Coupe du monde de rugby : d'épouvantails à bêtes blessées, les All Blacks sont-ils descendus de leur piédestal ?
Quelle équipe de Nouvelle-Zélande va se présenter face aux Bleus, vendredi 8 septembre, pour le match d'ouverture de la Coupe du monde ? Le rouleau compresseur habituel, qui a enchaîné onze matchs sans défaite en un an, ou celle chancelante, qui a subi un revers historique il y a deux semaines face à l'Afrique du Sud ? Sans doute un peu des deux, mais le pedigree des Blacks, trois fois champions du monde (1997, 2011 et 2015), les place immédiatement au niveau des favoris, peu importe les soubresauts récents.
Troisièmes de la dernière édition, vainqueurs impitoyables cet été de leur 20e Rugby Championship, qui réunit Néo-Zélandais, Australiens, Sud-Africains et Argentins, les hommes de Ian Foster ont, en apparence, tous les atouts de l'épouvantail dont le noir fait frémir les adversaires. "Toute la rencontre va être difficile. Comme toutes les grandes équipes, elle a très peu de points faibles, elle est consistante sur toutes les parties du jeu, avec une grande expérience collective. On se prépare à une intensité très élevée", a prévenu le capitaine Antoine Dupont mercredi. Le constat est simple : les All Blacks n'ont jamais perdu en phase de groupes de la Coupe du monde depuis la création, en 1987 (31 victoires-0 défaite).
La douche froide face aux Springboks
Vendredi, les stars seront là, de la tribu Barrett (sauf Jordie, touché au genou), à Ardie Savea en passant par Sam Whitelock et Will Jordan, mais le doute s'est peut-être immiscé dans l'esprit des Kiwis. Dépassés tactiquement, agressés physiquement, les All Blacks ont subi la foudre de Springboks bien plus avancés dans leur préparation, le 25 août dernier. Résultat : une humiliation 35-7 à Twickenham, la plus lourde défaite de leur histoire.
"Dans l’absolu, cette défaite est inquiétante, de voir la Nouvelle-Zélande autant balayée physiquement", constate Ian Borthwick, journaliste et écrivain franco-néo-zélandais. "C’est la preuve que les Blacks sont devenus presque ordinaires. Mais il y a des faits de jeu, un arbitrage discutable, deux cartons, puis un carton rouge. C’est impossible d’être compétitif contre toute la puissance sud-africaine à 14", tempère le journaliste, auteur de plusieurs ouvrages sur les All Blacks.
Rapidement réduits à 14 après l'exclusion de Scott Barrett, puis un moment à 13, les Blacks, dont la plupart des titulaires présents n'avaient pas joué depuis un mois, ont des circonstances atténuantes. "Ça reste un match de préparation, il y avait le voyage, peut-être la peur de se blesser. En général, ils répondent présent en Coupe du monde", rappelle le troisième ligne français François Cros. "C’est une grosse claque, mais ça ne pouvait pas arriver à un meilleur moment pour les Néo-Zélandais. C’est un petit rappel de ce qu’il faut pour gagner contre les équipes les mieux cotées à l’heure actuelle", complète Ian Borthwick.
Secoués violemment, les Blacks sont redescendus de leur nuage habituel, et cela serait presque un mal pour un bien pour eux, un peu moins pour la France, son prochain adversaire. "Je pense qu’ils vont être plutôt galvanisés par l’événement, avec l'objectif de montrer leur vrai visage. Ils vont être d’autant plus dangereux et motivés. Ils ont des joueurs qui peuvent débloquer la situation, et on ne se dit pas que c’est une équipe des Blacks faible qui arrive", prévenait le trois-quart aile Gabin Villière mercredi.
Crise passagère ou creux générationnel ?
Mais cette défaite, qui renvoie à deux dernières années en demi-teinte, avec des revers à l'extérieur en Irlande (29-20) et en France (40-25) en 2021, puis quatre en cinq matchs à l'été 2022, dont deux inédites sur leur île face à l'Argentine et l'Irlande, est-elle vraiment anodine et rationnellement explicable pour une telle machine à broyer ?
"C’est peut-être générationnel, car ils n’ont pas de très grands joueurs comme ils ont pu avoir avant avec Dan Carter, Richie McCaw, Ma'Nonu et Conrad Smith, qui étaient tous ensemble", analyse Ian Borthwick. "Néanmoins, une Coupe du monde, ça ne se gagne pas avec des stars mais avec un collectif. Si la Nouvelle-Zélande arrive à mettre en place son jeu et à montrer ses forces, elle peut être championne du monde. Mais elle est à la même place que plusieurs autres équipes : l’Irlande, l’Afrique du Sud et la France", poursuit le journaliste qui a un pied dans les deux camps.
Le noir néo-zélandais inspire sans doute un peu moins la crainte que par le passé, et la France, qui s'était jouée d'elle avec autorité il y a deux ans au Stade de France, n'a plus besoin d'une dose de surnaturel pour s'imposer. "On peut travailler sur les images de ce match-là, mais on s’attend à un tout autre match au niveau du contexte et de l’enjeu. On s’est surtout basés sur ce qu’ils ont fait depuis. C’est une équipe qui résonne à l’échelle mondiale même si leurs derniers résultats n’ont pas été probants", souligne François Cros.
"Les All Blacks ne sont pas du tout aussi favoris au titre que lors des précédentes éditions. Ils ont baissé d’un cran par rapport à d’autres Coupes du monde où ils arrivaient en grands favoris. Cette équipe n’est peut-être pas aussi cotée que celle du passé."
Ian Borthwickjournaliste et écrivain néo-zélandais
Le sélectionneur Ian Foster, largement critiqué avant l'embellie de 2023, quittera ses fonctions après la Coupe du monde. Les blessures (Brodie Retallick, Tyrel Lomax ou Jordie Barrett) et les défaites surprenantes ont ajouté de l'inquiétude aux antipodes. L'identité de jeu si fluide a parfois semblé écorchée. "C'est la première fois qu'ils ne sont pas favoris d'une Coupe du monde. Ils sont moins dominateurs, ils perdent régulièrement. Cette équipe fait moins peur que par le passé, des jeunes joueurs ont du mal à prendre leur place. Leurs compétitions au quotidien ne les poussent pas vers le haut. Ils se sentent peut-être un peu plus vulnérables qu'avant, et essayent davantage de voir ce qui se fait chez les autres. Avant, ils avaient un temps d'avance. Aujourd'hui, il ne l'ont plus", tranche notre consultant France Télévisions, Vincent Clerc. L'arrivée, en juillet 2022, de Joe Schmidt, ancien sélectionneur de l'Irlande qu'il a menée à trois succès dans le Tournoi des six nations (dont un Grand Chelem), a néanmoins correspondu au redressement des Néo-Zélandais.
En sus, le poste de n°10, sur lequel le jeu all black s'est souvent construit pour aller en finale de Coupe du monde (Grant Fox en 1987, Andrew Mehrtens en 1995 ou Dan Carter en 2015) n'est pas parfaitement tranché entre Richie Mo'unga, qui sera titulaire vendredi, Damian McKenzie, et Beauden Barrett, qui sera aligné en tant qu'arrière face aux Bleus. "Si l'on regarde l'histoire des différentes Coupes du monde, les Blacks ont totalement maîtrisé leur sujet lorsqu'ils disposaient d'un demi d'ouverture sans concurrence, buteur et seul dépositaire du jeu de l'équipe", constate Simon Mannix, ancien All Black reconverti entraîneur au Racing 92, au Munster et à Pau.
Autant de critères qui ont, depuis deux ans, fait chanceler les Blacks de leur trône, eux qui sont redescendus à la quatrième place au classement World Rugby. Dans une poule déséquilibrée, le premier match sera donc aussi important pour le résultat que le contenu côté néo-zélandais. "On veut un jeu plus clair, plus fluide, et je pense que ces deux équipes vont livrer un combat physique mais surtout un combat de jeu. Les Français partent favoris, ils ont leur public pour eux, mais c’est aussi un match de prestige, il faut marquer le coup. Je prévois un 35-35 !", conclut Ian Borthwick. Le Stade de France est prêt à bouillir pour ses Bleus, et les All Blacks sont prêts à rappeler que le monde a eu tort de moins les craindre.
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