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JO de Sotchi : "La société russe n'est pas naturellement homophobe"

Article rédigé par Ariane Nicolas - Propos recueillis par
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
Des policiers arrêtent un manifestant opposé à un rassemblement d'homosexuels à Saint-Pétersbourg (Russie), le 29 juin 2013. (OLGA MALTSEVA / AFP)

Une loi sanctionnant la "propagande" homosexuelle en Russie suscite de vives réactions dans le monde, à six mois des Jeux olympiques d'hiver. Analyse de la chercheuse Françoise Daucé.

A six mois des Jeux olympiques de Sotchi, la Russie est dans le collimateur des associations de défense des droits des homosexuels. En juin, Vladimir Poutine, le président russe, a promulgué une loi sanctionnant la "propagande" homosexuelle envers les mineurs. Les étrangers risquent une amende de 100 000 roubles (2 300 euros), jusqu'à quinze jours de détention et l'expulsion du pays. D'autres amendes sont prévues pour les citoyens russes.

La Russie n'est pas un pays "gay-friendly". Cette année, le maire de Moscou a de nouveau refusé d'organiser une Gay Pride dans la capitale. Chaque manifestation LGBT (Lesbiennes, gays, bi et trans) donne lieu à des affrontements avec des militants anti-homosexuels et l'actualité a été marquée par de nombreux actes homophobes violents, comme cet homosexuel torturé à mort après avoir révélé son orientation sexuelle.

Mais pourquoi la Russie sévit-elle sur ce sujet, et précisément maintenant ? Francetv info a interrogé Françoise Daucé, maître de conférence à l'université Blaise-Pascal de Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme) et auteure de l'essai Une paradoxale oppression : le pouvoir et les associations en Russie, aux éditions CNRS.

Francetv info : Pourquoi le pouvoir russe a-t-il décidé de faire passer cette loi ?

Françoise Daucé : Il faut remettre le vote de cette loi dans son contexte. Elle s'inscrit dans un ensemble de lois répressives adoptées par la Douma [l'équivalent de l'Assemblée nationale en France] et signées par Vladimir Poutine. La plus importante à ce jour concernait les associations financées par l'étranger, de plus en plus stigmatisées et parfois accusées de nuire aux intérêts de l'Etat. 

Ce durcissement est directement lié à la réélection de Poutine, en 2012, et à la volonté du président russe de "reprendre en main la société". Durant ses deux premiers mandats, entre 2000 et 2008, Poutine était encore populaire dans la société russe. Les manifestations qui ont suivi son élection, au printemps 2012, montrent que ce n'était plus autant le cas. Ces lois répressives sont une réaction à ces manifestations, et plus généralement à la contestation du pouvoir. 

Voilà pourquoi Poutine joue autant avec l'image de son pouvoir politique. Il met volontiers en scène sa virilité. Pour lui, c'est une façon d'asseoir un pouvoir de nature autoritaire et masculinisé. Quitte à forcer le trait "macho". 

La Russie a-t-elle une "tradition" d'homophobie d'Etat ?

L'homosexualité était interdite sous l'URSS. Elle a été dépénalisée en 1993. Difficile de nier ce poids de l'histoire. Mais en même temps, des enquêtes sociologiques menées à la fin des années 1990, sous forme de sondages, montrent qu'il n'y a pas historiquement, ou par essence, une attitude homophobe dans la société russe. La tolérance face à l'homosexualité était répandue dans les années 1990, au même titre que dans d'autres pays. La société n'est pas naturellement homophobe en Russie. C'est plutôt le travail de l'Etat qui la pousse dans cette voie. Les actes homophobes suivent cette tendance tracée par le pouvoir.

Les homosexuels seraient donc des boucs émissaires ?

En un sens, oui, mais ils ne sont pas les seuls. Leur stigmatisation évoque celle des minorités ethniques, notamment en provenance du Caucase. Il existe une chasse aux migrants actuellement, en Russie. Des vagues d'arrestations régulières ont lieu, soi-disant pour lutter contre les influences étrangères et les groupes qui ne sont pas directement soumis à l'Etat. Au fond, l'Etat a peur de l'insoumission, de la dissidence, des formes de non-conformisme en général. Les homosexuels forment une communauté susceptible de manifester, de revendiquer de nouveaux droits, et se montre donc potentiellement gênante.

Deux couples d'homosexuels s'embrassent à Saint-Pétersbourg (Russie), après avoir tenté de faire reconnaître leur mariage par la mairie. (OLGA MALTSEVA / AFP)

Pourquoi maintenant, plus que dans les années 2000 ?

Le moment choisi n'est pas anodin. Cette loi homophobe est aussi une réaction au débat que l'on a, en Europe occidentale, sur le mariage des homosexuels. C'est une façon de montrer que la Russie n'appartient pas à l'Europe occidentale, qu'elle peut encore affirmer sa spécificité dans le monde contemporain. 

Faut-il craindre pour les athlètes homosexuels aux Jeux de Sotchi ?

Sauf surprise, les Jeux de Sotchi seront très encadrés, et je serais étonnée que les athlètes soient inquiétés. Je n'imagine pas qu'il y ait des débordements, ni avant ni pendant, car la Russie n'a aucun intérêt à ce que des pays boycottent . En revanche, ce que craignent les militants des droits de l'homme, c'est que leur situation s'aggrave après les JO. Pour l'instant, Sotchi préserve ce qui reste de leurs droits. On peut penser que le droit russe se montrera plus sévère envers les homosexuels une fois la compétition terminée. Quand on voit les lois récemment adoptées par la Douma, ce n'est pas impossible.

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