La Russie doit-elle être bannie des Jeux de Pyeongchang ? On a imaginé le (faux) procès du Comité olympique russe
Les partisans comme les opposants à cette sanction disposent de solides arguments. La décision pourrait pourtant mécontenter tout le monde. Franceinfo fait le tour des raisons avancées par chaque camp.
Ira, ira pas ? La participation de la Russie aux Jeux olympiques d'hiver de Pyeongchang (Corée du Sud), du 9 au 25 février, est en suspens. La décision sera prise par le Comité international olympique (CIO) début décembre, après remise de l'avis défavorable de l'Agence mondiale antidopage (AMA), jeudi 16 novembre, et de celui de deux commissions ad hoc enquêtant sur les révélations du rapport McLaren, à la fin du mois. Faut-il bannir les Russes d'un bloc, et pas au compte-gouttes comme à Rio, ou encourager les progrès effectués ? Au tour du Comité olympique russe de passer sur le banc (imaginaire) des accusés.
L'acte d'accusation : un rapport accablant
La principale pièce à charge contre la Russie repose sur le rapport McLaren, qui s'appuie sur des bases de données accablantes transmises par un lanceur d'alerte, le docteur Rodchenkov, ancien membre du laboratoire antidopage de Moscou. Des éléments qui mettent en lumière les rouages d'un dopage d'Etat bien rodé, où les contrôles antidopage sont menés quand ça arrange les athlètes, et où les échantillons d'urine sont trafiqués.
Selon ce médecin, le dopage d'Etat n'a jamais été aussi "évident" que lors des Jeux d'hiver de Sotchi en 2014, où la Russie a raflé 33 médailles, dont 13 en or (dont une perdue début novembre pour dopage), s'adjugeant la première place au classement des médailles. De quoi jeter le soupçon sur plus de 1 000 athlètes, sans oublier les dirigeants du pays, accusés d'avoir supervisé l'ensemble.
L'avis du procureur : il faut taper fort !
Monsieur le président, qualifier cette affaire de plus grand cas de dopage de ces trente dernières années n'est pas trop fort. Le rapport McLaren puis les nouveaux éléments reçus par l'AMA (vidéo en anglais) laissent peu de place au doute sur le fait que le dopage était institutionnalisé en Russie. Comment décrire autrement un système où les contrôles étaient organisés en fonction du cycle d'absorption de produits dopants de l'athlète ?
Vous connaissez l'adage, "selon que vous serez puissant ou misérable, les jugements de cour vous rendront blanc ou noir". La Russie, deuxième ou troisième puissance au classement des médailles, selon les années, n'est pas précisément du menu fretin. Reprenons les mots de l'ancien directeur de l'AMA, le Néo-Zélandais David Howman, qui constatait, dans Le Monde : "S'il s’agissait d’un plus petit pays, il aurait été exclu des Jeux mais aussi exclu du CIO." Or, que se trame-t-il en catimini ? Le CIO a fait voter la possibilité de sanctionner des athlètes et des comités olympiques par une amende. Le prix du silence sur le cas russe est fixé aux alentours de 56 millions d'euros, selon le montant évoqué par le journal anglais The Telegraph. De quoi étouffer le scandale ? Rien n'est moins sûr.
Une amende ne suffira pas. Des sommités en matière de dopage, comme le chercheur américain Don Catlin, le croient dur comme fer. Ecoutez Dick Pound, lui aussi ex-patron de l'AMA : "Le plus grand danger pour les Jeux olympiques serait de ne pas prendre les mesures draconiennes maintenant." C'est justement maintenant qu'il faut trancher. Pas en 2020, pas en 2022, pas quand la Russie obtiendra, un jour qui sait, les Jeux d'été. Si ce qu'ont montré le rapport McLaren, les documentaires-chocs de la télévision allemande ARD et le témoignage du lanceur d'alerte Rodchenkov, qui se disait menacé, ne suffit pas à bannir la Russie, que faut-il de plus ?
D'autant qu'on cherche encore des traces de bonne volonté de la Russie, depuis des années que le scandale couve. L'AMA lui avait proposé une feuille de route pour proposer sa réintégration dans le concert des nations, qui passait notamment par l'acceptation des conclusions du rapport McLaren. On attend toujours... Regardez combien de pays ont cru à la bonne foi de la Russie pour l'accepter aux Mondiaux d'athlétisme de Londres ? Vingt-et-un sur 187, dont la Jamaïque, qui n'est pas un parangon en matière de lutte antidopage.
Quelles sont les armes dont dispose le Kremlin pour éviter une sanction ? Le fait que Vladimir Poutine ait l'oreille de Thomas Bach, le patron du CIO. Poutine est le premier dirigeant à le féliciter pour son élection – le Guardian prête même au maître du Kremlin une influence sur le scrutin. Qui, de son côté, n'oublie pas de ressortir la vieille ficelle de la campagne de presse occidentale visant à déstabiliser Moscou, éculée mais toujours efficace...
La parole à la défense : une manœuvre anti-Russie
Nous ne serions pas ici, Monsieur le président, si d'anciens dirigeants de l'AMA n'avaient pas fait fuiter leurs travaux dans la presse pour accélérer le cours des choses. La Russie a pris les choses en main en mettant sur pied une commission indépendante pour enquêter sur ces accusations. Les échantillons suspects sont donc scellés dans les laboratoires et personne, ni le ministère des Sports, ni l'AMA, ne peuvent y avoir accès tant que l'enquête est en cours, a justifié le ministre des Sports russe.
La seule discipline où l'AMA a pointé l'existence d'un système sophistiqué de dopage, c'est l'athlétisme. Les hackers russes Fancy Bears ont mis en évidence que des stars, comme le fondeur britannique Mo Farah, ont utilisé des produits interdits sous couvert d'exemption à usage thérapeutique. Mais étrangement, ces sportifs, encore moins leur fédération, n'ont pas été inquiétés plus que ça. "On voit bien que le système [international] de lutte antidopage est loin d'être parfait", argue Vladimir Poutine.
N'y aurait-il pas un acharnement contre la Russie ? Vous avez remarqué dans la presse, Monsieur le président, la demande de 17 agences nationales antidopage pour bannir purement et simplement des Jeux la Russie. De quel droit ? Et les Russes ne sont pas les seuls à s'élever contre ce coup de pression. Prenez Patrick Baumann, membre suisse du CIO, qui fait remarquer que le Royaume-Uni et les Etats-Unis, signataires de la fameuse tribune, n'ont "pas les bases morales" pour demander une telle sanction. De la même façon, les patrons des fédérations internationales de hockey sur glace, de skeleton ou de patinage de vitesse, ont appelé à ne pas sanctionner d'un seul bloc la Russie.
Qu'il y ait eu des brebis galeuses, personne ne le nie, à commencer par le président Poutine qui a déclaré : "C'est absolument inacceptable, et cela veut dire que la lutte antidopage en Russie a failli. C'est notre faute." Notez tout de même que l'AMA a blanchi, faute de preuves, 95 des 96 premiers cas d'athlètes russes examinés. Et, dans un tweet datant du mois de mars, elle saluait "les signes de progrès en Russie".
WADA encouraged by signs of progress within Russia after President Vladimir Putin urges country to heed demands of McLaren Investigation.
— WADA (@wada_ama) 1 mars 2017
Il faut enfin questionner sur le timing de cette sanction, qui interviendrait quelques jours avant les élections présidentielles en Russie. Là encore, le président Poutine s'interroge sur les forces à l'œuvre derrière cette campagne : "Nous voyons bien que le CIO est soumis à de fortes pressions. Il dépend d'annonceurs, de chaînes de télévision et de sponsors. Lesquels reçoivent des signaux sans ambiguïté de certaines institutions américaines..." De là à parler d'ingérence, il n'y a qu'un pas. "En réponse à notre supposée interférence dans leur élection présidentielle, ils veulent semer la zizanie lors de notre scrutin."
Délibéré : attendons encore un peu
Face à ces éléments, le tribunal a décidé d'ajourner sa décision à début décembre. Mais l'AMA (Wada pour l'acronyme anglais) a choisi d'adresser un nouveau carton jaune à la Russie, en se prononcant contre sa réintégration, même si "l'Agence n'a pas le pouvoir de bannir les Russes", a reconnu son président, le très frileux Craig Reedie.
WADA Foundation Board approves the recommendation by the Independent Compliance Review Committee that RUSADA remain non-compliant.
— WADA (@wada_ama) 16 novembre 2017
Les décisions tranchées ne sont de toute façon pas la tasse de thé du CIO, qui n'use de ses pouvoirs qu'à doses homéopathiques. En 2016, n'a-t-il pas laissé le soin aux fédérations d'accepter ou non la présence des Russes ? Seuls l'athlétisme et l'haltérophilie ont décidé d'un bannissement total.
Selon le New York Times, l'instance réfléchit sérieusement à la possibilité d'une amende record et songe à des sanctions symboliques, comme interdire aux athlètes russes de participer à la cérémonie d'ouverture ou bannir l'hymne et le drapeau russe pendant les quinze jours de compétition. Ce qui pourrait causer plus de crispations qu'avoir à verser un gros chèque. "Si nous faisons le voyage en Corée du Sud, ce sera sous le drapeau russe, a prévenu la présidente de la fédération russe de ski sur Russia Today. Je pense qu'il n'y a pas besoin qu'on en arrive à cette extrémité." Quelle qu'elle soit, la décision risque de mécontenter tout le monde.
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