Pourquoi la natation française est-elle à la dérive depuis les Jeux de Rio ?
Les Français ne sont que neuf en lice aux Championnats du monde à Budapest et la délégation n'a que de maigres espoirs de médailles. Le niveau de la natation tricolore a plongé par rapport à deux ans plus tôt. Explications.
Le trône était vide. Dimanche 23 juillet, sur la ligne de départ du relais 4x100 mètres masculin, aux Mondiaux de natation de Budapest (Hongrie), les doubles tenants du titre était absents : les relayeurs français, anciens maîtres de la distance, n'avaient même pas fait le voyage cette année. Le symbole du brutal déclin de la natation tricolore. La France s'est déplacée en Hongrie avec neuf nageurs en tout et pour tout, le plus mince contingent depuis 2001.
Ses maigres chances de médailles reposent sur une éventuelle surprise venue de Charlotte Bonnet et Mehdy Metella, un réveil de Jérémy Stravius, éliminé dès les séries du 200 m lundi 24 juillet, ou un baroud d'honneur de Camille Lacourt, qui dispute sa dernière compétition. On sera, quoi qu'il arrive, loin des 10 médailles en Chine en 2011, de la troisième place mondiale en natation aux JO de Londres en 2012, ou même des six podiums, dont quatre titres, en Russie il y a deux ans. Franceinfo vous explique pourquoi les nageurs français sont dans le creux de la vague.
Parce que la relève ne travaille plus aussi bien
Le constat est simple, mais nécessaire : les nageurs français ne sont plus assez bons. Après les Jeux olympiques de Rio, des stars comme Fabien Gilot, Yannick Agnel, Coralie Balmy ou Fréderick Bousquet ont raccroché, et Florent Manaudou a décidé de se consacrer, au moins temporairement, au handball. "Il y a une baisse du niveau, il ne faut pas se voiler la face", admet à franceinfo Denis Auguin, ancien coach d'Alain Bernard. Pour celui qui est aujourd'hui en charge de "l'accès au haut niveau" au sein de la Fédération française de natation, "plusieurs générations exceptionnelles se sont succédé entre 2008 et 2012, et on savait que ça allait s’arrêter".
Mais ce changement de cycle est-il une fatalité ? Erick Lefert, coordinateur sportif de l'Olympic Nice Natation, s'interroge. "Malheureusement, on s'est peut-être un peu endormis sur nos lauriers. Je ne sais pas si les nageurs ne bossent pas un peu moins", explique à franceinfo celui dont le club envoie deux nageuses aux Mondiaux, Charlotte Bonnet et Anna Santamans. "Avant Londres, on travaillait comme des malades, sept jours sur sept." Yannick Agnel et Camille Muffat, multiples médaillés lors de ces JO, s'entraînaient alors à Nice.
La mentalité a-t-elle changé depuis ? "Après Londres, énormément de nageurs sont venus nager à Nice", raconte-t-il, mais cette nouvelle génération serait trop pressée d'arriver au sommet, après avoir admiré les exploits de ses aînés : "Ils s'imaginent que parce qu’ils ont enfilé le bonnet du club, ils vont tout de suite aller vite." Une impatience qui les rendrait aussi plus prompts à changer de clubs ou d'entraîneurs : "La tendance du moment, c'est que quand ils n'arrivent pas à avoir des résultats, ils vont voir ailleurs. Un nageur de haut niveau, c'est huit ans de travail, et la continuité est le meilleur moyen d'y arriver".
Le parcours de Yannick Agnel, qui s'est retiré des bassins l'an dernier à seulement 24 ans, symbolise certains problèmes. Sa présence, à son meilleur niveau, aurait sans doute redoré le profil actuel de l'équipe de France. "C'est un gâchis. Il a vraiment bien bossé pendant huit ans", se remémore Erick Lefert. Avant de quitter le club en 2013 pour les Etats-Unis, sans jamais retrouver son meilleur niveau. Peut-être un problème de motivation, estime le coordinateur sportif niçois : "Il a été double champion olympique, il ne pouvait pas faire mieux, à part conserver ses titres". Cela ne semble pourtant pas gêner les multimédaillés comme l'Américain Michael Phelps. "Aux Etats-Unis, ça fait partie de la culture, on peut être à nouveau champions. En France, c'est difficile de relancer la machine." La natation française a appris à gagner, mais peut-être pas encore à gagner une seconde fois.
Parce que les instances dirigeantes ont pris de mauvaises décisions
Les Jeux de Londres, apogée de la natation française, ont aussi marqué le début d'une période de flottement : depuis 2012, la fédération a changé trois fois de directeur technique national (DTN), et un nouveau doit être désigné après les Mondiaux. "Difficile de lancer des actions et de les maintenir dans la durée quand on change l’équipe technique fréquemment", déplore Denis Auguin. Interrogé par Le Figaro, l'ancien nageur Alain Bernard parle de "flou perpétuel" et déplore que "les modalités de sélection changeaient sans cesse aussi".
Le rôle principal du DTN est en effet de "fixer des temps de qualification à atteindre" pour participer aux grandes échéances comme les Mondiaux et les JO, explique Eric Lefert. Ils peuvent servir à tirer les nageurs vers le haut : "Avant 2012, le DTN avait donné des objectifs très durs, qui avaient fait scandale, mais tous les entraîneurs s’étaient mis à bosser dans leur club, et tous les nageurs les avaient atteints”. Arrivés affûtés aux JO de Londres, ils avaient remporté sept médailles, dont quatre en or.
Mais pour Rio, la stratégie avait été différente : plusieurs nageurs de renom, comme Yannick Agnel ou Fabien Gilot, incapables d'atteindre les minima de qualification, avaient été repêchés. "Si on ne performe pas aux Championnats de France, on ne performera pas aux JO", ironise Erick Lefert. Les nageurs en question avaient tous déçu, et l'affaire avait pourri l'ambiance dans l'équipe. "J’avais des nageurs, qualifiés en ayant réalisé les minima, qui se disaient que, finalement, ça ne servait à rien de se préparer", explique le dirigeant niçois.
"On a vécu une olympiade où on a laissé se désagréger l'esprit des qualifications. On était sur notre petit nuage, et on a oublié que la construction d'Athènes, Pékin et Londres s'est faite avec des critères de sélection drastiques", tranche le nouveau président de la fédération, Gilles Sezionale, dans Le Figaro. Le DTN qu'il a nommé par intérim, Laurent Guivarc'h, est revenu à des critères plus stricts pour les Mondiaux, fatals au relais 4x100 m masculin notamment. Résultat : l'équipe est passée de 28 à 9 nageurs.
Parce qu'il manque parfois des moyens pour former les nageurs
Si la relève des champions français n'arrive pas, à qui la faute ? "Quand je parle avec d'autres dirigeants, on en revient toujours au manque de piscines", explique Erick Lefert. Pour un club, ne pas avoir sa piscine attitrée revient à réduire le nombre de nageurs et la durée des entraînements, ce qui est un problème pour la formation. "C'est à Marseille, à Mulhouse ou chez nous, à Nice, que se trouvent les meilleures installations, et comme par hasard, nous avons de bons résultats". Un développement qui dépend parfois de la bonne volonté des collectivités locales : à Nice, ce sont les bons résultats des nageurs locaux aux JO de Londres qui ont poussé la mairie à débloquer des fonds.
Il constate un autre problème propre à la France : la difficulté pour les jeunes de mener de front des études et leur carrière de nageur, par rapport aux Etats-Unis, par exemple, où la formation des sportifs se fait à l'université. "En France, quand on fait du haut niveau, on a du mal à faire des études supérieures" estime Erick Lefert. Ce qui met une pression sur les nageurs : "S'ils ne sont pas tout de suite au top, ils n'ont pas le temps d'y arriver, car on leur demande trop rapidement de faire des choix de vie." Alors que les jeunes bercés par les exploits olympiques des Français pourraient former un nouveau vivier prometteur, il a vu beaucoup d'entre eux arrêter pour poursuivre leurs études.
Ces difficultés dans la formation des nageurs ont un effet concret sur l'équipe de France : "Il n'y a pas une grande profondeur de nageurs capables de faire du haut niveau", regrette Denis Auguin. Si les stars sont en difficulté, comme aux Jeux de Rio, "on a peu de banc", des nageurs remplaçants qui pourraient prendre le relais ou mettre la pression sur les meilleurs par leurs performances. Au sein de la fédération, il organise des stages pour former les meilleurs jeunes, dans l'espoir de bénéficier, à terme, d'un pôle de nageurs plus large.
Parce que la relève est encore jeune
Tout n'est cependant pas noir pour l'équipe de France. Si "la relève est moins nombreuse et a du mal a émerger", Denis Auguin estime que la formation "porte ses fruits" avec l'éclosion de Geoffroy Mathieu, "révélation sur 200 m dos" aux Championnats de France à Strasbourg en mai. "J'y ai vu des jeunes vraiment prometteurs", assure également Erick Lefert, qui cite aussi "des jeunes brasseurs comme Thomas Boursac et Jean Dencausse, qui ont 17-18 ans", ou encore "Pauline Mahieu, en papillon". "Mais il faut leur laisser le temps" avant de prendre le relais de leurs aînés. Qualifié pour ses premiers Mondiaux, Geoffroy Mathieu, "très stressé", a été éliminé dès les séries du 100 m dos, lundi 24 juillet. Denis Auguin organise déjà des stages à Tokyo, en vue des JO 2020. "Pour être performants dès Tokyo, ça va être un peu tendu, mais après ça devrait être pas mal", estime Erick Lefert.
En attendant, pour vibrer, il faudra peut-être se mettre à la nage en eau libre : en Hongrie, la semaine du 15 juillet, les Français ont remporté six médailles, dont quatre titres mondiaux, en sept courses. Peut-être le début d'une nouvelle génération en or de la natation française.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.