"Il va falloir être dessus, tout le temps" : Loïck Peyron et Yann Eliès se confient avant la Solitaire du Figaro
Avant le départ de la 50e édition, dimanche, les deux skippers racontent sur franceinfo leur rapport à cette course à la voile unique.
La Solitaire du Figaro 2019 part dimanche 2 juin de Nantes, avec 47 skippers au départ et des bateaux monotypes flambants neufs, tous identiques, tous équipés de foils : c'est la première fois qu'un bateau de série en est équipé. L'autre grande nouveauté de cette 50e édition, c'est le casting impressionnant, puisque la jeune génération va se confronter aux champions de la course au large Armel Le Cléac'h, Jérémie Beyou, Michel Desjoyeaux, ou encore Alain Gautier. Yann Eliès et Loïck Peyron seront également sur l'eau, et ils se sont confiés à franceinfo.
franceinfo : Loïck Peyron, ça fait combien de temps que vous n'aviez pas couru la Solitaire du Figaro ?
Loïck Peyron : Quinze ans. Je ne suis pas du tout le spécialiste de la discipline mais je me suis toujours attaché à essayer de faire les premières fois sur chacun des nouveaux millésimes de bateau. La première en Figaro Bénéteau en 1990, la première en Figaro Bénéteau 2 en 2003... Et puis la toute première, il y a 40 ans.
Yann Eliès : Il y a 15 ans, on avait fait le tour Bretagne ensemble.
Loïck Peyron : Très juste ! C'est vrai, sur Figaro 2, tu as parfaitement raison... C'est vraiment sympa d'être avec Yann à papoter... Mon premier Figaro, je l'ai fait quand j'avais 20 ans contre le papa de Yann [Patrick Eliès, vainqueur du Figaro en 1979], qu'on appelait le "morpion rouge".
"Le morpion rouge" ?
Yann Eliès : Oui, c'est une histoire de famille : quand vous l'aviez dans votre arrière train, vous étiez sûr qu'il n'allait pas vous lâcher jusqu'à la ligne d'arrivée !
Loïck Peyron : C'est un peu le cas du fils, aussi !
Pour cette 50e édition, on retrouve des marins comme Jérémie Beyou ou Michel Desjoyeaux qui, comme vous, Yann Eliès, ont remporté trois fois la Solitaire. Il y a aussi les petits nouveaux qui sont très aguerris, très entraînés sur Figaro 3. Pour vous, ce sont des novices, Loïck Peyron ?
Loïck Peyron : Ils ne sont pas novices pour la plupart d'entre eux parce qu'ils ont la chance de s'entraîner contre les meilleurs, contre Yann, contre Jérémie, contre tous ces marins d'exception. C'est tellement passionnant de se mesurer aux meilleurs, et aux plus jeunes qui ne sont pas encore les meilleurs mais qui le deviennent très très rapidement. Ces fameux centres d'entraînement où on les élève comme des jolis poulets de compétition, à Port-la-Forêt ou à Lorient, depuis une quinzaine d'années, c'est fabuleux !
Yann Eliès, vous le connaissez bien, ce centre d'entraînement pour la course au large de Port-la-Forêt. Ces jeunes, vous les connaissez tous ?
Yann Eliès : Non. Il y en a qui sont passés complètement sous les radars. Je pense à Benjamin Schwartz, arrivé cet hiver. C'est le profil type du jeune qui arrive : ingénieur, très cartésien... Lui, sa référence c'est l'ordinateur, l'analyse de données, savoir comment il va pouvoir tirer le meilleur de sa machine...
Ce sont de nouveaux profils de marins, ces "ingénieurs", Loïck Peyron ?
Loïck Peyron : On l'est tous, par devoir et par nature. Nous avons été obligés de progresser avec l'évolution des matériaux, des technologies depuis 40 ans. Les générations qui arrivent, comme le disait Yann à l'instant, sont beaucoup plus complètes, me semble-t-il. Presqu'un petit peu trop axées sur la performance pure. On oublie vraisemblablement les pourquoi et les raisons pour lesquelles on en est là... C'est vrai, la culture voile ne fait pas forcément partie de leur bagage mais ils sont vraiment bien armés. Et intelligents, tout simplement. On s'aperçoit que c'est un sport dans lequel il ne faut pas être trop bête, mais là ça devient franchement indispensable !
Yann Eliès : On sent qu'ils sont nés avec une souris dans la main droite, clic droit, clic gauche... Ça, c'est quelque chose qu'ils maîtrisent à la perfection. Nous, forcément, on s'y est collés, on n'est pas mauvais non plus mais on n'est pas nés avec ça dans la main.
Parlons des bateaux de cette 50e édition. La série Figaro Bénéteau 3, un monocoque qui succède au Figaro 2 (2003-2018) et au Figaro 1 (1990-2002). Vous les avez pris en main en début d'année, pas avant. Comment sont-ils ? Ludiques, rapides ? Ils sont au point ?
Loïck Peyron : Ils sont mignons, ils ont une jolie petite gueule ! On était tous comme des enfants à Noël quand nos bateaux respectifs sont arrivés par camion dans les différents ports où on les a mis à l'eau, en Bretagne Sud et ailleurs. Et puis après, on les a mis à nos couleurs et on a commencé à naviguer, tout simplement. Et dès les premières confrontations, on s'aperçoit qu'une fois de plus, les meilleurs arrivent immédiatement à sortir 100% du potentiel maximum d'un outil. Ce sont des bateaux avec des foils. Ces petits foils, ce sont un peu comme des dérives inclinées qui s'appuient sur l'eau et avec un minimum de vitesse servent à redresser le bateau.
Ces fameux foils, on peut appeler ça des ailes. Mais tout ce qui a des ailes ne vole pas forcément. Un pingouin et un albatros ont des ailes mais il y en a un qui vole beaucoup mieux que l'autre. Et en gros, ces petits Figaro ne sont pas des albatros...
Loïck Peyron
En gros, ce sont des jolis petits bateaux, à mon avis plus compliqués. Il y a plus de choix de voiles, il y a des voiles d'avant, des spinnakers, des gennakers, ces grands, grands gênois... C'est assez délicat, ça va créer des écarts assez rapides et ça va prouver une fois plus qu'en bateau à voile ce n'est pas la ligne droite qui est le plus court chemin d'un point à un autre.
Yann Eliès, vous qui connaissez bien évidemment le Figaro 2, est ce que le 3 est encore plus performant ? Est ce qu'il est au point, est-ce qu'il y a des ajustements à faire?
Yann Eliès : Sa principale qualité, pour moi qui suis un peu un stakhanoviste du Figaro, c'est qu'il est neuf ! J'ai fait 14 Solitaires du Figaro en Figaro 2. Je commençais à tourner un peu en rond. C'était un bateau qui commençait à être d'une conception un peu vieille. Là, on a un bateau qui a des foils, un bout-dehors, des voiles asymétriques, on n'a plus de ballasts... C'est un bateau nouvelle génération, orienté vers la voile d'aujourd'hui et de demain. Et puis c'est un bateau qui nous fait refaire des manœuvres qu'on avait un peu oubliées, les "pillings", les changements voile dans voile... C'est un bateau qui est vraiment sympa. Il y avait effectivement des erreurs de jeunesse mais on a gommé ça tous ensemble. On a vécu quatre à cinq mois de préparation extraordinaire, avec beaucoup d'excitation quand on a reçu les bateaux. Et puis le sprint préparation, acquisition de données, connaissance du bateau, était super intéressant à vivre. C'est aussi pour ça qu'on est aussi nombreux. Tout le monde était excité de découvrir cette machine et d'en tirer le meilleur dans un minimum de temps. Et ce n'est pas fini puisqu'on va continuer à en apprendre l'utilisation jusqu'au 27 juin prochain, arrivée de la dernière étape à Dieppe !
Ce bateau de série est sorti des chantiers en décembre et chaque concurrent a tiré au sort son bateau. Seule la Solitaire permet ça !
Yann Eliès : Seule la Solitaire, et seul Bénéteau, le chantier qu'il l'a construit, permettent ça. Il a fallu quand même construire 50 bateaux en un an et demi, être capable de stocker ces bateaux qui valent jusqu'à 480 000 euros sur un parking, attendre que tout le monde soit prêt à faire son chèque et les tirer au sort ! C'est quasiment de la monotypie pure, style les Jeux olympiques en voile : on aurait quasiment pu tirer les bateaux sur le parking avant de partir sur l'eau !
Pour cette édition, la Solitaire compte quatre étapes à enchaîner, de Nantes à Dieppe en passant par l'Irlande, l'Angleterre, Roscoff...
Loïck Peyron : La première étape, ça va à peu près. C'est une étape un peu au large, on va en Irlande, à Kinsale. On va traverser ces fameux rails de cargos qui sillonnent la Manche. La deuxième va devenir un peu plus compliquée puisque l'on va remonter entre l'Irlande et l'Angleterre au niveau de l'île de Man. Des cailloux, des pêcheurs, des filets, des cargos, du courant... Et la troisième, de mon point de vue, risque d'être une des plus complexes de l'histoire du Figaro. On part de Roscoff et on revient à Roscoff en ayant fait une grande boucle dans la Manche en traversant des endroits avec des violences de courants énormes : le Cotentin, le fameux Raz Blanchard, le Raz de Sein.. Le tout au mois de juin. Il peut ne pas y avoir de vent, on va se retrouver au mouillage à attendre que le courant s'inverse... A mon avis ça va être l'étape de tous les dangers.
Et puis il y la fatigue accumulée. On parle à chaque fois d'étape de quatre jours, deux petits jours de repos si tout se passe bien, et on repart pour quatre jours... C'est un rythme très particulier. Il va falloir être dessus, tout le temps. C'est très difficile de dormir, la sanction est immédiate : on peut se mettre évidemment sous pilote automatique mais le bateau va en général un petit peu moins vite. Et dès qu'on se réveille quelque 20 minutes plus tard, on sait que l'on a perdu dix places ou qu'on est déjà rentré dans un cargo ou qu'on est trop près des cailloux... Donc c'est une angoisse totale, permanente, mais qui est fascinante et très excitante.
Vous aussi, vous êtes excité, Yann Eliès, pour votre dix-neuvième participation ? A la clé il y a peut être une quatrième victoire.
Loïck Peyron : C'est ce qu'il cherche !
Yann Eliès : Je suis excité comme un jeune premier. Ce n'est pas ma première Solitaire mais j'ai toujours autant de passion et d'envie de participer. Elle m'apporte à chaque fois des émotions incroyables, qu'elles soient bonnes ou mauvaises. Démâtage, victoire, abandon, mauvaise place... A chaque fois je repars avec dans mon sac un lot d'émotions incroyables. Et puis à chaque fois, j'ai l'impression de grandir, de devenir meilleur. D'être un marin encore un peu plus accompli. D'être une personne un peu plus humble, aussi, à chaque fois. C'est une course qui force à l'humilité. C'est ça que je reviens chercher. Et si il n'y avait pas autant de plaisir et de passion je crois que je n'aurais pas été capable d'endurer ces 18 participations quasiment d'affilée. Puisque je n'ai quasiment jamais arrêté d'y participer, le maximum c'est deux ans maximum entre chaque participation.
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