: Reportage Voile : dans les coulisses de la préparation du Trophée Jules Verne, un des derniers grands défis de François Gabart
Le rendez-vous est donné aux aurores à Antibes, ce lundi 7 octobre. François Gabart et son équipage du maxi trimaran Ultim, le SVR-Lazartigue, sont attablés au petit-déjeuner d'un hôtel avant un convoyage entre Antibes et Cannes, où le skipper doit apposer ses empreintes au "Walk of Fame maritime" de la ville. Au milieu des croissants et du café, les discussions fusent. Le sujet : les réparations à prévoir sur le bateau de 30 m de long et 23 m de large, touché lors de la Finistère Atlantique (4e) quatre jours plus tôt.
Un des derniers préparatifs sur le géant des mers qui les portera pour leur défi prévu pour novembre : le Trophée Jules Verne, cette course en équipage sans escale et sans assistance, dont le record appartient à Francis Joyon depuis 2017 (40 jours, 23 heures et 30 minutes).
Ambition et transmission
A 41 ans, François Gabart, au palmarès long comme les 35 mètres de sa grand-voile (victoire au Vendée Globe 2012-2013, à la Route du Rhum 2014 et à la Transat Jacques Vabre 2015) aborde un de ses ultimes défis au large. Le dernier ? "De ma carrière je n'en sais rien, mais en tout cas, c'est le prochain défi dans les mois qui viennent, et probablement en course au large sur ces grands bateaux. Je naviguerai beaucoup les prochaines années mais différemment", dévoile le skipper, qui a pour objectif de lancer un trimaran-cargo de transport long de 65 mètres en 2026.
Pas de lassitude ou de fatigue, simplement la curiosité et l'envie de transmission pour lui, qui ce jour-là embarque son fils pour la courte traversée. "Je suis quelqu'un d'assez curieux, qui a souvent envie de faire des nouvelles choses, poursuit l'ingénieur-skipper, entre deux manoeuvres sur son trimaran, casque-micro vissé sur la tête pour communiquer avec ses troupes. J'ai eu la chance de vivre des choses incroyables en solitaire et d'apprendre beaucoup étant jeune. Kito de Pavant m'a beaucoup fait confiance, Michel Desjoyeaux m'a accompagné dans mon premier Vendée Globe. Donc c'est assez normal de continuer cette boucle."
Pour mener à bien ce projet, le Charentais de naissance s'est entouré d'un casting mûrement réfléchi. On y retrouve bien sûr Tom Laperche, qui avait effectué son stage de fin d'études sur la confection de ce trimaran, et à qui il a déjà transmis le flambeau sur les courses en solitaire l'an passé. "C'est quelqu'un avec des valeurs humaines qui me touchent, et surtout c'est un marin incroyable, un petit génie. Il n'y en a pas souvent des personnes comme ça. Il a une capacité à vraiment comprendre comment les bateaux fonctionnent", soutient François Gabart.
Dans cet équipage de six skippers, il y aura également les deux ingénieurs Emilien Lavigne et Antoine Gautier, ainsi que la dernière arrivée, Amélie Grassi, embarquée dans l'aventure seulement en août. "C'est essentiel dans un équipage d’avoir cette fraîcheur. J'ai navigué sur plein de bateaux différents, c’est riche d’un point de vue réglages en plus d’apporter un point de vue extérieur", explique-t-elle.
"Le Jules Verne, c’est un peu le Graal quand tu fais de la course au large. C’est dur de viser au-dessus."
Amélie Grassi, skippeuse, membre de l'équipage du SVR-Lazartigueà franceinfo: sport
Pour compléter cette équipe jeune (ils sont cinq âgés de moins de 43 ans), Pascal Bidégorry vient apporter une expérience colossale, lui qui avait déjà tenté le Jules Verne en 2011, puis remporté la Transat Jacques Vabre avec François Gabart en 2015. "Notre force, c’est qu’on a une bonne complémentarité. On est capables de se relayer toujours avec la même intensité, que ce soit dans le respect de la stratégie, des trajectoires, de l’utilisation du bateau", se réjouit le Basque de 56 ans.
Il en oublie modestement d'ajouter qu'il apportera aussi une vraie note humoristique. "C’est sûr que pour eux, cinq Bretons avec un Basque, ça c’est un challenge ! Remarque, pour moi aussi car je me sens en infériorité numérique", sourit-il alors qu'il s'affaire à mouliner énergiquement pour monter la grand-voile.
Face à plusieurs concurrents qui s'attaqueront également au record comme Charles Caudrelier sur Edmond de Rotschild et Thomas Coville sur Sodebo Ultim 3, le temps est précieux.
Surtout pour polir un bateau qui a souffert en 2024, avec l'abandon de Tom Laperche sur l'Arkéa Ultim Challenge en janvier puis la déchirure de la grand-voile lors de la Finistère Atlantique début octobre. "On a malheureusement détruit une grande partie du bateau. C'est un bien pour un mal : ces casses-là, il vaut mieux les avoir avant. On en a profité pour essayer de mieux reconstruire. On va plus vite, on est vraiment sur un bateau qui a un potentiel incroyable", estime François Gabart après un trajet rassurant de deux heures le long des côtes azuréennes.
Passer sous les 40 jours
Pour l'équipage, l'objectif de passer sous les 40 jours est envisageable, surtout avec le perfectionnement des foils, qui permettent aux bateaux de "voler". "On a des théories de vitesse qui sont supérieures au bateau qu'avait Francis Joyon. Mais on est aussi dépendants des courants de vent sur un tour du monde. On espère être entre 38 et 39 jours", ambitionne Tom Laperche.
Qu'en pense le capitaine ? "C'est de l'ordre du possible, évidemment. On navigue sur des machines qui ont énormément progressé. Mais c'est loin d'être évident. Un, parce qu'il faut être capable de tenir sa vitesse très longtemps, et aujourd'hui avec ces bateaux qui volent, on apprend encore beaucoup sur la fiabilisation. Deux, parce que c'est un record : il faut un peu de réussite, que la météo soit favorable. Ce n'est pas simple d'avoir 100% du potentiel du bateau sur l'ensemble du tour du monde", ajoute François Gabart.
Avant même de penser au record, il faudra penser au départ. Prévu à partir de la première moitié de novembre en raison d'une fenêtre météo clémente, son report peut générer une frustration importante si l'attente se prolonge pendant des semaines, voire des mois. "C’est une des difficultés du record, encore plus avec un équipage de six. Si on part au bout d’une semaine c’est facile. Mais si on attend deux mois et demi sans savoir si on va partir le lendemain, c’est compliqué", admet François Gabart.
"Ca fait partie de mon job que ce ne soit pas une attente qui ronge et qui fatigue, et qu’au moment où on part, on soit à 100% de notre énergie."
François Gabart, skipper du trimaran SVR-Lazartigueà franceinfo: sport
Et s'il faut attendre, ils attendront. Tant bien que mal, mais cela leur permettra d'affiner les derniers réglages. "On va continuer à optimiser le bateau si on est en stand-by. Et à un moment, on va figer une grosse partie du bateau. On se dira qu’on ne touche plus à certains éléments et qu’on est prêts à partir", assure François Gabart. Le plus tôt sera le mieux pour eux.
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