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"La plupart des accidents de wingsuit sont liés à un manque de sécurité du pratiquant"

Franceinfo a interrogé Rodolphe Cassan, président de l'association de paralpinisme, après l'accident mortel survenu lundi à Chamonix.

Article rédigé par Louis San
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
La Suisse Geraldine Fasnacht saute en wingsuit près de Chamonix (Haute-Savoie), le 16 juillet 2014. (PHILIPPE DESMAZES / AFP)

Un accident dramatique en plein centre-ville de Chamonix. Un Russe adepte de wingsuit s'est tué, lundi 3 octobre, en percutant un immeuble sous les yeux de plusieurs témoins. Sa voile ne se serait pas ouverte correctement.

A Chamonix, c'est le cinquième accident mortel de wingsuit survenu depuis le début de l'année. "Cela nous inquiète fortement. C'est un sport nouveau, en pleine croissance, et tout n'est pas maîtrisé par les pratiquants", précise Jean-Louis Verdier, premier adjoint au maire, chargé de la montagne et de la sécurité à France Bleu. Pour y voir plus clair, franceinfo a interrogé Rodolphe Cassan, président de l'Association de paralpinisme et pratiquant de wingsuit depuis dix ans.

Franceinfo : Quelle formation suivent les wingsuiters ?

Rodolphe Cassan : Chaque formation est différente en fonction de l'individu, de son niveau, et des sports qu'il a pratiqués avant. Il y a plusieurs étapes. On ne commence pas en sautant d'une falaise.

Au minimum, chaque personne qui saute en base jump [donc avec un simple parachute] a au mois 200 sauts d'avion. C'est vraiment un minimum. Généralement, c'est 600 sauts. Après cela, on peut sauter d'un pont ou d'une falaise déversante. On peut appeler cela des sauts faciles, qui permettent d'avoir des marges de sécurité nécessaires si on a une mauvaise ouverture de la voile. Il va donc y avoir ensuite au moins 200 sauts de falaise, pour appréhender ce départ à vitesse zéro d'un point fixe, et se poser avec une voile dans des endroits plus ou moins exigus. Un base jumper qualifié peut se poser dans un rond de 10 mètres de diamètre. Et pour les plus expérimentés, on peut se poser dans un espace de deux m².

Ensuite, si l'on veut utiliser des vêtements de chute, comme la wingsuit [qui donne son nom à la discipline], on va refaire 50, 100 voire 200 sauts d'avion avec ces vêtements, pour finalement retourner aux ponts et aux falaises.

Combien de temps dure ce processus d'apprentissage ?

Le temps de progression avant de sauter en wingsuit représente au minimum 500 sauts, donc au total, au moins deux ans de pratique. Mais c'est vraiment la formation la plus rapide. En moyenne, c'est plutôt cinq ans de pratique.

Ces formations sont-elles officielles ?

Non, il n'y en a pas. C'est plutôt la pratique et l'échange avec les gens expérimentés. Il y a des gens qui donnent des cours de base, des sauts de falaises. C'est intéressant parce que, moyennant finances, la personne va pouvoir accéder à des gens expérimentés. En revanche, il faut être vigilant car des gens peuvent dire "j'ai payé une formation, je suis un base jumper" alors que ce n'est pas le cas. La formation, elle est à vie. C'est une remise en question permanente.

Une formation payante de base jump, c'est cinq à dix sauts depuis un pont ou une falaise déversante, mais après cela, on n'est rien du tout. Ce n'est qu'un tout petit maillon. On ne peut pas s'en contenter.

La pratique du wingsuit est-elle plus dangereuse que l'alpinisme ?

C'est différent. L'alpiniste est souvent victime de la montagne, des mauvaises conditions météorologiques. Pour les wingsuiters, les conditions météo – en particulier les vents descendants quand on est prêt du sol – vont participer aux accidents, mais la plupart sont aussi liés à un manque de sécurité du pratiquant.

Notre pratique est encore assez jeune et en devenir, et c'est assez compliqué de se dire : "Je vais mettre une marge de sécurité dont je n'ai pas besoin la plupart du temps, mais qui va être intéressante une fois sur cent ou une fois sur deux cents".

Pourquoi les wingsuiters évoluent-ils si près des reliefs ?

La plupart des accidents mortels en wingsuit sont liés à des impacts de personnes avec le relief ou avec des arbres. Le problème, c'est que c'est ce qui est le plus addictif. Les gens se lancent là-dedans et ont peu de recul parce qu'ils sont tout de suite grisés par les choses. Ils ont du mal à se dire : "Est-ce que ce que je fais est vraiment contrôlé ? Est-ce que mes marges de sécurité sont assez importantes ?" C'est aux pratiquants de se remettre en question.

Les autorités locales sont-elles impliquées aux réflexions sur la sécurité de la pratique ?

Nous faisons des réunions tous les six mois avec la mairie de Chamonix et le peloton de gendarmerie de haute montagne (PGHM). On fait un point sur les activités, la cohabitation du wingsuit à Chamonix avec les autres sports. Je les ai d'ailleurs rencontrés la semaine dernière.

On va resserrer un peu la vis, et je vais sûrement créer un base jump club à Chamonix avec des recommandations pour que l'on puisse savoir qui saute. Ce n'est pas une autorisation de sauter. C'est davantage pour avoir une liste de personnes identifiées comme ayant une bonne conduite de leur pratique. J'ai fait cette proposition lors de la dernière réunion, et on m'avait encouragé à aller dans ce sens. On a besoin de se structurer et de connaître les personnes qui viennent sauter. Chamonix est une vitrine médiatique et attire beaucoup de monde.

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