Coupe du monde de rugby : d'alternative à cadre, comment Thomas Ramos est devenu l'incontournable buteur du XV de France
Rien ne lui a jamais été donné. Le parcours de Thomas Ramos en équipe de France n'a rien d'une trajectoire rectiligne. L'actuel arrière titulaire du XV de France a longtemps rongé son frein, observé la concurrence à son poste, et saisi à chaque fois sa chance pour convaincre Fabien Galthié qu'il avait l'étoffe d'un titulaire. A 28 ans, c'est désormais chose faite, mais Thomas Ramos a enjambé plus d'un obstacle depuis sa première sélection, en février 2019.
Cette année-là, le natif de Mazamet (Tarn), qui évolue au Stade toulousain après s'être révélé en prêt à Colomiers (Pro D2) en 2016-2017, est du voyage au Japon en novembre pour la Coupe du monde. Titulaire lors du deuxième match, il se blesse à la cheville, et le staff médical le renvoie précipitamment en France. Sa Coupe du monde est terminée, mais il refoule les pelouses en club seulement... dix jours plus tard, après le feu vert des médecins.
Une décision difficile à digérer pour lui comme pour les supporters, et qui fait alors polémique. "Ca a été dur à accepter. Je ne comprends pas trop ce qui s'est passé. Autant sportivement, je peux comprendre, autant médicalement.... C'est allé très très vite. Quand je suis rentré à Toulouse, j'ai beaucoup pleuré. Je n'ai pas honte de le dire. Il faut pleurer parfois, ça fait un bien fou ! ", confiait-il dans les colonnes de L'Equipe au début du Mondial le 10 septembre. "Quand il y a une frustration ou une déception, c'est important d'évacuer pour ne pas en garder, et je pense que c'est effectivement comme ça qu'il s'est reconstruit et qu'il a avancé", observe l'ancien ailier international Vincent Clerc, dans un sport où les émotions négatives et la sensibilité sont fréquemment enfouies.
Enfin haut perché
L'épisode résume à lui seul l'histoire contrariée de Thomas Ramos avec le XV de France de 2019 à 2022. Toujours dans le groupe, souvent remplaçant, parfois titulaire. "ll y a eu des hauts et des bas. Mais je n'ai jamais lâché. À chaque fois que j'étais renvoyé en club, je me disais : 'Pas de problème, je vais leur montrer que j'ai le niveau'", dévoilait-il toujours dans L'Equipe. Mais l'arrière ne s'est jamais désuni : "Il y a une bascule après cette Coupe du monde, que ce soit en club ou en sélection", constate notre consultant.
Devenu indispensable au Stade toulousain, Thomas Ramos a d'abord été dans l'ombre de Maxime Médard (également concurrent à son poste en club) en sélection, mais aussi d'Anthony Bouthier, puis de Brice Dulin, et enfin de Melvyn Jaminet au poste d'arrière. Ce dernier avait rayonné sur le Tournoi des six nations 2022, et semblait avoir verrouillé le poste. Mais sa blessure à l'automne a relancé son concurrent, qui a une nouvelle fois saisi l'occasion, pour ne plus jamais redescendre dans la hiérarchie.
"Il était loin derrière au départ. Il a eu des sélections avec Guy Novès. Avec Fabien Galthié, c'était en dents de scie. C'est vraiment l'un des joueurs qui a le plus mérité sa sélection. Il s'est battu pour y arriver."
Vincent Clerc, consultant rugbyà franceinfo: sport
Son profil polyvalent (il peut également être placé en demi d'ouverture) a convaincu Fabien Galthié de l'intégrer dans son XV de départ, d'autant que Romain Ntamack a connu plusieurs blessures au poste de n°10. Sa capacité à jouer sous pression l'a enraciné derrière les trois-quarts comme premier relanceur, et comme buteur.
"En plus de ses qualités de très grand buteur, ses prises de risques sont maîtrisées, et à chaque fois ça paye. Il n'y a pas de geste inutile. Il n'est pas là pour faire le spectacle", poursuit Vincent Clerc. "J'ai toujours détesté perdre. Pour moi, mauvais perdant, ça a toujours été une qualité", confiait Thomas Ramos à France Bleu Occitanie, avant le match d'ouverture. Dans ce Mondial, le n°15 de l'équipe de France se classe 5e au nombre de passes, derrière les trois demis de mêlée (Dupont, Lucu, Couilloud) et le n°10 Matthieu Jalibert, qui ont beaucoup plus le ballon au coeur du jeu. Signe qu'il fait lui aussi partie des stratèges tricolores.
En club, il est également indéboulonnable, alors que ses dirigeants lui ont mis dans les pattes Maxime Médard et Yoann Huget, puis Melvyn Jaminet et Ange Capuozzo. "J'ai lu récemment une interview de LeBron James, qui expliquait l'importance du 'QI de jeu' dans les sports collectifs. Et Thomas, il a tout simplement un QI rugby supérieur. Ce n'est pas du hasard, mais du travail : le QI rugby, ce n'est pas seulement bien sentir le jeu", dévoilait dans les colonnes du Midi Olympique le 2 octobre le prodige italien Capuozzo, que Ramos a affronté vendredi.
Mais c'est bien sa précision face aux perches qui le maintient en poste, peu importe l'enjeu. Lors du Tournoi des six nations 2023 en début d'année, il est devenu le nouveau meilleur réalisateur français dans une édition, avec 84 points inscrits, dépassant Gérald Merceron, auteur de 80 points lors du Grand Chelem 2002. "En début de Tournoi, je ne savais pas que ce record existait, mais je suis très content de le battre et j'espère qu'il sera battu dans le futur : ça montre que l'équipe de France se porte bien", avait humblement admis Ramos.
86% de réussite au pied lors de la Coupe du monde
Lors de cette Coupe du monde à domicile, Thomas Ramos a passé tous les tests sans encombre, du match d'ouverture face à la Nouvelle-Zélande, où il a maintenu son équipe au contact en première période, à celui face à l'Italie, où il n'a manqué qu'une seule de ses huit tentatives au pied. Au total, sur ses trois matchs joués (il était sur le banc face à l'Uruguay), il comptabilise un excellent 25/29 au pied, soit 86% de réussite.
Il n'a raté que deux pénalités (6/8) et une seule transformation (19/20). "Un très bon buteur, c'est indispensable aujourd'hui. Il y en a plusieurs en équipe de France, mais il a un très bon pourcentage et c'est capital", développe Vincent Clerc. Les Springboks, en délicatesse dans ce secteur avant de rappeler Handré Pollard, en savent quelque chose : leurs deux buteurs, Manie Libokk et Faf de Klerk, affichent respectivement à 55% et 50% de réussite sur la phase de groupes.
Sa régularité au pied est telle qu'en seulement quatre ans, Ramos est déjà le neuvième meilleur marqueur de l'histoire du XV de France (261 points). A titre de comparaison, Frédéric Michalak, le n°1 de ce classement, pointe à 436 unités en 15 années avec les Bleus. "Il a assumé un statut à haute pression sur des matchs de très haut niveau, et il a toujours sorti des prestations exceptionnelles, quand il fallait les sortir", souligne Clerc.
Les Bleus auront besoin de son calme à toute épreuve, de son pied soyeux et de son grain de folie face à l'Afrique du Sud en quarts de finale, dans une adversité toute autre que leurs trois derniers matchs (Uruguay, Namibie et Italie). Si la rencontre s'avère serrée, la France pourra se reposer sur l'actuel meilleur marqueur de la compétition (61 points - un essai, six pénalités, 19 transformations). A sa manière, Thomas Ramos revient de très loin, et autour d'Antoine Dupont, il détient sans doute l'une des principales clés pour ouvrir la porte vers un premier titre mondial pour la France.
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