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Insultes, menaces et raquettes qui volent... Les revers des arbitres de tennis

Le canadien Denis Shapovalov a envoyé, dimanche, une balle dans l'œil de l'arbitre de chaise, au cours d'un match de Coupe Davis. Un événement malheureux, mais loin d'être isolé.

Article rédigé par Pierre Godon
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 5 min
Une arbitre lors du tournoi de Wimbledon (Royaume-Uni), le 3 juillet 2016. (JORDAN MANSFIELD / GETTY IMAGES EUROPE)

Sur le papier, être arbitre au tennis a tout du bon plan. En gros, on est payé à être assis et à regarder du tennis pendant des heures, avec la meilleure place sur le court. Le plus gros risque, un torticolis ? Détrompez-vous ! Comme l'a rappelé l'incident malheureux du match de Coupe Davis entre le Canada et la Grande-Bretagne, où le joueur canadien Denis Shapovalov a envoyé une balle dans l'œil de l'arbitre de chaise, dimanche 5 février, c'est aussi un job à risques. 

"Sale pourriture"

Parce que même perché sur sa chaise, l'arbitre n'échappe pas à la vindicte des deux joueurs en train de batailler sur le court. "Moi et mes collègues, on entend souvent 'vous êtes un idiot' ou 'vous êtes aveugle, ou quoi ?'. Surtout dans les tournois masculins", confie l'arbitre roumain Moisi Dragos à Al Jazeera (en anglais). Les colères de John McEnroe ou d'Ilie Nastase sont entrées dans le folklore du tennis, les insultes régulièrement proférées par les joueurs actuels, un peu moins. Prompt à regretter le temps doré d'un tennis moins aseptisé, le public se retourne très vite contre un joueur qui sort de son match. Nick Kyrgios, l'enfant terrible du tennis australien, se fait régulièrement siffler pour ses saillies anti-arbitrales. "Ça va, tu te sens fort dans ta chaise, là-haut ?", a déjà grogné le fantasque joueur à Wimbledon en 2016, ponctuant cette bravade d'un "sale pourriture". Sa défense ? "Ça fait partie du show." Le joueur serbe Viktor Troïcki a ainsi passé de longues minutes à houspiller l'arbitre de chaise après sa défaite, la même année dans le tournoi anglais : "Vous êtes le pire arbitre de tous les temps, vous avez vu ce que vous avez fait ? (...) Vous avez fait trente erreurs aujourd'hui."

Chaque arbitre international a son anecdote sur un joueur qui jure dans sa langue maternelle pour échapper aux sanctions comme des points de pénalité et des amendes. "J'ai déjà entendu un joueur français m'insulter dans sa langue maternelle. Je ne comprenais pas ce qu'il disait, mais le superviseur l'a attrapé et lui a infligé une amende de 150 dollars", se souvient Moisi Dragos. 

Une chaise secouée par Jim Courier

Les joueurs les plus remontés savent taper là où ça fait mal, sur l'honnêteté des juges. Le jour où Serena Williams a piqué une colère contre une arbitre à l'US Open 2011, elle a lâché : "Elle est très moche à l'intérieur." "On ne peut pas répondre", explique dans le Sydney Morning Herald (en anglais) l'incriminée, Eva Asderaki-Moore, une pointure de l'arbitrage, qui a déjà officié en finale de Grand Chelem. "Il faut rester professionnel, même quand eux ne le sont plus." Rancunière, Serena Williams aura encore des mots contre Eva Asderaki-Moore, qui officiera lors de son élimination dès le premier tour à Roland-Garros quelques mois plus tard : "Ce n'est vraiment pas la préférée des joueuses."

Certains ont mis leur menace à exécution : Rafael Nadal a obtenu de ne plus être arbitré, pendant un temps, par un juge qui ne lui revenait pas. Et expliquait, en 2015, au Telegraph avoir émis une telle fatwa plusieurs fois dans sa carrière. "Ça n'a jamais posé problème", avait-il confié.

L'intimidation verbale, passe encore - "on en faisait dix fois plus que Serena", a confié Andy Roddick, pourtant pas retraité depuis si longtemps. L'intimidation physique existe aussi. Jim Courier a ainsi secoué comme un prunier une chaise d'arbitre après une série de décisions défavorables en 1993, au tournoi de Key Biscayne, en Floride. "J'ai fait une performance de merde, et dans sa chaise, lui n'a pas fait mieux, grommelle l'ex-n°1 mondial dans le New York Times. C'est arrivé dans le feu de l'action, je ne le regrette pas." Chose incroyable aujourd'hui : Jim Courier avait alors pu reprendre le match, presque comme si de rien n'était. 

Une gifle, une raquette, ou une balle dans le visage

L'arbitre français Bruno Rebeuh a, lui, été carrément giflé par la compagne du joueur américain Jeff Tarango - au caractère volcanique et paranoïaque. Lors d'un match du 3e tour à Wimbledon en 1995, Bruno Rebeuh avait contredit son juge de ligne sur un service de Jeff Tarango. "Out" au lieu de "ace", il n'en fallait pas plus pour déclencher la fureur de l'Américain. "Non, non, j’ai vu ça un million de fois à la télé, ça s’appelle un ace !" Le joueur américain hurle au scandale, traite l'arbitre français de corrompu, avant de quitter le terrain sans autre forme de procès. En conférence de presse, il réitère ses accusations, en insinuant que l'arbitre tricolore favoriserait le joueur suisse Marc Rosset. Le soir même, Bruno Rebeuh est pris à partie par la compagne française du joueur. Quelques années plus tard, Jeff Tarango reviendra sur l'incident : "Elle m’a juste défendu, à la française, et je l’ai remerciée." L'ATP enquête, ne trouve rien, condamne le jouer à l'amende record de 63 000 dollars, mais le mal est fait pour l'arbitre. "Bruno a eu un gros passage à vide et il ne s'en remettra peut-être même jamais tout à fait", déplorait, trois ans après l'incident, le président de la fédération française de tennis Gilbert Ysern.

Le juge tricolore a aussi eu droit au dernier type de menace : le jet de projectile. En l'occurrence une raquette, qui part des mains de Gustavo Kuerten, réputé doux comme un agneau, et qui le frôle lors d'un match de Roland-Garros en 1998. Un geste passible de disqualification - comme quand on touche, même involontairement, un ramasseur de balles ou un juge de ligne. "J'ai jeté ma raquette vers la chaise, comme je fais toujours, mais cette fois, c'est parti en l'air vers le juge, raconte le joueur brésilien à la Folha de Sao Paulo (en portugais). Grâce à Dieu, il était attentif et a tourné la tête. Si je pouvais revenir en arrière, je ne le referai jamais."

Perché sur sa chaise, l'arbitre fait parfois figure de cible. Jim Courier, encore lui, a ainsi expédié un retour de service droit sur... le même arbitre dont il avait secoué la chaise, à une autre occasion. En demi-finale du tournoi de Miami en 1994, juste après un point contestable où l'arbitre avait jugé en sa défaveur alors qu'il avait l'occasion de débreaker Pete Sampras. Un geste volontaire ? Difficile à dire. Même si l'Américain joue l'effroi en regardant la trajectoire de sa balle frôler le crâne de l'homme en noir. 

N'allez pas croire que ce genre de débordements se limite aux vedettes de la petite balle jaune avec de fortes sommes en jeu. Le site australien News.com raconte que, dans un obscur tournoi Futures en Inde, en 2015, un joueur israélien des profondeurs du classement ATP a menacé sexuellement une arbitre, qui a aussitôt pris sa retraite. 

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