'avais été nulle. Si elle aussi avait été moins bien, ç'aurait été très compliqué."
Et tous estiment qu'un arbitre peut être bon pendant 59 minutes avant de connaître un coup de moins bien au pire moment. La condition physique du corps arbitral s'est nettement améliorée par rapport aux arbitres bedonnants des années 1990, témoigne Julie Bonaventura : "Lors du dernier Euro féminin, on a arbitré un match Allemagne-Norvège où les deux équipes continuaient à jouer toujours plus vite pour faire craquer l'autre. Mais aucune n'a cédé." Les arbitres, peut-être ? "Non, mais à la fin on était rincées. C'est toujours plus sympa à arbitrer que certains matchs pépères où on a encore les cuisses froides au coup de sifflet final." Et quand ce n'est pas le corps, le cerveau flanche parfois dans le money-time. Une étude montre que le temps de latence des décisions s'allonge nettement en fin de match, surtout si le score demeure serré. "Nous ne sommes que des humains", insiste Gilles Bord.
"Séville 82" existe aussi en handball
Le meilleur – ou le pire exemple – du côté faillible de l'arbitrage remonte à 2007. Une salle chauffée à blanc pour la Mannschaft. Deux prolongations face à une équipe de France pleine de promesses. Et, à la dernière minute, les arbitres suédois qui ne laissent pas l'avantage sur une contre-attaque tricolore conclue victorieusement par Michaël Guigou. Un but qui aurait mis les deux équipes à égalité et aurait entraîné des tirs aux buts (à partir de 15'20 sur la vidéo).
"Les deux arbitres étaient aux fraises, reconnaît Julie Bonaventura. Ils n'ont pas eu la lucidité pour laisser l'action se dérouler, et ont sifflé trop tôt la faute allemande." Dans ce sport, ce match est devenu l'équivalent de "Séville 82" au foot. Didier Dinart, pivot et futur sélectionneur des Bleus, parlera à chaud du "plus gros vol de l'histoire du handball international, peut-être même de l'histoire du sport". La rancune française se poursuivra plusieurs heures après le match, quand un membre de la délégation tricolore croira agresser les arbitres suédois à l'hôtel. En fait, il s'agissait de malheureux Norvégiens qui n'avaient rien demandé à personne… N'empêche, on est bien loin des valeurs prêtées à ce sport.
Après avoir lu cet article, normalement, vous vous abstiendrez de crier au scandale pour le match des Experts face au Danemark, pays organisateur du Mondial, qui ne va pas être forcément favorisé pour obtenir une finale contre l'autre hôte de la compétition, l'Allemagne.
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