Six nations 2023 : le jeu au pied, dernier axe majeur de progression du rugby féminin
C'est un coup de pied totalement écrasé qui a terminé loin devant sa cible. Face à l'Ecosse lors de la troisième journée du Tournoi des six nations, Jessy Trémoulière a raté la transformation du premier essai tricolore, sa première tentative au pied de la partie. Une occasion manquée qui n'est pas isolée. Depuis le début du Tournoi des six nations, les buteuses françaises sont en difficulté face aux perches. À elles quatre, Pauline Bourdon, Jessy Trémoulière, Morgane Bourgeois et Carla Arbez n'ont transformé que 11 des 21 essais inscrits par le XV de France depuis le coup d'envoi de la compétition.
Une dynamique qui s'étend à toutes les nations engagées. Avec 52% de réussite en moyenne sur les neuf premières rencontres disputées, seul un essai sur deux a été transformé. Les coups de pied sont l'un des derniers secteurs où les joueuses affichent encore des failles, dans un jeu qui ne cesse de progresser.
Pas assez de temps
Si les buteuses ne sont pas en réussite face aux poteaux, cela s'explique notamment par un manque de temps pour s'entraîner et travailler les techniques spécifiques. Les joueuses, qui possèdent – pour la grande majorité – le statut amateur, ne consacrent pas leur quotidien à l'entraînement. "Quand vous êtes dans le haut niveau, le temps de pratique est tellement réduit. Vu que les joueuses ne peuvent s'entraîner que le soir, on ne va pas tout de suite vers des spécificités techniques, mais plutôt sur du jeu collectif, sur les stratégies", explique Laura Di Muzio, ancienne internationale tricolore et consultante France Télévisions.
Dans ces conditions, difficile de répéter les gammes techniques propres à chaque position, comme le coup de pied. D'autant que comme toute spécificité technique, la clé de la progression se situe dans l'exercice et la pratique. "Il y a tellement de coups de pied différents, tellement de moments différents où on doit jouer au pied, il y a des sessions face au but, des sessions dans le jeu", décrypte notre consultante.
"Il faut le travailler, on ne peut pas compter sur le talent, sur une aptitude. Cela demande véritablement de l'entraînement et de la répétition."
Laura Di Muzioà franceinfo: sport
Entraînées par des staffs réduits, les buteuses ne profitent pas toujours d'observations et de corrections pendant leur entraînement. "J'ai souvent vu des coéquipières buteuses qui s'exerçaient seules, qui butaient seules, sans aucun regard, sans aucun retour", se souvient Lénaïg Corson. L'ex-deuxième ligne internationale a côtoyé pendant plusieurs saisons au Stade Rennais deux buteuses des Bleues, Sandrine Agricole et Caroline Drouin. À l'entraînement sous le maillot bleu, les retours sont là, mais pas toujours en direct. "Dans mes derniers souvenirs en équipe de France, on demandait aux buteuses de se filmer, et elles envoyaient ensuite les vidéos aux entraîneurs", se remémore-t-elle.
Mettre les buteuses dans les meilleures conditions
Ces difficultés prennent aussi racine dès la formation, encore balbutiante dans le rugby féminin, ce qui ne facilite pas l'enseignement tôt des compétences, notamment au pied. Certaines ont même appris grâce à d'autres sports. "Une de nos meilleures buteuses en France, Jessy Trémoulière, a commencé par jouer au foot", dévoile Lénaïg Corson. "On faisait parfois des exercices qui contenaient beaucoup de jeu au pied à l'entraînement en équipe de France, et elle nous dominait, on était beaucoup moins à l'aise avec cette coordination au pied." Un parcours similaire à celui de Laura Di Muzio, qui a elle aussi démarré par le foot.
La clé de la progression face aux perches est donc déjà identifiée : du temps et de meilleures conditions pour apprendre et s'exercer. "Sur les phases techniques, les joueuses à haut niveau n'ont pas le temps et les conditions de leurs homologues masculins. Si on avait ces conditions, le niveau du jeu au pied augmenterait de façon spectaculaire”, assure l'ancienne internationale.
Pour cela, l'Angleterre ouvre la voie. Entièrement professionnel depuis 2017, le Premier 15s, le championnat féminin de première division, permet aux joueuses de se consacrer au travail sur le terrain. "Il y a un suivi, des entraînements dédiés au cours desquels on travaille nos gammes, notre technique individuelle", raconte Lénaïg Corson, qui évolue depuis 2022 chez les Harlequins. Un spécialiste du jeu au pied, ancien demi d'ouverture, a aussi rejoint le staff de la sélection pour coacher les buteuses.
"Ne pas changer les règles"
Ce qui n'empêche pas les débats sur le jeu au pied d'être revenus sur le devant de la scène outre-Manche depuis le début du Tournoi. Privées de leurs meilleures buteuses Emily Scarratt et Zoe Harrison, blessées, les Red Roses sont elles aussi à la peine face aux perches (15 essais transformés sur 31). Suffisamment pour pousser leur sélectionneur, Simon Middleton, à proposer de modifier la règle pour permettre de s'approcher de l'axe des poteaux, sur fonds de "différences morphologiques" et de "contraintes physiques".
La solution peut-elle aussi se trouver dans l'adaptation du jeu ? Plusieurs anciennes joueuses, comme l'Anglaise Katy Daley-Mclean ou l'Australienne Ashleigh Hewson, ont ouvertement repoussé l'idée. "Ce serait cacher le problème", tranche Laura Di Muzio "Il ne faut pas changer la règle sous prétexte de s'adapter aux joueuses, il faut adapter les conditions d'entraînement pour leur permettre de progresser.”
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