Cet article date de plus d'un an.

Transat Jacques Vabre : "Humainement, j'ai beaucoup souffert", témoigne Clarisse Crémer, huit mois après avoir été écartée par son sponsor

La navigatrice de 33 ans prendra, dimanche, le départ de la Transat Jacques Vabre. Elle naviguera en duo avec le Britannique Alan Roberts pour un nouveau sponsor, L'Occitane en Provence.
Article rédigé par Apolline Merle, franceinfo: sport
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié
Temps de lecture : 9min
La navigatrice française Clarisse Crémer pose dans le port de Locmiquelic (Morbihan), le 18 avril 2023, après l'annonce de son nouveau partenaire, L'Occitane en Provence. (DAMIEN MEYER / AFP)

"Une belle victoire." Huit mois après avoir été lâchée par son partenaire Banque Populaire, alors qu'elle venait de donner naissance à sa fille, Clarisse Crémer prendra le départ, dimanche 29 octobre, de la 30e édition de la Transat Jacques Vabre. Après plusieurs semaines d'incertitudes, la navigatrice de 33 ans, 12e du dernier Vendée Globe (et femme la plus rapide de l'Everest des mers en 87 jours, 2 heures, 24 minutes), a retrouvé un sponsor et s'est relancée pour le Vendée Globe 2024.

Nouveau bateau et nouveau statut de maman, Clarisse Crémer s'est confiée à franceinfo: sport sur ce chapitre qu'elle vient d'ouvrir, dont l'objectif principal est le Vendée Globe l'an prochain.

franceinfo: sport : Onze mois après avoir donné naissance à votre petite fille, comment allez-vous ?

Clarisse Crémer : Je vais très bien. Je me suis préparée pour deux grandes transatlantiques, la Transat Jacques Vabre en double et un retour en solitaire lors de la course Retour à la Base [nouvelle course, entre Fort de France (Martinique) et Lorient (Morbihan), sélective et qualificative pour le Vendée Globe]. Je ne suis pas encore au top de ma forme, mais globalement je suis en forme, mon bateau et mon équipe vont bien.

Vous êtes associée au Britannique Alan Roberts pour la Transat Jacques Vabre. C’est la première fois que vous naviguez ensemble…

Oui, on se connaît depuis quelque temps. On s'entend parfaitement et son profil me plaisait bien. Je lui ai donc demandé s’il serait partant pour faire la Transat avec moi. Nous avons déjà fait deux petites courses de 48 heures et tout s'est très bien passé.

La skippeuse française Clarisse Crémer et le Britannique Alan Roberts naviguent sur leur Imoca L'Occitane en Provence lors de la course, Le Défi Azimut, au large de Lorient (Morbihan), le 24 septembre 2023. (NICOLAS PEHE / AFP)

La Tansat Jacques Vabre sera votre première grande course au large depuis votre grossesse. Ressentez-vous une certaine forme d’appréhension ?

Je ne ressens pas plus d'appréhension que les autres fois. J'ai acquis de l'expérience en course au large, donc de ce point de vue là, j'ai moins d'appréhension à me lancer dans une nouvelle transatlantique. En revanche, il s’agit de la première depuis ma grossesse. Je ne sais pas comment je vais réagir sur certains aspects [physiques].

Je n'ai pas encore récupéré toute ma force d'avant la grossesse. Et puis, mon bateau n'a été mis à l'eau qu'en juillet. Je ne le connais pas encore très bien, ce qui crée des petites peurs, mais nous sommes deux pour gérer et apprendre. 

Comment s’est passée votre reprise de l’entraînement ?

La reprise a été très difficile. J’étais très surprise pendant la grossesse et juste après l'accouchement, car je me sentais fatiguée, avec une petite forme. Quand on a fait du sport toute sa vie, on tombe de haut. Ne serait-ce que de la marche, après l’accouchement, c’était compliqué.

"Quand j’ai voulu reprendre le pilate, je me demandais à qui était ce corps, tellement j’avais perdu mes repères."

Clarisse Crémer, navigatrice

à franceinfo: sport

Toutefois, les bonnes sensations sont rapidement revenues, ce qui m’a donné de l’espoir et de la motivation pour continuer à travailler. Tout prend pas mal de temps et on est toutes assez inégales sur l'après-grossesse. J’ai écouté mon corps pour éviter de me blesser, ce qui n’est pas toujours facile car dans le haut niveau, tu as l’habitude de la douleur en prépa physique. Mais quand tu as l’impression de ne plus connaître ton corps, ce n’est pas évident de sentir la jauge d’efforts à mettre. L'objectif pour moi est d'être en forme pour le Vendée Globe en 2024. Je m'accroche à cet objectif.

L’arrivée d’un bébé bouleverse la vie des parents. Comment vous êtes-vous organisés, avec votre mari Tanguy Le Turquais, lui aussi skippeur, pour concilier votre vie privée et votre carrière sportive ?

Nos plannings sont un peu intenses, mais c'est tellement beau de l'avoir avec nous, qu'on s'y habitue... On est bien entouré. Mon équipe me laisse de la flexibilité. Surtout, la sœur de mon mari habite avec nous à l'année et la garde quand nous devons partir. Elle est "tante au pair", comme elle dit. C'est une chance d'avoir cette solution.

Le milieu de la course au large nécessite de partir plusieurs semaines de chez soi. Avez-vous de l’appréhension à la laisser aussi longtemps ?

J'ai déjà dû la laisser quinze jours en juillet pour la mise à l'eau de mon bateau. C'est presque plus facile de la laisser pour aller naviguer, ce qui est vraiment ma passion, que pour aller sur un chantier technique. Je sais que ce sera dur, mais le temps passe vite sur l’eau. Et ce manque est adouci par le fait que je fais ce que j'aime, et que je pourrais avoir des nouvelles à bord. Cette fois-ci, elle restera avec sa tante et sa mamie [Tanguy Le Turquais concourt aussi dans la catégorie Imoca], et elle nous retrouvera normalement à l’arrivée en Martinique. 

Après cette année mouvementée, qu’est-ce que cela représente pour vous d’être au départ ? 

C'est une belle victoire. Au début d'année, ce n'était pas gagné d'être au départ, avec un bateau, une équipe, un sponsor. La première victoire aujourd'hui est d'être sur la ligne de départ. La deuxième serait d'être sur la ligne d'arrivée et la troisième serait d'arriver avec un beau classement, mais ce sera du bonus. Ce projet avec L’Occitane en Provence s'est monté très rapidement. Nous avons beaucoup de satisfaction d'être présent, après un début d'année, qui a été un peu dur.

"J'ai vécu beaucoup de désillusions humaines et j'ai mis un peu de temps à m'en remettre."

Clarisse Crémer, navigatrice

à franceinfo: sport

Je ne suis pas totalement remise d'ailleurs aujourd'hui. Humainement, j'ai beaucoup souffert. Sans mon sponsor et mon équipe, je n'en serai pas là aujourd'hui.

Votre participation au Vendée Globe est relancée. Comment vivez-vous cette course à la qualification, dans un calendrier très serré ?

Il faut que je fasse le plus possible de milles en course, donc que je finisse toutes les courses auxquelles je me suis inscrite. J'ai donc un peu ce stress de terminer les courses, qui peut nous pousser à prendre certaines décisions par moments. Parfois, on devra mettre le pied sur les freins pour préserver le bateau, car l'objectif est de finir la course. Dans ce sport mécanique, rien n'est jamais acquis. Mais c'est vrai que j'ai peut-être un peu plus de stress que les autres, qui ont fait plus de milles et de courses ces dernières années.

Lors de l’affaire avec Banque Populaire, vous avez reçu de nombreux soutiens de la part d’athlètes mais aussi de la ministre des Sports, Amélie Oudéa-Castéra. Votre histoire a dépassé les frontières de votre sport…

Dans un premier temps, j’avais décidé de prendre la parole par nécessité. On m'avait proposé de communiquer sur l'arrêt de ce sponsoring d'une certaine manière. Je n'étais pas d'accord et j'ai voulu le dire. À mon sens, dans notre sport, certes, on divertit les gens mais nous sommes aussi là pour inculquer des valeurs.

"Aujourd'hui, peu d'entreprises ont envie de partager cette idée, qu'en tant que femmes, si on veut des enfants, il faut accepter d'être mises de côté. Pour moi, il s'agit d'une notion d'un autre temps."

Clarisse Crémer, navigatrice

à franceinfo: sport

Puis je me suis rendu compte que mon histoire avait une utilité auprès d'autres femmes athlètes, pour permettre que les règlements et les comportements changent. Pour qu'on ne soit plus traitées de fautives car on a voulu un enfant. Je suis fière de porter ce message d'égalité des opportunités.

Avez-vous pu échanger depuis avec les organisateurs du Vendée Globe afin de faire évoluer le règlement ?

Il ne changera pas d’ici à l’édition 2024, car les organisateurs ne veulent pas modifier les règles en cours de route, ce que je comprends parfaitement. J’ai beaucoup échangé avec eux, et une commission a été créée pour le faire évoluer en vue de l'édition 2028, et prendre ainsi davantage en compte la maternité des navigatrices.

Pour moi, on ne peut pas être fier d'avoir de nombreuses femmes sur la ligne de départ sans traiter ce sujet-là, qui est essentiel. Sur la course au large, beaucoup de skippeurs atteignent le pic de leur carrière à la fin de la trentaine, ou au courant de la quarantaine. Disparaître quelques années vers l'âge de 30 ans, pour une femme, c'est compliqué.

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.