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ENTRETIEN. Tournoi des Six Nations : "Nous nous sentons dans la peau de privilégiés alors que le public est privé de liberté", témoigne Fabien Galthié

À deux jours de la rencontre Italie-France à Rome dans le cadre du Tournoi des Six Nations, le sélectionneur de l'équipe de France de rugby se confie à franceinfo. Même si le stade sera vide, il sait "que derrière la télévision, il y a des millions de téléspectateurs qui attendent ce rendez-vous".

Article rédigé par franceinfo - Fanny Lechevestrier
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6 min
Le sélectionneur du XV de France Fabien Galthié, en novembre 2020. (ANDY BUCHANAN / AFP)

L’équipe de France de rugby sera opposée samedi 6 févier après-midi à l'Italie pour le Tournoi des six nations. La rencontre aura lieu à Rome à huis clos en raison du Covid-19. Pour l’occasion, le sélectionneur Fabien Galthié a accordé un entretien exclusif à franceinfo. "Nous nous sentons dans la peau de privilégiés", car "nous avons beaucoup de chance de pouvoir être toujours à l'œuvre alors que le public est privé de liberté", estime-t-il. Même si les stades sont vides, Fabien Galthié affirme que les Bleus ont "une sorte d'énergie invisible qui est décuplée par l'absence" .

Le Tournoi 2021, les stades vidés par le Covid, le statut des Bleus, son rôle de sélectionneur... Ecoutez l'intégralité de l'entretien avec Fabien Galthié

franceinfo : Vous allez pouvoir participer à ce Tournoi des Six Nations 2021, vous vous sentez privilégiés ?

Fabien Galthié : Tout à fait, nous nous sentons dans la peau de privilégiés. Nous avons conscience que nous avons beaucoup de chance de pouvoir être toujours à l'œuvre alors que le public est privé de liberté, de liberté sociale notamment. Les stades sont vides, mais nous savons qu’ils sont derrière leur écran, derrière la radio, qu'ils lisent tout ce qu'ils peuvent trouver concernant leur équipe de France. Donc, on essaie de leur transmettre le plus de bonheur, le plus d'émotion, le plus de rêves possibles à travers notre action.

C'est une mission supplémentaire pour ce XV de France de transmettre du bonheur ?

Le mot mission est au centre du projet que l'on a construit parce que l'équipe de France, c'est d'abord être rassembleur, être fédérateur. C'est de jouer, bien sûr, pour nous, parce que c'est notre enfance, c'est le jeu, c'est notre passion et nous touchons au sublime avec l’équipe de France. Mais c'est aussi renvoyer à nos supporters, renvoyer à nos éducateurs, renvoyer à nos clubs, renvoyer à nos parents, renvoyer à nos familles l'extraordinaire. L'extra ordinaire ! Et c'est leur envoyer beaucoup d'énergie, beaucoup d’ondes positives.

On a beaucoup entendu les joueurs nous parler des stades vides. Vous vous êtes habitués ?

Le stade est un monument et, par définition, un lieu de partage, un lieu d'échange entre les acteurs et les spectateurs. C'est une forme d'osmose, de symbiose, où tout le monde se rend au monument pour vivre une émotion. Et le sentiment que l'on a aujourd'hui, c'est que le stade est vide, mais qu'en fait il est plein.

"On sait que derrière la télévision, il y a des millions de téléspectateurs qui attendent ce rendez-vous. Il y a une sorte d'énergie invisible qui est décuplée par l'absence, l'absence de l'autre, l'absence de la chaleur que procure le spectateur, le supporter."

Fabien Galthié

à franceinfo

L'absence crée une sorte de vide qui décuple notre volonté de bien faire. Le vide nous raconte en fait la société dans laquelle on vit, le contexte sanitaire et la maladie. C'est pour cela, par exemple, qu'on a pris le temps, lors de notre premier rassemblement, de saluer le personnel hospitalier de Nice. Dès qu'on peut, on va à la rencontre des acteurs de notre société, qui ont fort à faire.

Le Tournoi 2021 commence pour la France par un match contre l'Italie, à Rome. Quelle performance attendez-vous de l’équipe de France ?

Nous nous préparons pour être très compétitifs. La victoire sera la conséquence de notre comportement.

La victoire, peu importe le contenu ?

La victoire compte avant tout. C'est le résultat de la mise en œuvre de toutes les compétences dans ce projet. Et l'objectif est très simple, c'est d'être très compétitif.

Toutes les autres nations vous placent favori. Vous le prenez comment, ce statut ?

C'est sympa, c'est très agréable à entendre, et ça fait partie du contexte qui entoure l'événement. On entend les choses qui se disent, on n'est surtout pas fermés ni isolés, mais ce n'est pas le moteur de notre action. Le moteur, c'est notre projet et c'est ce que l'équipe sera capable de délivrer samedi à Rome. Ça, c'est le contenu du projet. Le reste, on l'écoute, mais ça fait juste partie d'un environnement. Cela nous intéresse puisque nous jouons pour nous, bien sûr, mais aussi pour nos supporters, nos familles, nos clubs... Nous sommes en mission et cette mission, elle nous dépasse.

Est-ce que vous avez vu le regard changer en un an sur vos joueurs et sur vous-mêmes ?

Bien sûr, c'était notre objectif à notre prise de fonction, en novembre 2019, lorsque nous avons commencé à travailler avec le staff. Nous nous sommes rassemblés dans un petit village et dans une ferme qui s'appelle Montgesty [la commune de 335 habitants dont son père Jean-Noël Galthié est le maire, dans le Lot], pour revenir à l'origine. Le rugby, c'est quelque chose qui se joue à la ville, en banlieue, à la campagne... Ce qu'on a voulu faire sur un plan symbolique, bien sûr, mais aussi dans l'action, c'est repartir de l'origine. Ce sont les racines, les fondations qui sont très, très fortes dans notre projet. On a pu voir même avant le premier match qu'on avait déjà réussi à embarquer ceux qui voulaient bien nous suivre, ceux qui étaient prêts à rêver avec nous. Je le dis souvent aux joueurs. Le vestiaire est ouvert, venez chercher le maillot. Ce n'est pas nous qui allons vous donner, c'est vous qui allez chercher.

"N'importe quel joueur français peut espérer entrer dans le vestiaire pour venir chercher un des 15 maillots de l'équipe de France."

Fabien Galthié

à franceinfo

Nous voulons semer des graines pour faire pousser partout le talent, la passion, l'espoir qui peuvent naître à travers ce jeu. Tout le monde a la capacité de grandir avec ce projet.

Vous pouvez vous appuyer sur une génération de talents comme on n'a pas eu depuis longtemps en équipe de France.

Oui, c'est ce que nous entendons...

Vous semblez ironique, vous n'êtes pas d'accord ?

Je suis absolument d'accord. Je pense que les talents se révèlent dans le cadre et que le cadre est un révélateur de talents. La force du projet révèle les talents et les talents donnent de la force au projet. Ça marche ensemble.

J'aimerais qu'on revienne à votre poste de sélectionneur. Comment vous vous le définiriez ?

Ça a commencé par l'enfance, par le jeu, la passion. Et puis, après le sublime : le poste de sélectionneur. C'est la dernière étape d'un chemin qui me semble incroyable. Une histoire qui a commencé à l'âge de six ans dans un champ du Lot. C'est juste un chemin et c'est comme si tout venait là : ce champ du Lot à la nuit tombée, avec mes cousins, la banlieue de Toulouse, Colomiers, le Stade Français, l'équipe de France, les Coupes du monde, Nelson Mandela, le Royaume-Uni, le Tournoi, l'Argentine, l'école de rugby, les éducateurs, les camarades joueurs qui sont toujours là, certains qui sont partis, qui nous ont quittés... C'est une sorte de condensé de tout ça, de sublime et de puissant.

Ça semblait écrit, ce chemin. Pourtant, cela a mis du temps, plus de temps que prévu, peut-être, pour arriver à ce poste de sélectionneur.

C'est écrit quand c'est fait. Il y a un côté un peu ésotérique, un peu mystique dans ce chemin, auquel il faut juste croire. Il n'y a pas de hasard. Parfois, ça prend du temps, mais c'est bien de prendre le temps. Le temps, la patience ou même parfois les détours sont riches d'enseignements et de maturation. Il y a quelque chose d'incroyablement puissant et de sublime en permanence dans ce que nous vivons.

Qu'est-ce qu'on vous souhaite pour 2021 ?

De donner du bonheur, de le partager, d'être fédérateur. Le bonheur sera la conséquence de ce que nous produirons sur le terrain. Tout simplement.

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