Récit JO 2030 : Courchevel-Val d'Isère, les dessous du bras de fer olympique

En novembre, la France est entrée en dialogue ciblé avec le CIO pour l'organisation des JO 2030. Retenue initialement pour les épreuves techniques de ski alpin, Val d'Isère a été rayée de la carte au profit de Courchevel, ce qui ne passe pas dans le temple du ski alpin.
France Télévisions - Rédaction Sport
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Courchevel et Val d'Isère sont en lice pour les épreuves de ski alpin des JO 2030. (HENRI LAURIANO / FRANCEINFO: SPORT)

"Des JO d'hiver sans Val d'Isère, ce serait comme une tartiflette sans lardons." A l'autre bout du fil, Patrick Martin répète sa métaphore. Début décembre, le maire de Val d'Isère a appris que, contrairement à ce qui était prévu, sa station ne figurait plus sur la carte des JO 2030. Désignée pour accueillir le bloc technique du ski alpin (slalom et slalom géant), la station avaline a vu, sans préavis, ses prérogatives déménager dans la vallée voisine, à Courchevel.

"Je reçois un coup de fil de la région qui me dit que le CIO a supprimé Val d'Isère des cartes. Je suis un peu surpris", rejoue Patrick Martin, qui mène alors l'enquête : "Le CIO me répond qu'en aucune façon il ne choisit les sites, il donne simplement des préconisations". La partie de ping-pong médiatique est lancée. Pendant que tout le monde se renvoie la balle, Val d'Isère prépare la contre-attaque. 

Une décision, mais pas de responsable

"Toute cette histoire, c'est un sac de nœuds. Tout le monde se rejette la faute pour préserver des équilibres politiques", explique un employé de la région Auverne-Rhône-Alpes (à l'origine de la candidature, avec la région PACA), sous couvert d'anonymat : "Val d'Isère mérite, évidemment, mais un site supplémentaire, c'est 50 millions de budget en plus", glisse cette même source. Ce que la station avaline conteste, puisqu'elle a chiffré son budget à 16,6 millions d'euros, assure le maire Patrick Martin.

"Chaque station veut sa part du gâteau, pour relancer des projets routiers ou d'ascenseurs valléens, mais cela se fait selon les amitiés politiques", ajoute notre source, qui n'en dira pas beaucoup plus par peur de représailles. 

Auteur du livre Une histoire des stations de sport d'hiver, Guillaume Desmurs, lui, n'a pas besoin de se censurer : "Ça n'a ni queue ni tête. En novembre, l'annonce est faite avec Isola 2000 [qui devait obtenir le ski-cross et le snowboard-cross] et Val d'Isère. Quelques semaines plus tard, ces stations ont disparu. Tout ça n'a aucun sens."

Ce bras de fer olympique entre Val d’Isère-Courchevel, c’est une guéguerre de cours de récréation sur un sujet traité de façon peu sérieuse.

Guillaume Desmurs, auteur

à franceinfo: sport

Or, dans ce capharnaüm, une voix a émergé : celle de la légende Jean-Claude Killy. Le 2 décembre, le triple médaillé d'or de Grenoble 1968 et co-président des JO d'Albertville 1992 est sorti du silence, en publiant un communiqué : "Je suis attristé et scandalisé par la décision péremptoire de retirer Val d'Isère du dispositif des Jeux olympiques 2030. [...] Personne, dans tous les échanges que j'ai pu avoir au cours des dernières heures, n'en assume la responsabilité".

Porte-étendard de Val d'Isère, Jean-Claude Killy vole au secours du temple du ski alpin tricolore, fort de 191 courses en Coupe du Monde, des JO 1992, des Mondiaux de 2009, sans oublier les nombreux talents qui y ont vu le jour. "Je pense qu'il est important de reconsidérer cette décision", prévient-il. 

La "surprise" de Courchevel

Si le lobby avalin se mobilise dans les médias, du côté de Courchevel, la surprise est aussi de mise. Déjà théâtre des épreuves de saut à ski et combiné nordique, la station d'Alexis Pinturault risque la saturation avec tout le bloc de ski alpin en plus. "Nous, on a été agréablement surpris d'être sélectionnés pour les JO, mais on a aussi été surpris de l'annonce de recentrage des épreuves. Et donc abandonner Val d'Isère et Isola 2000. On n'y est pour rien. Val d'Isère s'est défendu à juste titre", assure Jean-Yves Pachod, maire de Courchevel.

Un discours dans lequel ne croit pas Guillaume Desmurs : "Attention, les stations de ski se sont toujours considérées comme concurrentes, y compris au sein d'un même domaine skiable. Courchevel le sait bien, avec Méribel...". Du côté de Val d'Isère, la mobilisation va bien au-delà du terrain médiatique, même si les Avalins profitent du Criterium de la première neige de décembre pour porter des brassards "JO VAL 2030".

Pour le concret, deux procédures sont engagées. D'un côté, Laurent Wauquiez encourage Val d'Isère à déposer, avant le 15 janvier, un dossier à la région Auvergne-Rhône-Alpes pour accueillir le bloc technique du ski alpin (dossier qui sera, sauf nouvelle surprise, joint au dossier définitif des Alpes françaises déposé fin février devant le CIO, qui tranchera lui en juillet). De l'autre, la Fédération Internationale de Ski (FIS) est saisie pour statuer sur la capacité de Courchevel à organiser autant d'épreuves. 

Déjà théâtre des championnats du monde 2023 avec sa voisine Méribel (qui accueillerait là aussi les épreuves féminines), Courchevel est en effet au centre du jeu. Rien d'étonnant pour une station qui fait tout pour redevenir le cœur du ski alpin tricolore.

L'aire d'arrivée de la piste l'Eclipse de Courchevel, lors des Mondiaux 2023, avec les tremplins des JO 1992 en arrière-plan sur la droite. (AFP)

"Courchevel redevient synonyme de sport, et j'en suis ravi. On est le premier club de sport de France, on a eu le Tour plusieurs fois", savoure d'ailleurs Jean-Yves Pachod, fort du succès incontestable des Mondiaux 2023, et de ses tremplins de saut à ski hérités des JO de 1992 : "On les entretient depuis, pour 500 000 euros par an". Toujours est-il que la station avait été quelque peu saturée, notamment sur la route, lors des championnats du monde 2023. Sans oublier les nombreux bénévoles hébergés à plus d'une heure de route.

La carte bancaire olympique

Dans ce contexte, difficile de voir comment la station pourrait rafler tout le ski alpin en 2030, en plus des épreuves de saut et de combiné nordique. Et si Jean-Yves Pachod assure pouvoir le faire, il reconnaît toutefois soutenir Val d'Isère : "Oui, la tartiflette c'est meilleur avec les lardons, bien sûr (rires). Je le comprends, si on était dans la même situation, on réagirait de la même manière. On soutient Val d'Isère pour qu'ils aient les épreuves techniques de slalom."

Une façon de couper court aux mauvaises langues qui, sans jamais le dire publiquement, fustigent l'attitude de Courchevel. Depuis plusieurs années, cette dernière déracine en effet de plus en plus de skieurs prometteurs, attirés par son club des sports flambant neuf, ce qui fait forcément grincer des dents dans les petites stations.

Certains parlent même de "Val d'Isérisation" de Courchevel, tant la première a longtemps été le berceau du ski français avec les Henri Oreiller, Marielle Goitschel, Jean-Claude Killy ou Clément Noël. À l’inverse, Val d'Isère est de son côté taxée de "Courchevillisation", elle dont le mètre carré est devenu le plus cher des Alpes. C'est aussi dans ce contexte que s'inscrit la lutte des Avalins pour accueillir les JO, au nom de leur histoire. Et de l'avenir, assure le maire Patrick Martin.

On a monté un projet durable, à moindre coût, qui profiterait à toute la Tarentaise. C'est à ça que doivent servir les Jeux : nous aider à réinventer la vallée face au changement climatique, à inventer l'avenir en diminuant durablement notre empreinte carbone.

Patrick Martin, maire de Val d'Isère

à franceinfo: sport

Car derrière le prestige d'accueillir les Jeux olympiques, il y a surtout des enjeux économiques. "La vraie question, c'est que ces territoires sont face à des enjeux existentiels de dépopulation, de manque de ressources en eau, de transition écologique", pose Guillaume Desmurs, " Les JO c'est une énorme carte bancaire. Certaines stations veulent en faire un moyen de se réinventer, d'autres veulent juste prolonger la fuite en avant de l'immobilier, puisque toute l'économie des stations repose là-dessus. Ou renouveler leur parc de remontées mécaniques."

Ces JO sont ainsi présentés comme la possibilité de faire passer les vallées au XXIe siècle, en répondant aux enjeux de l'époque. "Mais il reste très peu de temps, parce que 2030 c'est demain", prévient Jean-Yves Pachot. Mais à Val d'Isère, pour l'instant, demain, c'est loin.

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