Six nations 2024 : comment l'équipe d'Angleterre, moribonde depuis plusieurs années, s'est muée en candidate à la victoire finale
"Les supporters méritent mieux." C'est par cette phrase que Steve Borthwick, sélectionneur de l'Angleterre, a annoncé la mue de la Rose, au lendemain d'une Coupe du monde achevée à une troisième place qui semblait pourtant le dispenser de grandes promesses et de comptes à rendre. Au moment de revenir en France, samedi 16 mars à Lyon en clôture du Tournoi des six nations, l'équipe d'Angleterre n'a plus grand-chose à voir avec celle qui avait été humiliée par les Bleus à domicile l'année dernière (10-53). Plus jeune, plus spectaculaire, le XV de la Rose se forge une nouvelle identité et a décroché son premier succès de prestige contre l'Irlande (23-22), samedi à Twickenham. Au point de pouvoir espérer la victoire du Tournoi des six nations, en cas de succès contre le XV de France.
A la prise de fonction de Steve Borthwick début 2023, le chantier de la conquête était le plus urgent. Les travaux ont été finalisés dans les délais : pendant la Coupe du monde en France, le XV de la Rose a pu s'appuyer sur des avants dominateurs, aussi bien dans le jeu courant qu'en touche et en mêlée fermée. Les fondations, désormais solidifiées, semblent propices au développement du jeu plus expansif, moins stéréotypé, promis par l'architecte Steve Borthwick avant le Tournoi des six nations.
Les grands travaux de Borthwick
La victoire contre l'Irlande récompense cette nouvelle approche et accorde surtout du crédit et du temps à une équipe encore vulnérable, comme le confiait le sélectionneur anglais après le match : "Pendant une bonne partie de l'année 2023, nous avons travaillé sur les relations pour essayer de développer la confiance des joueurs. Je leur ai montré les progrès qu'ils font, je leur ai montré les preuves, mais je pense que ce qui est important pour les joueurs, c'est d'obtenir des résultats visibles et tangibles."
Steve Borthwick n'a pas attendu la sclérose pour trancher dans le vif. Si le sélectionneur a misé sur la continuité pour les avants, en intégrant progressivement les jeunes pousses – George Martin (22 ans), Chandler Cunningham-South (20 ans), Ethan Roots (26 ans) –, il a transformé sa ligne arrière en intégrant d'excellents manieurs de ballon pour appuyer sa nouvelle philosophie.
La prime au risque
Immanuel Feyi-Waboso (21 ans), Tommy Freeman (23 ans) et George Furbank (27 ans), titulaires contre l'Irlande samedi 9 mars, n'étaient pas dans le groupe pour le Mondial. Le dernier nommé, préféré au très fiable Freddie Steward à l'arrière, incarne ce tournant vers un jeu plus flamboyant. Avec 75 mètres parcourus ballon en main contre les Irlandais, il est le joueur qui a le plus fait avancer son équipe, mais aussi qui a perdu le plus de ballons au sol (quatre). Une prise de risque assumée, appréciée par le public anglais, et désormais récompensée par une victoire référence.
"L’Angleterre, c’est un exemple pour dire que rien n’est figé. Cette équipe a un autre visage, Borthwick commence à transmettre sa vision."
Serge Betsen, ancien joueur du XV de Franceà franceinfo: sport
La nouvelle vision ne se borne pas à l'animation offensive. Elle est aussi illustrée par le recrutement de Felix Jones, entraîneur de la défense arrivé au chevet du XV de la Rose cet hiver, après avoir tenu ce même rôle auprès des champions du monde sud-africains. Le chef d'orchestre de la "rush-defense", agressive mais méthodique des Springboks, incarne le savant mélange de rigueur et d'initiatives personnelles prôné par le staff anglais.
"Vous accordez la liberté à un joueur de faire quelque chose de légèrement différent en fonction du nombre de fois où il a été dans cette situation, de la quantité de connaissances qu'il a acquises, expliquait Felix Jones lors du camp d'entraînement à Girone (Espagne) en janvier dernier. Mais si un joueur se trompe neuf fois sur dix, on sait qu'il y a un gros problème. Il est important de trouver le bon dosage." C'est notamment celui qui a permis à l'Angleterre d'éteindre les rêves de Grand Chelem de l'Irlande, et d'espérer la victoire finale du Tournoi des six nations en cas de victoire contre la France samedi.
Une nouvelle identité à parfaire
Mais le Tournoi n'a pas été tout rose avant de battre l'Irlande, et cette Angleterre "new look" est encore perfectible. A Rome en ouverture, les Anglais ont compris que la révolution ne se ferait pas en un jour, passant proches d'une cinglante déconvenue contre l'Italie (24-27). La victoire étriquée sur le pays de Galles (16-14) et la défaite sans appel en Ecosse (30-21) ne portaient pas non plus les marques d'une équipe sûre de sa force. Il demeure encore un manque d'efficacité certain : les Anglais étaient menés au score à la mi-temps de chacun de leurs matchs du Tournoi 2024, malgré une domination nette en première période contre l'Italie, le pays de Galles et même l'Irlande. Preuve de leur force de caractère, ils ont renversé ces trois rencontres.
Steve Borthwick a décidé d'accepter la vulnérabilité qui va de pair avec un jeu plus créatif. "C’est une équipe qui reste dangereuse, encore en reconstruction, qui se cherche un peu, à l’image du poste de demi d’ouverture, avertit Dimitri Yachvili, ancien demi de mêlée du XV de France et consultant pour France Télévisions. George Ford a joué la semaine dernière mais c’est plus Marcus Smith qui a fait la différence sur son entrée en jeu [auteur du drop vainqueur]." A l'image de son frêle mais virevoltant ouvreur remplaçant, le XV de la Rose a la peau moins dure qu'avant, mais il est en passe de réussir sa mue pour devenir l'une des plus belles équipes européennes.
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