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Pour ces réfugiés, le football est vital : "Si on doit attendre septembre, ça va être compliqué"

Le confinement a fermé toutes les structures de football associatif. Parmi elles, plusieurs clubs accueillent des populations réfugiées. Plus dépendants que d’autres à l’égard du sport "fabrique à lien social", les migrants rongent leur frein depuis quelques semaines, et attendent avec impatience le retour sur le terrain.
Article rédigé par Guillaume Poisson
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié
Temps de lecture : 5 min
 

Moustapha a 23 ans. Dans la vie, il répare des vitres. Et joue au foot. Ce qu’il préfère, c’est jouer au foot. Et il s'est toujours débrouillé pour le faire, depuis son arrivée en France en tant que mineur isolé. “Respirer sur le terrain” : voilà ce qu'il cherche. Mais depuis le 13 mars dernier et la fermeture de tous les clubs de foot, dont le sien à l’ES Saint Jeoire la Tour, il ne peut plus respirer. Certes, il “jongle avec un ballon” dans son studio de moins 13m2. Mais, “ça n’a rien à voir”. Comme tous les férus de football, le terrain n’est plus accessible à la population réfugiée de France. Et si le déconfinement démarre ce lundi, le ministère des Sports a bien stipulé que le retour à la normale ne se ferait pas tout de suite pour les sports collectifs tels que le football. Cette période de latence sans possibilité de fouler le terrain est, peut-être plus que pour les autres, synonyme de frustration et d'isolement pour certains réfugiés.  

Passion gourmande, journées vidées

Moustapha a passé toute son enfance en Côte d’Ivoire. Et tout au bout du fil confus de ses souvenirs, se trouve un ballon de foot. “Je ne sais plus vraiment à quel âge j’ai commencé. Mais je sais que c’est toute mon enfance.” A peine trois mois après son arrivée en France, il se trouve un club, puis un autre. Ça fait désormais trois ans qu’il est à l’ES Saint Jeoire la Tour. Aujourd’hui contraint de rester depuis deux mois calfeutré entre les quatre murs de son studio, il admet trouver le temps “très long”. Il faut dire qu'au club, les réfugiés sont parmi les plus fidèles. Le président, Arnaud Staropoli, en sourit : "Il arrive souvent qu'en week-end, alors qu'ils n'ont ni match ni entraînement, ils se déplacent pour voir les matches des autres, aider avec l'arbitrage ou l'organisation. Le foot, le club, c'est leur vie".

Ces journées sans football, ce sont de longues heures d’attente et de vide, pour une population souvent très précaire qui ne jouit pas des mêmes moyens de distraction. “Ils me disent tous : 'je m’ennuie' ou 'je suis fatigué', s'inquiète Chloé Cassabois, présidente de l'Equipe sans frontière, un club de foot de réfugiés basé à Paris. Ils ne font rien dans leur journée. Il faut comprendre qu’ils n’ont pas les mêmes moyens que nous pour se divertir. Nous dans notre confinement, on a des outils, un ordi, des meubles. Eux ils n’ont que leur téléphone.” 

Havre de normalité 

Plus que la pratique du sport en lui-même, c'est l'investissement émotionnel nécessaire aux entraînements, à la vie de groupe, et aux matches, qui fait défaut.  Pour Baptiste Rinaldi, co-fondateur du Paris d'Exil Football Club, il est essentiel pour eux de cultiver "l’esprit de compétition". Un match de foot se joue à onze contre onze, et à la fin, c’est le meilleur qui gagne. La compétition est peut-être le seul moment où ils se sentent sur un pied d’égalité avec les Français : ce sont simplement des adversaires, qu’il faut battre. Pas d’aide, pas de pitié, pas de condescendance ou de stigmatisation : juste un match. “La compétition amène la normalité. Ils veulent montrer qu’ils ont beau venir de l’étranger, ils sont venus pour s’en sortir.” 

"Sans foot, personne ne me connaît" 

Transcender son image de réfugié, c'est aussi ce que le football a offert à Moustapha. Et il s'en rend particulièrement compte depuis qu'il n'y a plus droit : “Un jour, j’étais très loin du club et j’avais un match à jouer. Je me suis mis à marcher, sans trop d’espoir d’arriver à l’heure. Et là, des gens se sont arrêtés et m’ont pris en stop jusqu’au club. Parce qu’ils me connaissaient. Ils m’ont dit : 'C’est toi Mouss ?' Sans foot, personne ne me connaît”. Sans le tournoi du dimanche, sans la rencontre amicale avec le comité d’entreprise, sans ces innombrables occasions d’exister en tant que footballeur plus qu’en tant que réfugié, le processus d’intégration patine. Et l’impossibilité de se rendre sur le terrain pendant de longues semaines, leur rappelle à quel point le foot leur est nécessaire.

Bakary a 20 ans. Depuis trois ans, il se consacre à 100% à son club, le Paris d'Exil Football Club, dont il a été capitaine. D'abord, parce qu'il adore ça plus que tout, le foot. Mais aussi, parce qu'à Noël, ils sont "ensemble". "Nous avons fêté 3 fois noël ensemble. On boit, on danse, on rit. Evidemment je ne m'entends pas avec tout le monde, mais aujourd'hui, je dois dire que la quasi totalité de mes amis proches vient du club." La convivialité pourrait être celle qu'on retrouve dans la plupart des clubs amateurs. Entre des joueurs qui deviennent, au fil des semaines, des entraînements, et des matches, des amis parfois très proches. Mais, d'après Raphaël Besson, du Football Phénix Club de Versailles, c'est différent :"Quand on a un gars qui au bout du 3e entraînement te raconte qu'il était sur l'Aquarius il y a quelques semaines et qu'il y a perdu son cousin, quand un autre débarque à l'entraînement heureux comme un gamin parce qu'il a obtenu l'asile, là on entre dans autre chose". 

Si les clubs ne réouvrent qu'en septembre, comme anticipé par la plupart d'entre eux, cela ferait sept mois. Sept mois d'abstinence, sept mois sans foot, sept mois sans leur principal, et parfois exclusif, lieu de socialisation.  “Il y a une chose qui me vient à l’esprit : c’est le sourire", indique Raphaël Besson. "Quand un gars arrive de son bus de je ne sais où, qu’on a l’impression qu’il traîne tout le malheur du monde sur ses épaules, le sourire qu’il lâche au bout de dix minutes parce qu’il a mis un but... C’est ce sourire qui nous persuade que oui, le foot, c’est primordial pour eux et, oui, vivement le retour sur le terrain”

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