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Roland-Garros 1989 - Michael Chang et l'insolence de ses 17 ans

Pour marquer à jamais son sport, les fragiles records ne suffisent pas. En 1989, Michael Chang est bien devenu le plus jeune vainqueur d'un tournoi du Grand Chelem, mais il est entré dans la légende du tennis mondial grâce à une épopée incroyable et surtout deux traits de génie, aussi fous qu'inoubliables.
Article rédigé par Romain Bonte
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié
Temps de lecture : 7min
  (PIERRE GLEIZES/AP/SIPA / AP)

Le 11 juin 1989, après un duel de 3h41 sur le court central de Roland-Garros, c'est un véritable tremblement de terre qui vient de se dérouler Porte d'Auteuil. Subjugué par le spectacle auquel il vient d'assister, le public parisien acclame un jeune Américain qui vient de signer l'une des plus grandes performances de l'histoire du tennis. A 17 ans et 3 mois, Michael Chang triomphe de la légende suédoise Stefan Edberg. Après avoir pourtant été mené deux sets à un, le gamin du New Jersey a trouvé les ressources mentales pour recoller au score puis faire déjouer l'un des joueurs les plus talentueux de sa génération.

Talent précoce

"On n'est pas sérieux quand on a 17 ans", disait Arthur Rimbaud. Lors de cette inoubliable Quinzaine, Chang aura démontré tout le contraire en faisant preuve d'une incroyable maturité tactique et mentale. Lors de cette finale face au maître du service-volée, celui qui n'est encore qu'un adolescent s'est appuyé sur un retour de service percutant et des passings tout aussi efficaces. Après être devenu le plus jeune joueur de l'histoire à remporter un match à Roland-Garros l'année précédente, l'Américain confirme aux yeux du monde entier l'étendue de son impertinent et indéniable talent. Poussant à la faute son adversaire, il remporte cette finale en cinq manches 6-1, 3-6, 4-6, 6-4, 6-2.

Si son record de précocité tient toujours aujourd'hui, il faut s'attendre à ce qu'il soit battu un jour. Ce qui est moins probable, c'est d'assister à une telle épopée. Son début de tournoi est à la hauteur de son parcours de l'année précédent où il avait atteint déjà le troisième tour. Tombeur du Belgo-argentin Eduardo Masso (6-7, 6-3, 6-0, 6-3), d'un certain Pete Sampras (6-1, 6-1, 6-1) devenu professionnel l'année précédente, puis de l'Espagnol Francisco Roig (6-0, 7-5, 6-3), la tête de série N.15 du tournoi se retrouve en huitième de finale face à un très gros client, en la personne d'Ivan Lendl.

Un duel déséquilibré

Triple vainqueur des Internationaux de France et N.1 mondial, il ne fait aucun doute que l'imperturbable Tchèque va, sans sourciller, renvoyer ce jeune effronté à la maison. Mais ce 5 juin 1989, les dieux de la petite balle jaune ont décidé d'écrire un scénario totalement inattendu, un scénario digne des meilleures séries américaines. Lorsqu'il se présente sur le court, Michael Chang sait deux choses. La première, est qu'il pourra a priori compter sur le soutien du public, peu emballé par la personnalité très austère de Lendl. Enfin, il sait que physiquement, il ne pourra pas rivaliser avec son adversaire. Pour s'en sortir, le jeune Américain doit miser sur sa vitesse ainsi que sur sa force mentale.

La rencontre débute plutôt mal pour Chang qui subit le jeu agressif du fond de court du Tchèque. Ce dernier remporte la première manche 6-4, puis la deuxième sur le même score. Alors que tout le monde s'attend à une issue rapide de cette rencontre, Chang s'accroche et finit, par retrouver des couleurs en prenant le troisième set 6-3 puis le quatrième, de nouveau 6-3. C'est dans l'ultime manche que ce match va prendre une tournure totalement surréaliste. Physiquement, l'Américain est à bout. Il marche lentement entre les points et préfère ne pas s'asseoir sur son banc lors des pauses, préférant manger une banane pour retrouver des forces.

"Je devais terminer le match"

Dans une interview accordée à CNN en 2012, Chang raconte l'état dans lequel il se trouve alors qu'il mène 2-1. "J'ai failli décider d'arrêter le match, je ne pouvais pas servir, je ne pouvais pas aller chercher les balles frappées dans les coins et je me dirigeais vers la ligne de service pour dire à l'arbitre que je ne peux plus jouer, que c'est fini", se rappelle-t-il. "J'arrive à la ligne de service et j'ai une conviction incroyable, juste une conviction dans mon cœur et c'était presque comme si Dieu disait 'que fais-tu ?' " Finalement, il se décide à poursuivre ses efforts. "Gagner ou perdre, je devais terminer le match", raconte Chang.

 

C'est alors que pour récupérer il envoie des balles très hautes, qui non seulement lui permettent de s'épargner physiquement, mais qui commencent à déstabiliser Lendl. Au courage, l'insolent Américain prend même les devants à 4-3. Mais les crampes le tétanisent. Il souffre. Le public pense que c'est l'énergie du désespoir qui lui permet de se maintenir en vie dans ce match. Chang se voit alors mené sur son service à 15-30. Si Lendl gagne le point suivant, le match peut basculer. Mais Chang a de la ressource et c'est lui qui, sur son engagement, a son sort entre les mains.

Enfantin et génial

"A 15-30, je me dis impulsivement que je vais réaliser un service sournois ici, parce que de toute façon je ne fais rien de ma première balle. Voyons voir si je peux marquer un point", explique-t-il encore. L'instant est magique. Le mouvement, d'une simplicité enfantine, est à la fois rapide et paradoxalement figé dans le temps. "Je frappe le service à la cuillère, Ivan est un peu surpris, coincé en raison de la rotation de la balle et contraint d'avancer car le coup est court", se souvient Chang. On entend la stupéfaction des spectateurs, puis dans la foulée, l'impudent réalise alors un passing qui effleure le filet. Désorienté, le N.1 mondial ne peut que renvoyer la balle en dehors du terrain. Chang serre les deux poings, certains sont bouche bée, d'autres se prennent la tête à deux mains. Le public est subjugué par ce qui vient de se produire.

Le jeune Américain vient non seulement d'égaliser à 30-30 mais il est surtout parvenu à toucher en plein cœur son adversaire. L'épaisse carapace du joueur tchèque, d'ordinaire imperturbable, se craquelle. Agacé, Lendl est en train de perdre le duel psychologique que lui impose cet adolescent. Et comme pour confirmer son emprise sur son rival, Chang décide d'appuyer un peu plus là où ça fait mal. A 5-3, il se procure deux balles de match (15-40). Le premier service de Lendl ne passe pas. Chang sent alors qu'il suffit d'un rien pour pousser le Tchèque à la faute.

Une légende à 17 ans

Au culot, il s'avance jusqu'au carré de service. "La foule a commencé à devenir folle, ils ont commencé à sifflé et faire des choses de ce genre", se remémore Chang. Totalement décontenancé, Lendl finit par commettre une double faute, le match est terminé et le jeune Américain vient de signer l'un des épisodes les plus marquants de l'histoire du tennis. Six jours plus tard, l'enfant de Hoboken soulèvera la prestigieuse Coupe des Mousquetaires, devenant à jamais une légende du tennis mondial.

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