Cryothérapie, pilules et stages en altitude : la préparation magique des grosses équipes au Mondial de rugby
Vous allez comprendre pourquoi ils sont si costauds et comment ils galopent sur les terrains six semaines durant...
Les cas de dopage dans le rugby sont rarissimes. Pourtant, on parle bien d'un sport où les joueurs sont chaque année un peu plus costauds et où il n'est pas rare de prendre 5 kilos de muscles pendant l'intersaison. "Le rugby est dans la situation du cyclisme avant l'affaire Festina", s'alarmait l'ancien international Laurent Bénézech en 2013. Pour préparer ce Mondial, beaucoup d'équipes ont eu recours aux techniques de préparation dernier cri. Dont les Bleus. Leur préparateur physique, Julien Deloire, a eu cette phrase, dans Rugbyrama : "Les autres pays ne vont pas partir siroter des cocktails aux Bahamas. Ils vont aussi travailler et on peut s'attendre à des joutes très élevées."
Les pilules magiques
Vous pensiez que les rugbymen s'empiffraient de pâtes à longueur de journée ? Vous vous trompiez. Mathieu Bastareaud, centre de l'équipe de France, raconte dans son livre Tête haute (Robert Laffont, 2015) que les compléments alimentaires font partie de son alimentation. "Ce matin, par exemple, avant l'entraînement, je me suis fait un petit shaker de protéines et un blanc de poulet. Après la musculation, je reprendrai un shaker de protéines. Et ce soir, un shaker de boissons de récupération." En période de préparation à la Coupe du monde, c'est pire. "En période de lourde charge comme maintenant, c'est essentiel. L'alimentation ne suffit plus", reconnaissait Julien Deloire sur RMC en 2011. Dans son autobiographie, Jonny Wilkinson avouait candidement que certains joueurs de l'équipe d'Angleterre avalaient jusqu'à 30 pilules par jour avant la Coupe du monde 1999.
En 2007, le XV de la Rose, battu en finale de la Coupe du monde en France, lègue ses compléments alimentaires à son escorte, composée de membres du GIGN, qui enchaînaient avec une mission en Afghanistan. L'un des gendarmes a pris 14 kilos de muscles en dix semaines... Histoire rapportée, rappelle L'Equipe, par un capitaine du Groupe d'intervention de la gendarmerie nationale devant un tribunal qui devait juger pour diffamation Laurent Bénézech, auteur de révélations sur le dopage dans le rugby.
Ce n'est pas du dopage, mais... "Je me rappelle avoir vu un match du Top 14 à la télévision, raconte le docteur Jean-Pierre de Mondenard, bible du dopage et auteur de nombreux ouvrages sur le sujet. Un joueur était interviewé dans les vestiaires. Quand un autre joueur s'empare d'un pilulier sur la table centrale, se verse des comprimés dans la main et l'avale. Puis un autre, et encore un autre. Cela ne pouvait pas être des vitamines, cela n'aurait servi à rien avant le match. Je ne sais pas ce qu'il y avait dans ces pilules. Mais c'est une conduite dopante. Les joueurs sont conditionnés pour prendre des pilules avant un match."
La préparation en altitude sans altitude
Toutes les équipes préparant une compétition au long cours vont s'entraîner en montagne. Les Bleus du foot souvent à Tignes (Savoie), les Bleus du rugby à Font-Romeu (Pyrénées-Orientales)... Une préparation en altitude permet d'accroître la production de globules rouges dans le sang, ce qui permet de transporter plus d'oxygène et ainsi de booster la performance des joueurs. Mais, pour que cela soit optimal, il faut s'entraîner au niveau de la mer (les efforts y sont plus faciles), et dormir en altitude, le tout pendant trois semaines pour que les effets soient durables. Le fameux "train low, live high".
Les équipes ont résolu le problème. Prenez le Pays de Galles. Le XV du Poireau a passé deux semaines en Suisse, en prenant le téléphérique tous les soirs pour dormir dans un chalet après l'entraînement. Ensuite, direction... le Qatar. Là-bas, pas de montagne, mais des températures extrêmes pour pousser les organismes dans leurs retranchements, et les chambres hypoxiques du complexe sportif Aspetar, qui reproduisent les conditions existant à 4 500 m d'altitude. "En altitude et par des fortes chaleurs, le corps est obligé de produire plus de globules rouges", explique le préparateur Huw Bennett à WalesOnline. Paul Stridgeon, autre gros bras du staff gallois, renchérit : "Les gains sont évidents. Nous avons terminé le camp d'entraînement par une session d'endurance semblable à celle que nous avions faite il y a trois semaines. A l'époque, les joueurs avaient trouvé ça très dur. Cette fois-ci, nous avons galéré à les faire aller au-delà de 90% de leur capacité cardiaque, alors qu'il faisait 35 °C dehors."
Ce n'est pas du dopage, mais... Qui peut se payer des stages pareils au Qatar ? Sûrement pas les petites nations. Les joueurs des Samoa ont ainsi dû avancer de leur poche leur billet d'avion pour la Nouvelle-Zélande, en 2011, se souvient la BBC. "Quel est l'intérêt d'une compétition entre les hommes si le vrai tournoi se dispute entre les médecins et les physiologistes des nations les plus riches ?" déplore Jean-Pierre de Mondenard.
La cryothérapie
En 2011, l'équipe du Pays de Galles s'était préparée à Spala, petit village de 400 âmes en Pologne, où se trouvait le meilleur complexe de cryothérapie du monde. Depuis, toutes les meilleures équipes se sont dotées de chambres froides dans lesquelles la température descend à -130 °C, soit à peu près la température qui règne sur Jupiter. Pourquoi ? Parce que soumettre un corps de rugbyman à un froid polaire pendant quelques minutes lui permet de ne plus ressentir la douleur et de soigner les micro-lésions accumulées pendant les matchs.
Dans son Dictionnaire du dopage, le docteur Jean-Pierre de Mondenard cite l'entraîneur du XV d'Irlande avant le Mondial 2003. C'était Warren Gatland… en charge désormais du Pays de Galles. "Le sang recommence à circuler dans les muscles et l'acide lactique est éliminé beaucoup plus rapidement que d'habitude. Au niveau de la récupération, le froid produit les mêmes effets que les stéroïdes, sauf que c'est propre."
Ce n'est pas du dopage, mais... "On demande aux joueurs de rugby d'être à la fois des sprinters pour l'explosivité, des marathoniens pour l'endurance, et des leveurs de fonte ouzbeks pour la puissance, regrette Pierre Ballester, auteur du livre Rugby à charges (La Martinière, 2015). Au sein de l'équipe de France, il existe un pôle d'encadrement scientifique de la performance, qui cherche à trouver des solutions pour améliorer la préparation des joueurs. Cette année, c'est le wattbike. Mais toutes les équipes se copient, c'est de bonne guerre."
Et la lutte antidopage dans tout ça ? La fédération internationale World Rugby a pris la main sur les contrôles réalisés pendant la Coupe du monde. C'est elle qui détermine qui contrôler et à quelle substance. Pour la transparence, on repassera. D'autant plus que l'on n'arrive pas à détecter les produits les plus efficaces, remarque Pierre Ballester. "Prenez les stéroïdes anabolisants. Ces produits ont un effet Obélix, c'est-à-dire que le gain demeure après qu'on ait arrêté de se doper. Combien a-t-on trouvé de joueurs du Top 14 positifs à ces produits, en quinze ans ? Trois."
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