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JO 2021 : trop dénudé ou trop couvert, comment le corps des sportives doit constamment se plier aux injonctions sexistes

Article rédigé par Marie-Violette Bernard
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 7 min
La gymnaste allemande Kim Bui lors des épreuves qualificatives des Jeux olympiques de Tokyo, à Tokyo, le 25 juillet 2021. (MARIJAN MURAT / DPA / AFP)

Des terrains de foot aux rings de boxe, les débats sur les vêtements que doivent porter les athlètes féminines sont nombreux. Mais elles s'élèvent de plus en plus fréquemment contre ces injonctions.

"On veut montrer que chaque femme, chaque personne, devrait décider de ce qu'elle porte." Dimanche 25 juillet, les gymnastes allemandes ont troqué le traditionnel justaucorps court pour une combinaison intégrale, lors des épreuves de qualification par équipes de Jeux olympiques de Tokyo. Si le règlement de la Fédération internationale autorisait déjà cette tenue, ces quelques centimètres supplémentaires de tissu sont hautement symboliques. Dans une discipline ébranlée en 2016 par l'affaire Larry Nassar, ancien médecin de l'équipe américaine de gymnastique qui a agressé sexuellement au moins 265 femmes dont de nombreuses athlètes, les Allemandes ont choisi de s'opposer à la "sexualisation" de leur sport.

Tissu en plus, regards voyeurs en moins

En avril déjà, Elisabeth Seitz avait critiqué la généralisation du justaucorps court. "Si seulement un petit bout de tissu glisse, alors tout le monde voit plus qu'il ne devrait voir", confiait la gymnaste la plus titrée d'Allemagne au site spécialisé SWR (article en allemand). Elle ajoutait avoir reçu de nombreux témoignages de jeunes gymnastes qui se sentaient mal à l'aise dans cette tenue.

"Nous, les femmes, voulons toutes nous sentir bien dans notre peau. Dans notre sport, cela devient de plus en plus difficile au fur et à mesure que l'on sort de son corps d'enfant", abondait sa coéquipière Sarah Voss dans une interview à la radio allemande ZDF.

"Quand j'étais petite fille, je ne voyais pas les tenues serrées et échancrées comme un souci. Mais quand la puberté a commencé, quand mes règles sont arrivées, j'ai commencé à me sentir incroyablement mal à l'aise."

Sarah Voss, gymnaste allemande

à ZDF

Pour la sociologue du sport Béatrice Barbusse, ces questions ne sont pas assez prises en compte dans le choix des tenues imposées aux sportives. "Cela concerne diverses disciplines : imaginez à quel point il peut être compliqué de participer à une compétition de beach volley en bikini lorsque vous avez des règles abondantes, pointe l'enseignante-chercheuse à l'université de Créteil, interrogée par franceinfo. Cela contraint donc les joueuses à porter des tampons même si elles ne le souhaitent pas. D'autres préfèrent encore prendre la pilule pour ne pas avoir leurs menstruations ou les retarder."

"On considère que le corps des femmes est là pour être maté"

Les gymnastes allemandes ne sont pas les seules à avoir exprimé leur malaise face à l'hypersexualisation de leur corps. Quelques jours avant le début des JO, l'équipe norvégienne de beach handball a écopé de 1 500 euros d'amende pour avoir refusé de jouer en bikini lors du championnat d'Europe de cette discipline non olympique. Les shorts que portaient les joueuses contrevenaient en effet au règlement de la Fédération internationale, qui impose des bas "ajustés et échancrés" couvrant "au maximum 10 centimètres" de peau sur les côtés, selon Le Monde. Les joueurs de beach handball peuvent, eux, porter un short jusqu'à 10 centimètres au-dessus du genou. Un même chiffre de référence, pour un résultat bien moins dénudé.

Ne cherchez pas d'explications techniques ou pratiques à ces règles : selon Elle, la Fédération européenne de handball (FEH) les justifie par une volonté de cohérence avec "l'image attractive que doit avoir le sport". En clair, "on affirme encore une fois que pour attirer le public et les sponsors, il faut que les sportives soient sexys et féminines"analyse Béatrice Barbusse. Dénonçant une "posture sexiste", la chercheuse souligne la différence de traitement avec les compétitions masculines. "On promeut ces dernières en vantant les performances des athlètes, leur technicité, la beauté du geste sportif, égrène l'ancienne handballeuse. En revanche, on objectifie le corps des femmes, en considérant qu'il est là pour être maté. Il est pensé pour le regard d'autrui et, disons-le, des hommes."

Et cela se voit jusque dans le cadrage des retransmissions vidéo. Une étude* menée lors de la compétition féminine de beach-volley des JO d'Athènes, en 2004, révélait que 20% des plans se concentraient sur les poitrines des joueuses et 17% sur leurs fesses. Pourtant, "aucune enquête, aucun chiffre ne prouve que l'hypersexualisation des femmes permet de mieux promouvoir le sport", s'agace Béatrice Barbusse. Cela n'a pas empêché Boris Johnson de citer"les femmes à moitié nues jouant au beach-volley" comme l'une des vingt raisons de suivre les Jeux 2012 à Londres, dont il était alors maire.

La tenue comme "instrument de contrôle du corps des femmes"

Ni trop courts, ni trop longs, ni trop masculins : sur les terrains comme dans le reste de la société, les femmes sont soumises à une litanie d'injonctions concernant leurs vêtements. Loin de n'être qu'une "affaire de chiffons", "la tenue des sportives est un catalyseur, révélateur d'un problème bien plus profond (...) : on ne veut pas laisser d'espace public aux femmes", estime Sylvie Borau, professeure de marketing spécialiste des représentations de genre, dans les colonnes de Elle. Le sport, tout comme les vêtements portés par celles qui le pratiquent, a "toujours été un instrument de contrôle du corps des femmes", abonde Béatrice Barbusse.

Et "c'est pareil dans toutes les disciplines ou presque", ajoute l'auteure de Du sexisme dans le sport, paru en 2016 aux éditions Anamosa. En 2004, le président de la FIFA, Sepp Blatter, avait suggéré que les footballeuses portent "des shorts plus moulants" pour attirer les sponsors. En 2013, la Fédération française de handball avait réfléchi à imposer le port de la jupe aux sportives, avant d'abandonner face aux critiques. "L'idée de la jupe obligatoire a aussi été soulevée pour le badminton et la boxeénumère Béatrice Barbusse. A l'époque, l'Association internationale de boxe amateur estimait qu'il était nécessaire de mieux faire la distinction entre hommes et femmes sur le ring."

Comme dans le reste de la société, ces injonctions sont bien souvent contradictoires. Alors que les beach handballeuses étaient sanctionnées par la FEH pour leurs shorts trop couvrants, une athlète paralympique britannique s'est vu reprocher d'en porter un "trop court et inapproprié" pendant un championnat en Angleterre, fin juillet. "J'ai été choquée par le nombre de sportives ou d'entraîneurs qui m'ont dit avoir été confrontés à des incidents similaires", a dénoncé Olivia Breen, double médaillée paralympique, dans le Guardian*.

"On ne devrait pas faire les femmes se sentir mal à l'aise vis-à-vis des tenues qu'elles portent pendant une compétition."

Olivia Breen, athlète britannique

sur Twitter

"Là où on laisse les hommes choisir leur tenue en fonction de la performance, les femmes doivent sans cesse faire face à ces paradoxes", pointe Sylvie Borau dans le magazine ElleEt ces débats sont vieux de plus d'un siècle. "A la fin du XIXe, on considérait que les femmes ne devaient pas se dénuder ni 's'exhiber', pour reprendre le terme de Pierre de Courbertin [le fondateur des Jeux olympiques], rappelle Béatrice Barbusse. Aujourd'hui, on considère parfois qu'il faut qu'elles soient le moins vêtues possible pour des questions de marketing. Dans tous les cas, on continue de leur dire comment elles doivent s'habiller."

Donner la parole aux sportives

Derrière ce "on" se cachent, bien souvent, des hommes. Ces derniers sont encore largement majoritaires au sein des instances dirigeantes des fédérations internationales ou nationales de chaque discipline, qui fixent les règles sur les tenues des sportives. "Les choix sont faits par les hommes et pour les hommes, sans demander aux principales concernées ce qui conviendrait le mieux à leur pratique et à leur morphologie, sans prendre en compte le regard particulier porté sur leurs corps", insiste la sociologue. Et d'interroger : "Avez-vous en tête une seule discipline masculine où la tenue est d'abord pensée pour que les sportifs soient plus sexys ?"

Les lignes ne commencent que (très) lentement à bouger. Et certaines évolutions relèvent surtout d'une volonté des fédérations de développer leur discipline dans de nouveaux pays, notamment à majorité musulmane, selon LCI. Depuis 2012, les beach volleyeuses ne sont ainsi plus obligées de jouer en bikini. Si le deux-pièces reste majoritaire sur les terrains, cette décision a permis aux Egyptiennes de participer aux Jeux olympiques de Rio, en 2016.

Des joueuses égyptiennes de beach-volley pendant un match contre l'Italie, le 9 août 2016, lors des Jeux olympiques de Rio de Janeiro (Brésil). (YASUYOSHI CHIBA / AFP)

Depuis 2013, la Fifa autorise de son côté le port du hijab sur les terrains de foot. Mais pas la Fédération française, qui interdit aux femmes de jouer voilées"Ceux qui s'opposent au port du hijab en compétition oublient que, dans certains pays, le simple fait pour des femmes de faire du sport est transgressif, rappelle Béatrice Barbusse. Développer la pratique féminine dans un pays comme l'Arabie saoudite est aussi une façon de faire bouger les mentalités."

Pour la sociologue, la balle est désormais dans le camp des sportives. "Presque chaque prise de position publique sur ces questions permet de faire avancer les choses", s'enthousiasme-t-elle. La clé pour accélérer ce processus de "démocratisation et de féminisation du pouvoir" ? "Que les athlètes n'hésitent plus à s'exprimer, qu'elles soient représentées dans les instances dirigeantes et qu'elles fédèrent autour de ces questions. Nous sommes un grand nombre à pouvoir les soutenir et relayer leurs arguments, martèle Béatrice Barbusse. Il faut laisser les sportives décider de ce qu'elles portent. Et de la sororité à gogo."

* Les liens marqués par des astérisques renvoient vers des contenus en anglais.

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