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Quatre ans après, la Planche des belles filles attend toujours les retombées du Tour

C'est l'histoire d'une petite station de moyenne montagne, devenue le symbole du Tour de France pour relancer le tourisme…

Article rédigé par Pierre Godon - Envoyé spécial en Haute-Saône,
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 10min
Des panneaux de bois à l'effigie d'anciens coureurs du Tour de France, comme l'Allemand Jan Ullrich (à droite), dans les rues de Plancher-les-Mines (Haute-Saône), le 23 juin 2015. (PIERRE GODON / FRANCETV INFO)

Un bulldozer. Puis deux. Puis trois. Un jour d'octobre 2011, les habitants de Plancher-les-Mines (Haute-Saône) voient défiler les engins de chantier sur la route qui mène à la Planche des belles filles, la petite station de ski voisine, nichée dans un coin reculé, entre le Territoire de Belfort et le Pays des mille étangs. Dans ce village d'un millier d'habitants, le bruit se répand comme une traînée de poudre : "Il y a des pelleteuses, ils sont en train de détruire la station !" 

Le mythe de "l'Alpe d'Huez de l'Est"

Station de moyenne montagne, avec des installations vieilles des années 1970, la Planche des belles filles n'a jamais rapporté un centime au conseil général, qui en est propriétaire. Les premiers habitants qui arrivent sur place, ce jour-là, sont virulents. On parle de saboter les bulldozers. Jusqu'à ce que le pot-aux-roses ne soit découvert : les travaux préparent l'arrivée du grand barnum du Tour de France, prévue neuf mois plus tard. 

Jean-Claude Arens, patron du cyclo club de Froideconche, organisateur de la cyclosportive des Trois Ballons ainsi que du Raid extrême vosgien, à Plancher-les-Mines, le 23 juin 2015.  (PIERRE GODON / FRANCETV INFO)

Si la Grande Boucle débarque dans ce coin méconnu de Haute-Saône, c'est (un peu) à cause de Jean-Claude Arens. Cet assureur dans le civil trace le parcours de la cyclosportive des Trois Ballons, la course la plus populaire dans l'est de la France, avec des pointes à plus de 4 000 participants. Entre 2000 et 2011, l'arrivée est jugée au sommet de la Planche des belles filles, un final exigeant pour qui a déjà 200 kilomètres dans les pattes.

Pour attirer le chaland, il n'hésite pas à vanter son final comme "l'Alpe d'Huez de l'Est". "Je mettais des pancartes dans les virages, comme dans les 21 virages de l'Alpe, raconte le rusé organisateur. Avec les noms des anciens vainqueurs, mais aussi des messages plus humoristiques, comme 'interdit de rouler à moins de 8 km/h', ou carrément de faux radars." L'information remonte aux oreilles de Christian Prudhomme, le patron du Tour, soucieux de trouver de nouvelles difficultés pour le peloton. Le secret doit être gardé, pour l'annonce du parcours une semaine plus tard, en présence des élus locaux.

"Soit on s'écrase, soit on remue la merde"

Sur place, la situation s'envenime. Les locaux se divisent entre ceux qui veulent tout miser sur le tourisme et ceux qui dénoncent le coût pharaonique de l'allongement de la montée par une pente à 14%, pour offrir un final plus spectaculaire à l'étape. "Si le Tour de France se jouait sur 400 mètres, ça se saurait", persifle Jean-Claude Arens, qui avait proposé une solution alternative, sans macadam supplémentaire.

"Soit on s’écrase, soit on remue la merde. C’est ce qu’on a fait", confie l'un des fondateurs des "Indignés de la Planche", l'association qui dénonce l'aberration économique du projet. "On a appelé les écologistes à la rescousse. Il n’y avait qu’eux pour avoir les reins assez solides pour aller en justice", reconnaît l'une des figures des Indignés, Marc Brunet, guide de randonnée.

Au tribunal, les arguments des opposants ne manquent pas. La zone bulldozerisée et dynamitée se trouve à la limite d'une parcelle classée Natura 2000, car zone d'habitation du grand tétras. Et les travaux ont commencé sans autorisation. Résultat : 1 000 euros d'indemnités pour une association de défense des oiseaux. Mais pas de remise en cause des travaux, qui continuent de plus belle. "Le conseil général nous a mis devant le fait accompli, déplore Philippe Châtelain, élu EELV de la région. La Haute-Saône est 83e sur 100 au classement des politiques écologiques du journal La Vie. Ici, on vit sur l'agriculture intensive et la bagnole. C’est une terre de mission pour les écologistes." 

Chalet brûlé et ville fantôme

Quatre ans plus tard, où en sont les promesses du conseil général de développer le tourisme dans cette région enclavée ? Sur la route qui monte à la Planche des belles filles, quelques rares inscriptions à la gloire de Thibaut Pinot, originaire de la région, achèvent de disparaître du macadam.

Une inscription "Thibaut [Pinot] merci" inscrite sur la montée de la Planche des Belles Filles. (PIERRE GODON / FRANCETV INFO)

Des panneaux de bois représentant Lance Armstrong ou Jan Ullrich – des coureurs qui n'ont jamais monté la côte – jaunissent au bord de la route. Dans la montée, on croise une poignée de cyclistes. "C'est dur !", lâche l'un d'eux entre deux halètements. Au sommet, un grand parking, désert, en guise de cul-de-sac. La buvette de la station de ski est fermée. Le chalet, qui faisait office d'hôtel-restaurant, a brûlé en juillet 2014. Il ne reste que les fondations, et une pancarte "Le Tour de France à la Planche des belles filles, l'attraction universelle", derrière les barrières et les gravats. Unique point d'intérêt, une majestueuse statue de bois représentant les fameuses "belles filles", qui ont échappé aux invasions vikings, œuvre d'un artiste local.

La station de La Planche des Belles Filles, théâtre d'arrivées d'étape du Tour de France 2012 et 2014.  (PIERRE GODON / FRANCETV INFO)

A Plancher-les-Mines, la première commune en contrebas, on attend toujours les fameuses retombées. Le visiteur est accueilli par des commerces fermés, parfois délabrés. Le marchand de journaux a récemment mis la clé sous la porte, tout comme le garage Renault. Une friche industrielle de cinq hectares est nichée en plein cœur de la ville. "Quand j'étais petit, 1 000 personnes venaient travailler tous les jours ici. Il y avait douze bars. Douze !, se souvient Michel Galmiche, le maire, natif de cette ville frappée par la crise économique depuis les années 1970. Ce militaire à la retraite, le cheveu coupé ras, confie son impuissance à redresser la situation. "Aujourd'hui, avec une capacité hôtelière de zéro et une offre de restauration proche de zéro, avec quoi voulez-vous que je retienne le touriste ?" De fait, les vélos qui passent ne s'arrêtent pas. 

La cuvée du Tour de France tourne à la piquette

Le caviste de la ville – l'un des quatre commerces toujours en activité – arbore un vélo peint en jaune sur le toit de sa maison. Lui non plus n'a pas connu d'effet Tour de France. "On avait produit une cuvée Tour de France, un vin du Roussillon avec une étiquette spéciale, qu'on vendait 5 euros la bouteille. En 2012, on a vendu les 3 000 bouteilles. Mais en 2014, lors du second passage, il nous en resté beaucoup sur les bras."

Pour eux, le coupable, c'est "Vesoul". Vesoul, la capitale du département, à 60 km de là, dont le nom est prononcé avec le même mépris que celui affiché par une partie de la classe politique française quand elle parle de "Bruxelles". Vesoul, accusée d'avoir fait traîner les travaux du chalet, critiquée pour avoir retoqué les projets des locaux pour animer la station – comme celui d'un bikepark proposé par le patron du club de VTT local –, et qui privilégierait le ballon d'Alsace, même pour apprendre aux enfants de la vallée à skier. "Quand je pense tout le mal qu'on avait eu à trouver des vélos pour les accrocher sur le toit... soupire Marie-Paule, la caviste. On va finir par décrocher le dernier qui est en haut, et quand le Tour repassera, on n'organisera ni buvette, ni animation. On se bornera à regarder passer le peloton. A quoi bon ?"

A Vesoul, justement, Yves Krattinger, le président PS du conseil général, est conscient du problème. "La région du sud des Vosges est frappée de plein fouet par la désindustrialisation, et je comprends le sentiment d'abandon qu'éprouvent les gens. Le FN a fait des scores très élevés aux dernières départementales." Et s'il se félicite du succès de son plan pour relancer le tourisme au niveau départemental, il reconnaît que "Plancher-les-Mines n'est pas la mieux placée. D'autres stations du département, comme Belfahy, ont rebondi, et ont su attirer des touristes pour qu'ils y achètent leur résidence secondaire. Mais c'est plus ensoleillé."

"Je n'ai pas de baguette magique"

Il faut redescendre 15 kilomètres dans la vallée pour dénicher quelqu'un avec un t-shirt jaune vif, "I love la Planche des belles filles". Bruno tient le restaurant qui porte son nom, à Ronchamp, le long de la départementale. Dans son établissement trônent un maillot et des photos dédicacées de Thibaut Pinot. Cyclotouriste le dimanche, Bruno voit passer des cyclistes venus se frotter à l'ascension de la Planche. "Ça nous apporte un peu de monde, même hors saison, confie-t-il. Pour les Hollandais et les Belges, le Jura, ça vaut les Alpes, et c'est plus près." Le camping voisin est aussi à l'équilibre après des années difficiles.

Un cafetier de Champagney se montre moins convaincu : "Le Tour de France, ça ne me rapporte rien. Ce qui marchait, c'était la cyclo des Trois Ballons. Le café ne désemplissait pas pendant trois jours. C'était ma recette de l'année." La cyclosportive est partie au moment où le Tour est arrivé, à cause d'une bisbille entre les politiques locaux et l'organisateur, pour une subvention de quelques milliers d'euros. Une autre course a été lancée, sans le nom prestigieux, et mettra du temps à faire son trou chez les mordus de cyclisme.

Une chose est sûre : le chemin sera long pour faire de ce coin de Haute-Saône une Mecque du vélo. "Je n'ai pas de baguette magique, conclut Yves Krattinger depuis son bureau de Vesoul. Mais j'étais encore à Utrecht la semaine dernière avec Christian Prudhomme pour faire revenir le Tour à la Planche des belles filles, faire une étape 100% en Haute-Saône. Il faut que le Tour revienne tous les trois-quatre ans, qu'on la voie toujours sur les écrans."

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