Coupe du monde de rugby : la folle histoire du Portugal, invité surprise du Mondial
En temps normal, Lionel Campergue aurait sûrement apprécié son jour de repos, samedi 16 septembre, après sa semaine de travail en tant que commercial dans le vin et le champagne. Le lendemain, il aurait distribué quelques plaquages avec son club de l'AS Pont Long (Pyrénées-Atlantiques) sur la pelouse de Soustons (Landes) en ouverture du championnat de Fédérale 2 (6e division).
Au lieu de cela, cet international portugais défiera le pays de Galles pour l'entrée en lice du Portugal à la Coupe du monde (17h45), devant près de 35 000 spectateurs massés dans l'Allianz Riviera de Nice. "Il y a énormément d'excitation, pas uniquement chez moi, mais pour tout le monde", livre le talonneur pour franceinfo: sport.
"On se sort le cul des ronces"
Seize ans après, "los Lobos" (les Loups"), le surnom de la sélection nationale, participent au deuxième mondial de leur histoire. Ils viennent pourtant de loin. "On se sort le cul des ronces au dernier moment", image Lionel Campergue. La 16e nation mondiale avait initialement raté la qualification en se classant à la quatrième place du Rugby Europe championship 2022 (le Tournoi B) derrière la Géorgie, l'Espagne et la Roumanie. Mais il profite du déclassement des Espagnols, sanctionnés de dix points de pénalité pour avoir aligné un joueur inéligible, pour être repêché au tournoi final de qualification où le dernier ticket doit être attribué.
"On était tellement déçus d'avoir manqué la qualification qu'on s'est tous remobilisés, on n'a pas loupé notre deuxième chance", se souvient Campergue. Fin novembre, à Dubaï (Émirats arabes unis), les Portugais battent facilement Hong Kong (42-14) puis le Kenya (85-0) avant d'affronter, pour finir, les Etats-Unis. Un match nul suffit à les envoyer au paradis. Ils sont menés de trois points quand Samuel Marques a la balle d'égalisation, et donc de qualification, au bout du pied sur une pénalité obtenue deux minutes après la sirène.
"J'ai regardé Sam (Marques) droit dans les yeux, il m'a fait un petit sourire. Je savais qu'il allait la mettre", rejoue Vincent Pinto. L'ailier des Lobos ne se trompe pas. Le ballon file entre les perches et la joie portugaise peut éclater. "J'en ai encore des frissons. J'en avais les larmes aux yeux, ça a été quelque chose d'exceptionnel, s'est remémoré le talonneur Mike Tadjer, à l'AFP. C'était le rêve de ma vie qui venait de se réaliser."
Cette qualification est l'aboutissement d'un projet de longue haleine que plusieurs joueurs mènent en parallèle de leur vie professionnelle, à l'image du capitaine Tomas Appleton, chirurgien-dentiste à la ville. Certains étaient présents dès le début, quand la débrouille et le système D jalonnaient chaque rassemblement de la sélection nationale. "On a vu des choses assez improbables, même encore aujourd'hui, on se dit qu'on est la seule sélection à faire ça", se marre Lionel Campergue en se rappelant les machines artisanales pour travailler la mêlée ou les voyages de près de 20 heures avec trois escales pour rejoindre la Géorgie. "L'évolution s'est faite à partir du moment où il y a eu un cadre", poursuit le talonneur international depuis 2010.
La métamorphose Lagisquet
Celui-ci est arrivé grâce à Patrice Lagisquet. En 2019, le vice-champion du monde 1987 en tant que joueur avec le XV de France et triple champion de France avec Biarritz en tant qu'entraîneur (2002, 2005 et 2006) propose ses services à la Fédération portugaise. Il avait alors quitté le monde professionnel après avoir occupé le poste d'entraîneur des arrières de l'équipe de France, sous les ordres de Philippe Saint-André (de 2012 à 2015).
"Dès le début, on avait en filigrane la possibilité de se qualifier pour cette Coupe du monde, racontait-il sur Stade 2, en février. C'est peut-être ma dernière aventure dans le rugby, ça peut être un challenge vraiment sympa." "J'ai été surpris parce qu'on perdait un peu espoir, on voyait que rien n'évoluait. Je me suis dit : 'Comment ils ont réussi à attirer Lagisquet ?', sourit Campergue. C'est une personne qui a énormément d'expérience, qui a connu le haut niveau. Il nous a amené son charisme. Quand il parle, tout le monde ferme sa bouche et l'écoute."
Pour réussir son pari, Patrice Lagisquet (46 sélections en équipe de France) a puisé dans sa double culture. "L'idée est de se servir de la richesse du rugby portugais, qui est très créatif, orienté sur la prise d'initiative et en même temps aller chercher les forces du rugby français : conquête, mauls, mêlées", détaillait-il dans Stade 2. Le groupe sélectionné est à l'image du projet : 17 des 33 membres de la délégation lusitanienne à la Coupe du monde évoluent en France, dont certains possèdent la double nationalité.
Cristiano Ronaldo au soutien
C'est le cas de Vincent Pinto. Champion du monde des moins de 20 ans avec l'équipe de France, en 2019, aux côtés d'Arthur Vincent ou Jean-Baptiste Gros, l'ailier a rejoint les Lobos en 2022. "Patrice [Lagisquet] m'a parlé de la sélection et de l'identité pour le jeu offensif, je n'ai pas hésité une seconde", conte-t-il.
Lagisquet ne "[veut] pas que ce soit juste un passage comme ça, pour faire un coup". "L'idée est de faire évoluer la culture de jeu du rugby portugais et participer à une évolution vers de nouvelles ambitions", détaillait-il. Le ballon ovale a réussi à faire un peu parler de lui dans un pays fou de football, au point que la star Cristiano Ronaldo a envoyé un message de félicitations aux Lobos. "J'espère que cette Coupe du monde va apporter un coup de boost en termes de licenciés, pour que le rugby portugais passe un cap", souhaite Vincent Pinto. Le pays des Œillets compte environ 11 000 licenciés seulement (contre plus de 130 000 pour le ballon rond).
Pour susciter l'engouement, les Loups espèrent faire mieux qu'en 2007, quand ils avaient concédé quatre défaites pour leur découverte de la Coupe du monde. Membres du groupe C avec le pays de Galles, l'Australie, les Fidji et la Géorgie, repartir avec leur première victoire au Mondial ne sera pas aisé. "On sait qu'on ne gagnera pas la Coupe du monde (rires). Mais on ne vient pas non plus pour prendre 60 points à tous les matchs, ni que pour chanter l'hymne", conclut Mike Tadjer.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.