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Tournoi des six nations : Fabien Galthié, sauveur du XV de France ou Attila du ballon ovale ?

Pierre Godon le mercredi 2 octobre 2019

Fabien Galthié, entraîneur adjoint de l'équipe de France, lors d'un entraînement au Fuji Hokuroku Park de Fujiyoshida (Japon), le 10 septembre 2019.  (FRANCK FIFE / AFP)

"Fabien Galthié, ça fait dix ans qu'il aurait dû être choisi pour diriger l'équipe de France." La phrase est signée Sylvain Mirande, qui jouait centre avec Montpellier sous les ordres de celui qui est devenu entraîneur-adjoint des Bleus, quand l'équipe s'est hissée en finale du Top 14, en mai 2011. Presque tous les anciens camarades de Fabien Galthié, que ce soit à Colomiers, le club où il a débuté, au Stade français, ou plus tard quand il était sur le banc de Montpellier, partagent ce constat. Et pourtant, Marc Lièvremont, Philippe Saint-André, Guy Novès et Jacques Brunel auront précédé l'ancien demi de mêlée sur le banc du XV de France, qui officie pour la première fois sur le banc lors du Tournoi des six nations 2020. Pourquoi une si longue attente ? 

Un joueur-leader

Fabien Galthié, capitaine de l'équipe de France, mène le footing, au milieu de ses partenaires Patrick Tabacco (à gauche) et Raphaël Ibanez (à droite), le 12 novembre 2001 à Aix-en-Provence (Bouches-du-Rhône). (OLIVIER MORIN / AFP)

Fabien Galthié est tombé dans la marmite du rugby tout petit et, comme Obélix, les effets sont permanents chez lui. Demandez à ses anciens partenaires de Colomiers, club dont il a usé les shorts sur les terrains boueux pendant quinze ans, qui était le patron dans l'équipe ! "Il avait une faculté innée à gérer les hommes sur le terrain. C'était le deuxième entraîneur, il connaissait tous les plans de jeu de l'équipe. A la mi-temps, on n'avait pas vraiment besoin d'entendre les consignes du coach", s'enthousiasme Patrick Tabacco, son partenaire sous les maillots bleus de Colomiers, du Stade français et de l'équipe de France. 

Ses propos évoquent quelque chose de la relation Didier Deschamps-Aimé Jacquet chez les "pousse-citrouille" (les footballeurs dans le jargon rugbytisque), le milieu de terrain étant plus qu'un relais de l'entraîneur dans le rond central. Une exigence qui se poursuit en dehors du terrain, raconte Michaël Carré, qui avait la lourde tâche de jouer à ses côtés dans la charnière (le couple demi de mêlée-demi d'ouverture) de Colomiers. "On arrivait à l'heure à l'entraînement, et lui était déjà au milieu du terrain, et il regardait ostensiblement sa montre." Aucune rancœur dans ses propos : "Je suis passé coach depuis, et j'ai compris qu'il était déjà dans ce rôle-là."

S'il ne joue pas au sémaphore pour indiquer à chacun ce qu'il doit faire, Fabien Galthié exige de ses coéquipiers une prestation sans faute. "C'était le genre de demi de mêlée qui donne envie à ses avants de tout donner. Lui aussi mettait la tête là où d'autres n'osaient pas mettre le pied", souligne l'ancien talonneur du Stade français Benoît August, que Fabien Galthié a gratifié d'un coup de boule (involontaire) alors qu'il venait le congratuler pour un essai inscrit en finale de Top 14 (à 2'50" sur cette vidéo). "Il avait un statut spécial dans l'équipe, ce qui ne plaisait pas à tout le monde. Mais là où chacun s'accordait, c'est que l'équipe ne tournait pas aussi bien sans lui." 

Et avoir Fabien Galthié dans son équipe, c'est l'assurance de l'avoir sur le dos 80 minutes si les choses ne tournent pas comme il le souhaite. "S'il attend d'un partenaire qu'il se donne à 100% et qu'en face, on ne se livre qu'à 80%, il a beaucoup de mal à l'accepter", illustre l'ex-troisième ligne columérin Bernard De Giusti. Une exigence qui se double d'un doigt de mauvaise foi. 

<span>Il est arrivé qu'il m'engueule car j'avais fait un en-avant, alors qu'il venait d'en commettre un trois minutes avant !</span>

Patrick Tabaccoà franceinfo

Et pas toujours avec des mots aimables ou une blague pour faire passer la pilule. "Lors des troisièmes mi-temps, il m'assurait : 'Jamais je ne t'ai parlé comme ça, ce n'est pas possible'. Il jouait au naïf !" se souvient Patrick Tabacco. Heureusement pour ses partenaires, l'exigeant n°9 passait régulièrement son tour au moment d'écluser quelques pintes : il loupe son match ? Il fait bande à part. Il a en travers de la gorge une action ratée d'un équipier ? Il boude. Le match se solde par une défaite rageante ? Il a poney ou piscine. "On savait dès le samedi soir dans quel état d'esprit il serait la semaine suivante", sourit Michaël Carré. Quand on lui demande de chiffrer le taux de présence de Fabien Galthié aux agapes d'après-match, il lâche : "Un petit 60%."

"En haut de l'affiche, on se forge une carapace"

Le demi de mêlée du XV de France Fabien Galthié lors de la demi-finale de légende face aux All Blacks, le 31 octobre 1999 au stade de Twickenham (Londres, Royaume-Uni). (CHRISTIAN LIEWIG - CORBIS / CORBIS SPORT / GETTY IMAGES)

Coach avant l'heure ? N'en parlez pas à Jean-Claude Skrela et Pierre Villepreux, alors sélectionneurs de l'équipe de France. Ils ont choisi de se passer de Fabien Galthié pour le Mondial 1999 et n'ont guère goûté de lire dans la presse l'analyse acerbe du demi de mêlée qu'ils avaient laissé à la maison. Mais les deux premiers choix au poste de n°9 se blessent tour à tour, et la doublette n'a d'autre choix que de rappeler le banni Fabien Galthié. Lequel n'a pas posé son sac depuis cinq minutes au château Ricard (ancêtre de Marcoussis) que le duo de sélectionneurs le convoque. Galthié raconte cette remontée de bretelles dans son livre, Retour intérieur (éditions Solar) : 

"Tu as fait des déclarations dans la presse sur l'équipe qui, selon toi, paraît désorganisée. Apparemment, le plan de jeu n'est pas bon. A priori, nous faisons fausse route, c'est ça ? Ça ne se fait pas de dire des choses pareilles. Nous sommes très contrariés par tes prises de position.

- C'est vrai. Je l'ai dit et je le répète. Pour être efficaces, il faut que nous nous organisions autrement." 

Le courant en bleu passera beaucoup mieux avec Bernard Laporte, sélectionneur à partir de 2000, qui s'est adjoint les services de Jacques Brunel, le mentor de Galthié à Colomiers. Dans son livre, le demi de mêlée affirme "participer à l'élaboration de l'animation offensive" des Bleus, dont il est devenu le capitaine.

Fabien Galthié, entouré de ses coéquipiers, fête la victoire du XV de France face aux Springboks, à l'Ellis Park de Johannesbourg, le 16 juin 2001. (PHILIPPE DESMAZES / AFP)

C'est alors tout naturellement qu'il deviendra entraîneur-joueur du Stade français quand le précédent entraîneur Nick Mallett est débarqué faute de résultats. Un leader incontestable, un tacticien reconnu… mais tout sauf un manager à l'écoute de ses ouailles. Cette étiquette est revenue aux oreilles de Fabien Galthié, qui l'évoque dans son livre : "Quand on en discute avec Stéphane Glas, mon adjoint à Montpellier qui figurait dans l'équipe du Stade français, il m'assure que j'étais très dur. Il dit parfois que je les 'défonçais'. Je n'ai pourtant pas vécu les choses de cette manière." Jean-Luc Sadourny, qui l'a connu "entier, jovial" à Colomiers, refuse de croire que son pote ait pu se transformer en Robocop une fois passé sur le banc : "Quand on arrive en haut de l'affiche, on se forge une carapace."

Hermétique, la carapace. Demandez à Raphaël Poulain, ancien grand espoir du rugby français, qui relate un échange dans son livre, le touchant Quand j'étais Superman. Galthié : "T’es vraiment énorme dans la déconne mais je crois pas que tu aies le niveau pour jouer en Top 14." Réponse de Poulain : "Humainement, tu ne vaux rien. Tu devrais être interdit d’entraîner. Tu déchires tes joueurs comme un teckel s’acharne sur de mauvais bouts de barbaque." Ambiance…

Une main de fer dans un gant... de fer

Fabien Galthié, alors entraîneur de Montpellier, le 28 mai 2011 au Stade Vélodrome de Marseille pour une demi-finale de Top 14 contre le Racing. (GERARD JULIEN / AFP)

Dans une équipe solide prétendante au bouclier de Brennus (qu'elle remportera en 2007), passe encore. Quand il débarquera en 2010 dans un Montpellier habitué à lutter pour se maintenir en Top 14, les choses ne seront pas les mêmes. "J'ai préféré le Fabien Galthié du Stade français à celui que j'ai recroisé à Montpellier, confie Rémy Martin, ancien troisième ligne international. Moi, il ne m'avait pas trop enquiquiné, car j'étais un ancien. Mais je l'ai vu blesser des jeunes joueurs qui n'avaient pas forcément encore le mental pour encaisser."

La bleusaille montpelliéraine garde un souvenir vif du passage de l'ancien demi de mêlée à sa tête. Parfois un peu trop vif. Sylvain Mirande se rappelle très bien la prise de contact avec le groupe héraultais, au mois de mai, alors que la saison précédente de Top 14 n'était pas encore terminée : "C'était quelque chose du genre : 'Vous n'avez rien gagné, moi j'ai déjà gagné, écoutez-moi'."

La première année, tout le monde se donne à fond, remplaçants compris, en mettant son ego de côté. Le coach est dur, mais autorise de brutaux moments de décompression : "Je me rappelle très bien une fois où il avait fait arrêter le bus de l'équipe sur une aire d'autoroute, narre Sylvain Mirande. On revenait de Perpignan, c'était le troisième match en une semaine. Il avait dit : 'Ce soir, on va être excessifs'. Et on avait rempli le bus de bière. Arrivés à Montpellier, il nous avait emmenés en boîte, de sa propre initiative."

A la surprise générale, Montpellier parvient à se hisser en finale du Top 14. Quitte à tailler dans le vif. "A l'approche des phases finales, il a divisé le groupe en deux, avec quinze joueurs qui étaient mis de côté, raconte, encore amer, Jean-Matthieu Alcalde, qui évoluait à l'époque à l'arrière. Moi, j'avais démarré titulaire, puis j'ai été sorti du groupe, sans explication. A certains mecs, il leur disait carrément : 'Tu peux venir t'entraîner, mais tu peux aussi rester chez toi, de toute façon, tu ne joueras pas'. Il a dégoûté plus d'un gars du rugby. Même si, avec le recul, j'ai beaucoup appris grâce à lui."

Fabien Galthié, alors sur le banc du Stade Français, avant le match de Coupe d'Europe contre les Anglais de Sale, le 10 décembre 2006. (CHRISTIAN LIEWIG - CORBIS / CORBIS SPORT)

Avant un match crucial, Fabien Galthié projette à ses joueurs un montage de témoignages de leurs proches qui révèlent quelques anecdotes touchantes et les appellent à se sublimer. Une idée inspirée de l'initiative d'un analyste vidéo du Stade français, quelques années plus tôt. On y entend Mathis, le fils de l'entraîneur, lâcher : "Je crois en toi, papa. Tu construis tes équipes comme les murs en pierre de notre maison."

Après leur succès en demi-finale, les joueurs ont fêté ça jusqu'aux petites heures du matin. Contre l'avis de leur entraîneur. Quelque chose s'est brisé. Au soir de la finale, perdue contre Toulouse au terme d'un match terne, il aura "des mots difficiles envers certains joueurs", soupire l'un d'eux. Malgré la défaite, il sera de la fête nocturne à Paris, mais pas de la parade à Montpellier pour saluer les (presque) champions. "On l'attend encore place de la Comédie", sourit l'ailer Benjamin Thiéry.

Les saisons suivantes ne seront pas du même acabit. 

<span>Il tirait le meilleur de chacun, sous pression, mais à la longue, ça nous essorait.</span>

Fabien Rofes, pilier du MHRà franceinfo

Beaucoup des anciens sans-grade de l'équipe héraultaise se souviennent d'un entraîneur qui ne prenait pas de gants. "Avec lui, j'ai compris que je n'avais pas le caractère pour être un sportif de très haut niveau", souffle Fabien Rofes. Beaucoup de joueurs qui n'étaient pas titulaires lors de sa première année se voient montrer la porte. Mais avec élégance, raconte Benjamin Thiéry : "C'est l'un des rares managers que j'ai vus solliciter d'autres clubs pour les joueurs qui n'entraient plus dans ses plans. Des entraîneurs qui prenaient le temps de décrocher leur téléphone pour conseiller un de leurs joueurs à des clubs de Pro-D2, je n'en ai pas croisé d'autres."

Il n'y a guère que le Sud-Africain Drikus Hancke pour ne pas se souvenir d'un management à la dure pendant quatre ans de règne de Fabien Galthié. "Il montre l'exemple, c'est comme ça qu'il dirige son équipe. C'est quelqu'un de très ouvert, aux innovations, aux autres", insiste le Springbok, qui se souvient de longues discussions avec son entraîneur pour saisir les petits plus du rugby sud-africain. Dans le fond de la classe, ça persifle. "Oui, mais pour les Anglo-Saxons, le rugby, c'est vu comme un boulot, argumente Sylvain Mirande. Nous, les Latins, les Français, on a certaines attentes, et le côté affectif peut avoir une grande importance."

L'homme de la situation

Fabien Galthié, entraîneur adjoint des Bleus, lors d'un entraînement à Murrayfield (Ecosse), le 23 août 2019. (DAVID GIBSON / FOTOSPORT / REX / SIPA / SHUTTERSTOCK)

Tous soulignent que le poste de sélectionneur est taillé sur mesure pour Fabien Galthié, qui aura moins à s'occuper des petits bobos d'ego et de joueurs qu'il n'aurait pas choisis. "Il y aura beaucoup moins ce phénomène d'usure", veut croire Fabien Rofes. "Il pourra imposer ses exigences sans avoir à ménager la chèvre et le chou", ajoute Patrick Tabacco. Pour Benjamin Thiéry, la question des joueurs qui ménagent leurs efforts ou qui ne sont pas au niveau ne se posera pas : "Quand on porte le maillot de l'équipe de France, on est porté par un esprit d'équipe et on ne calcule pas, on donne tout."

Tous partagent aussi le secret espoir que l'équipe de France reprenne une longueur d'avance tactique, comme en 2002-2003, quand Jacques Brunel avait instauré la défense par blocs, qui avait fait merveille. "Tactiquement et techniquement, il est au-dessus de tout le monde", souligne Drickus Hanke, qui a roulé sa bosse dans l'exigeant championnat sud-africain pendant une décennie avant de débarquer à Montpellier, sous la houlette de Fabien Galthié. "Quand je compare aux entraîneurs que j'ai eus ensuite, c'est une autre dimension", constate Benjamin Thiéry. "Avec lui, je me suis régalé", insiste Patrick Tabacco.

Arrivé en catastrophe au chevet de l'équipe chancelante de Jacques Brunel, Fabien Galthié est chargé de l'animation collective. Avec des marottes, comme la répétition des sprints à haute intensité, la clé, selon lui, pour percer les meilleures défenses au niveau international. D'où le fait qu'il a imposé un nouveau préparateur physique pour les Bleus. Des prérogatives de patron d'équipe, même s'il n'en a pas le titre. Relisez cette interview de Bernard Laporte, président de la FFR, au Berry républicain, où il annonce la nomination de Galthié : "J'ai nommé Fabien Galthié entraîneur et je lui ai dit : 'Voilà comment je vois les choses, Fabien. Ton staff, ce n'est pas mon problème. J'ai été à ta place. Tu vas me dire : je veux travailler avec untel, avec untel, avec untel. C'est normal'." Sauf que les changements sont intervenus alors que le mandat de Brunel s'achève officiellement en novembre.

La méthode Galthié, ce sont aussi des ateliers sur grand terrain avec des zones colorées, où les joueurs doivent soit déposer la balle, soit l'empêcher d'entrer. L'ouvreur Camille Lopez a levé le voile devant la presse : "Il y a des repères pour le jeu à la main, mais aussi pour les botteurs, qui désignent les zones à chercher en priorité quand on utilise le jeu au pied à droite, à gauche. (...) Plus on les répète, plus ce sera facile de retrouver ces repères sur le terrain." Le centre Gaël Fickou s'est fait l'écho de joueurs ayant l'impression d'avoir retrouvé leur boussole, après le test-match victorieux face à l'Ecosse : "On a nos principes de jeu, notre système. Les avants savent où ils doivent être placés, n’ont pas le droit d’aller dans certains endroits, donc on s’économise." Cela faisait longtemps qu'on n'avait pas entendu les joueurs causer tactique et schémas de jeu dans des termes aussi élogieux…

Laissons le mot de la fin à Rémy Martin, qui a connu le joueur, l'entraîneur débutant, puis plus confirmé : "Quand j'étais en fin de contrat à Bayonne, j'avais deux clubs qui se sont rapidement intéressés à moi, Toulouse et les Wasps. Un mois plus tard, Montpellier s'est positionné, et je n'ai pas hésité. J'ai signé au MHR pour lui. Je me suis dit : 'Enfin, je vais réapprendre le rugby'."

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