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Entre mental d'acier et culte de la performance : que sait-on du sport professionnel en Corée du Nord ?

Article rédigé par Louis Boy
France Télévisions
Publié Mis à jour
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Le couple de patineurs nord-coréens Kim Ju-sik et Ryom Tae-ok, entourant leur coach Kim Hyon-son, aux Championnats des quatre continents de patinage artistique à Taipei, le 26 janvier 2018. Ils représentent leur pays aux JO de Pyeongchang (Corée du Sud). (ANTHONY WALLACE / AFP)

Le pays le plus secret du monde envoie 22 athlètes aux Jeux d'hiver chez son voisin, avec peu de chances de médailles. Mais le sport nord-coréen a connu plus de succès qu'on ne le pense, et le régime en a fait une priorité.

Samedi 10 février, à 11 heures (heure française), quand le patineur Jong Kwang-bom s'élancera sur l'épreuve du 1 500 m de short-track – patinage de vitesse –, il n'aura que peu d'espoir de décrocher une médaille. Mais ce n'est pas l'important. Il sera le premier des 22 athlètes nord-coréens à entrer en lice aux Jeux olympiques d'hiver de Pyeongchang. Une participation historique : c'est la première fois que la Corée du Nord se rend à des Jeux organisés par son voisin du Sud.

Un signe diplomatique fort, qui permet aussi de se souvenir que, même dans cette dictature hermétique au reste du monde, on fait du sport. Et même à un niveau professionnel. Les Nord-Coréens cumulent même 56 médailles olympiques et présentent un palmarès très honorable dans certaines disciplines. Mais rien ne se passe comme ailleurs en Corée du Nord, y compris quand il s'agit de sport. 

Une nation qui cible ses disciplines pour gagner

Les chances d'entendre l'hymne de la Corée du Nord résonner sur un podium à Pyeongchang sont faibles. Prenez les trois skieurs alpins nord-coréens : Choe Myong-gwang et Kim Ryon-hyang n'ont participé, dans leur carrière, qu'à une seule épreuve reconnue par la Fédération internationale de ski, le super-G de Darbandsar, en Iran, tellement obscur qu'ils étaient les seuls athlètes étrangers présents. C'est toujours mieux que le troisième, Kang Song-il, qui n'a concouru que chez les juniors. Le reste des concurrents (à l'exception des deux patineurs, les seuls à avoir décroché leur qualification à la régulière) est du même niveau.

Les sports d'hiver n'existent quasiment pas en Corée du Nord. Ils n'ont rapporté que deux médailles en huit participations aux Jeux d'hiver (contre 54 aux Jeux d'été) : l'argent en 1964, à Innsbruck, et le bronze en 1992, à Albertville, à chaque fois en patinage de vitesse. "Le patinage, ça ne coûte pas cher. Il y a une patinoire à Pyongyang", explique Antoine Bondaz, chargé de recherche à la Fondation pour la recherche stratégique et spécialiste des deux Corées. "Pour avoir des skieurs, en revanche, il vous faut des pistes, des remontées, des canons à neige,..." Le relief montagneux du pays ne suffit pas, sans ces moyens, même si une station "relativement équipée", celle du mont Masik, a ouvert en 2013, dans le but d'attirer les touristes et de divertir l'élite locale. Des skieurs sud-coréens sont venus s'y entraîner avant les Jeux.

Le leader nord-coréen Kim Jong-un en bas d'une piste de la station de ski du mont Masik, sur une photo publiée le 31 décembre 2013 par l'agence officielle KCNA. (KNS / AFP)

La Corée du Nord rayonne en revanche dans quelques domaines bien précis. Son équipe de foot masculine a éliminé l'Italie de la Coupe du Monde 1966, avant de tomber héroïquement en quart de finale. Elle s'est rappelée au souvenir du reste du monde en 2010, se qualifiant à nouveau pour le Mondial. Plus régulière, son équipe féminine a gagné trois fois la Coupe d'Asie et a été sacrée meilleure du monde à deux reprises chez les moins de 20 ans.

Ils font aussi partie "des grandes nations de l'haltérophilie", explique Arnaud Ferrari, directeurs des équipes de France de la discipline. La Corée du Nord a glané 17 médailles olympiques pour ce sport. En 2014, elle a même terminé en tête du tableau des médailles aux Mondiaux, une première tous sports confondus. "Ils jouent le podium tout le temps", ce qui ne témoigne pas seulement de leur niveau, mais aussi d'une certaine mentalité. Les Nord-Coréens ne présentent pas d'athlètes dans les épreuves où ils ont plus de mal à atteindre un très haut niveau, en l'occurence les plus hautes catégories de poids masculines. "Nous, en France, notre élite vise le podium, mais nous alignons aussi des athlètes au futur potentiel olympique, pour préparer l'avenir. Eux sont là uniquement pour gagner, un top 8 ne serait pas acceptable."

L'haltérophile nord-coréenne Rim Jong-sim lors de l'épreuve des plus de 75 kg aux Jeux de Rio (Brésil), le 12 août 2016, dans laquelle elle a remporté la médaille d'or. (AI PROJECT / REUTERS)

Le chercheur Antoine Bondaz y voit une stratégie : viser des "niches", des disciplines où la concurrence est moins développée, pour pouvoir y briller. "Ce ne sont pas des sports qui seraient pratiqués au quotidien par les Nord-Coréens. Ce n'est pas non plus une question de valeurs, ils s'en fichent. Leur seul but, ce sont les médailles." Ainsi, sept des huit médailles olympiques de la Corée du Nord en judo ont été remportées par des femmes. Le judo féminin est une discipline jeune, présente aux JO depuis 1992, contre 1964 pour le judo masculin. "Quand un sport olympique s'installe, il peut être 'plus facile', dans un premier temps, d'avoir des résultats", suppose Stéphane Traineau, directeur des équipes de France de judo.

Un sport national : le taekwondo 

Comment, alors, donner une bonne image aux JO quand ses athlètes sont presque assurés de rentrer sans médailles ? La Corée du Nord place ses espoirs dans le reste de sa délégation : des artistes, mais aussi une équipe de démonstration de... taekwondo. Ce n'est pourtant pas vraiment un sport d'hiver, mais c'est la discipline sur laquelle le pays règne en maître.

Plus exactement, il domine le taekwondo ITF, qui n'est qu'une des deux formes les plus connues de taekwondo. Car le sport s'est scindé en deux branches peu de temps après sa création dans les années 50. L'ITF (International Taekwon-Do Federation) est la fédération qui règne sur la version nord-coréenne de la discipline, mais c'est la version sud-coréenne qui est pratiquée aux JO. "Le sport olympique est plus orienté vers l'aspect sportif et divertissant. Le taekwondo ITF est la forme orginelle, plus martiale et orientée vers l'autodefense", explique Truc Nguyen, président d'une association française de taekwondo ITF.

Le taekwondo ITF a même une figure spécifique, créée pour représenter les valeurs de la Corée du Nord, le "juche" : "C'est une position dans laquelle on montre sa force et le fait qu'on est autosuffisant", explique Truc Nguyen. Soit précisément l'image que le pays veut renvoyer. Les démonstrations de taekwondo ITF sont la meilleure vitrine de l'excellence des athlètes nord-coréens. Andrew Whiteley, qui représentait la France à Pyongyang pour les Mondiaux 2017, en est revenu soufflé : "Il y a des techniques dans lequelles vous sautez et cassez des planches avec vos pieds et vos poings. Pouvoir en casser trois ou quatre avant de retomber est considéré comme très impressionnant. Ces gars-là en cassent sept."

Des athlètes entourés d'une aura de mystère

En 1996, aux Jeux d'Atlanta, la Japonaise Ryoko Tani, légende du judo, double championne du monde en titre, s'avance en finale des moins de 48 kg, sans que personne doute de sa victoire, se souvient l'ancien judoka Stéphane Traineau. "Et en finale, elle perd contre une Nord-Coréenne, Kye Sun-hui. Personne ne s'attendait à ça. On l'avait très très peu vue avant, c'était un peu une extraterrestre". Une illustration de l'aura de mystère qui entoure les sportifs nord-coréens, qui concourent rarement hors de leur pays. Un avantage dans des sports comme le judo, où "il est important de connaître son adversaire". Même quands ils sont présents, ils sont difficilement accessibles. "Ils ne se baladent pas un peu partout comme les autres athlètes, on ne les voit que sur le tapis", raconte Andrew Whiteley. La barrière de la langue n'aide pas et leur attitude est fermée : "Si vous essayez d'échanger un regard, vous n'aurez rien en retour".

Des joueuses de l'Ecole internationale du foot de Pyongyang s'entraînent, devant le stade du Premier-Mai, le 2 décembre 2016. (ED JONES / AFP)

Concentrés, ces athlètes dédient leur vie à leur sport. "Je m'entraîne avec eux tous les jours, deux fois par jour, comme dans un club. Les week-ends, ils retournent dans leurs clubs pour jouer des matchs", racontait l'an dernier à l'AFP le sélectionneur de l'équipe de foot masculine de Corée du Nord, le Norvégien Jorn Andersen. "Payer les factures, avoir un travail, ce sont des choses dont vous n'avez pas à vous préoccuper quand vous êtes un athlète de haut niveau en Corée du Nord", explique, envieux, Andrew Whiteley. Les sportifs les plus talentueux sont logés dans un quartier qui leur est réservé, comme les autres catégories jugées utiles au régime, des militaires aux chercheurs.

Les moyens mis en œuvre pour obtenir des résultats vont-ils jusqu'au dopage, comme ce fut le cas en Allemagne de l'Est ou en Russie ? Difficile à dire. En 2011, la réputation de l'équipe féminine de football a pris un coup quand cinq joueuses ont été contrôlées positives lors de la Coupe du monde. Aux Mondiaux d'haltérophilie en 2015, quatre des quinze membres de la délégation nord-coréenne ont été disqualifiés pour cette même raison. Hors compétition, la difficulté d'entrer en Corée du Nord ne facilite pas les contrôles inopinés normalement imposés aux athlètes.

Les athlètes sont au moins boostés par un mental à toute épreuve. "J'ai déjà vu une haltérophile nord-coréenne se blesser à l'entraînement et aller au bout pour arracher sa médaille", explique Arnaud Ferrari. Aux Jeux de Rio, l'haltérophile Om Yun-chol, qui venait de décrocher l'argent, s'était dit désolé de ne pas avoir rapporté l'or à Kim Jong-un.

Un haltérophile dans un gymnase à Pyongyang (Corée du Nord), lieu d'entraînement de la championne olympique nord-coréenne Rim Jong-sim, le 14 août 2016. (KIM WON-JIN / AFP)

Cette dévotion des athlètes à leur tâche alimente les fantasmes sur ce que risqueraient ceux qui décevraient le régime. "Le régime reste rationnel", nuance Antoine Bondaz, quand bien même il est difficile d'avoir des informations sur le sort des sportifs. "Si vous vous en débarrassiez à chaque contre-performance, personne n'aurait intérêt à faire du sport." En revanche, tout est fait pour éviter les désertions, y compris aux Jeux de Pyeongchang. "En interne, ça ne se saurait pas, mais ce serait une catastrophe pour l'image de la Corée du Nord." Les athlètes nord-coréens ne résident pas au village olympique comme tous les autres, mais dans un bateau qui mouille a proximité : une conséquence de leur participation tardive, mais aussi un moyen pour le Nord de contrôler les allées et venues de sa délégation.

Des compétitions très particulières pour les athlètes

La Corée du Nord a beau être le pays le plus fermé du monde, le sport est un bon moyen d'y entrer. Sous le règne de Kim Jong-un, le régime a fait de l'essor du tourisme une priorité, car il permet de faire rentrer des devises étrangères dans le pays. C'est l'une des raisons d'être de la station de ski de Masik, mais aussi de l'ouverture aux amateurs étrangers du marathon de Pyongyang, depuis 2014. "C'est vraiment l'initiative la plus importante dans ce sens", commente Antoine Bondaz, et elle "permet de faire de très belles images" d'un pays décrié.

Des coureurs étrangers lors de la cérémonie qui précède le marathon de Pyongyang (Corée du Nord), le 9 avril 2017. (ED JONES / AFP)

Ceux qui s'y sont aventurés ont eu un aperçu de la conception du sport des Nord-Coréens. Un coureur français, présent en 2014, raconte sur le site Vice l'incrédulité des organisateurs nord-coréens quand les étrangers ont demandé à allonger le temps maximum pour finir la course : "On s'est plaints auprès de nos guides coréens, en leur expliquant que 4 heures était une durée trop courte pour des amateurs. Ils n'ont pas vraiment compris et nous ont rétorqué : 'Si vous êtes nuls, pourquoi vous participez ?'"

Pour les sportifs professionnels aussi, l'expérience de se rendre en Corée du Nord est déroutante. "Moi qui ai connu la RDA, ça m'a ramené quarante ans en arrière", raconte Dominique Bathenay, venu en 2009 comme coach de l'équipe de football des Emirats arabes unis, et qui a passé son court séjour confiné dans son hôtel. "Le jour du match, le stade de 50 000 places était rempli", se souvient-il. "On a eu l'impression que tout le monde était en uniforme, et qu'ils applaudissaient quand on leur demandait. Tout avait l'air orchestré, comme dans une émission de télé."

Des spectateurs nord-coréens encouragent leur équipe féminine lors d'un match de qualification à la Coupe d'Asie contre la Corée du Sud, le 7 avril 2017, au stade Kim Il-sung de Pyongyang. (KIM WON-JIN / AFP)

Les sportifs n'échappent pas non plus à la surveillance qui vise tous les étrangers. Truc Nguyen, venu en 2011 pour les Mondiaux de taekwondo, s'était vu assigner un interprète et se souvient qu'il fallait toujours "passer par lui si vous souhaitiez aller quelque part", afin que l'on prévienne de leur arrivée. Ces guides sont aimables et sympathiques, mais "tout ce qu'on leur disait était rapporté à leurs supérieurs", acquiesce Andrew Whiteley, qui a participé à l'édition 2017 de cette même compétition.

Un combat de taekwondo opposant la Corée du Nord à la Russie, à Pyongyang, le 21 septembre 2017. (ED JONES / AFP)

La politique n'empiète pas sur le sport dans le cadre du tournoi, assurent-ils. Mais elle peut ressurgir de façon inattendue. Ainsi, le 15 septembre 2017, quand la Corée du Nord a procédé à un tir de missile et que l'engin a survolé le Japon, c'était deux jours avant l'ouverture des Mondiaux de taekwondo. "Un de mes collègues de l'équipe galloise s'est réveillé, a regardé par la fenêtre et a vu un missile", se souvient Andrew Whiteley. Les athlètes n'ont pas paniqué, mais ils n'ont rien su de la crise qui se tramait à l'extérieur du pays. "Personne ne nous a rien dit à ce sujet. Nous n'avons pu en parler à nos familles qu'à notre retour". Séoul et les organisateurs ont présenté ces JO, qui marquent un moment historique, comme ceux "de la paix".

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