: Interview "On est comme des aiguilleurs des mers" : le quotidien d'Hubert Lemonnier, directeur de course du Vendée Globe
La 10e édition du Vendée Globe, course sans escale et sans assistance, ne se joue pas qu'en mer. Durant la compétition, plusieurs personnes travaillent dans l'ombre des skippers et jouent un rôle clé jusqu'à leur arrivée. Hubert Lemonnier est le directeur de course, une première pour lui après avoir été adjoint lors des trois éditions précédentes.
franceinfo : Vous avez un rôle central avant même le départ ?
Hubert Lemonnier : Oui, c'est un métier dans l'ombre, mais bien professionnel, avec plusieurs casquettes, une régie maritime qui s'occupe, en vue du départ, de la mise au ponton des 40 voiliers en compétition, ces "Formule 1 des mers". On a aussi la charge d'écrire les règles, ce qu'on appelle l'avis de course, c'est le contrat qui lie les marins à l'organisation du Vendée Globe. Ces règles permettent aussi de qualifier 40 skippers pour s'assurer que ce sont tous les meilleurs qui sont au départ. Il faut aussi gérer tout ce qui avait été imprévu, par exemple des bateaux qui ont pris feu. On doit également écrire les instructions de course avec la Fédération française de voile, qui sont l'aspect sportif du règlement et qui permettent aux skippers de savoir comment la course va se passer.
Donc c'est une nouvelle phase qui s'ouvre après le départ...
Après le départ, on rentre dans le suivi de course. On est comme des aiguilleurs des mers, on va surveiller que tous les bateaux aillent bien. Toutes les 30 minutes, grâce à une position satellite qui nous arrive au bureau, on s'assure que le cap et la vitesse des bateaux sont en cohérence avec la météo. Si un bateau qui doit aller dans un sens est à 90° de sa route, on va alerter, on va vérifier que tout va bien.
"Pour des raisons de sécurité, on peut intervenir et dire par exemple à un skipper : 'Attention, vous êtes entré dans cette zone interdite, il y a des risques de collision avec des icebergs, il faut que vous en sortiez'."
Hubert Lemonnier, directeur de courseà franceinfo
Dans le cas où c'est grave, il y a un protocole de sécurité qui a été établi avec les équipes techniques qu'on a rencontrées ici au PC course pendant les trois semaines de village du Vendée Globe. Notre travail principal, c'est la sécurité, mais aussi tout un tas d'analyses météo pour s'assurer que les gens pas toujours habitués à la mer comprennent pourquoi le bateau va dans telle direction, qu'est-ce qu'il va se passer dans les prochaines 24 heures...
Quel lien avez-vous avec les skippers ?
On a des échanges tous les jours avec eux. Ils savent qu'on est là pour eux, qu'on surveille de manière objective tout le monde. C'est incroyable, c'est comme sur un bateau : tous les jours, il y a quelque chose à faire. Et donc à n'importe quel moment de la journée, il y a des informations qui nous arrivent et des informations à donner aux skippers. Il y a une vraie relation qui existe entre nous et heureusement, parce que c'est une course dure, extrême, isolée.
Est-ce que vous faites aussi le lien entre les skippers et leurs proches ?
Non, ils ont le droit de parler à leur famille, ils ont le droit de recevoir une photo de leur fille ou de leur fils à Noël, il n'y a pas de problème. C'est leur vie privée. Et justement, ce n'est pas seulement une course, même transatlantique, ce n’est pas un petit événement, c'est bien un chapitre de vie énorme, trois mois en mer, il y a bien une notion de vie privée là-dedans. Et heureusement d'ailleurs.
Et vous, vous ne déconnectez jamais ?
Si, on essaie de débrancher ! Sinon on n'y arrivera jamais et, surtout, il faut être en forme s'il y a une crise. À la direction de course, on est une équipe de cinq personnes, on fait des quarts de six heures, donc des rotations sur une journée, pendant qu'une personne est "hors quarts" pendant quatre jours mais reste à proximité du bureau. En cas de besoin, on peut l'appeler. Puis on alterne tous. On est obligés, il faut toujours qu'il y ait quelqu'un. Il y a toujours des problèmes à traiter, des coups de fil.
"Par exemple, si la cartographie du site internet ne marche pas, qu'est-ce qu'on fait ? D'où vient l'erreur ? On doit s'assurer que la technologie avec les bateaux fonctionne."
Hubert Lemonnier, directeur de courseà franceinfo
S'assurer aussi que la balise a bien émis une position via satellite pour avoir la localisation des voiliers, et que cette position est bien mise à disposition de la cartographie du site internet. Imaginez la tristesse des gens s'ils se réveillaient et qu'ils n'avaient pas leur drogue, où se trouve leur bateau préféré. Ça, ce sont des petits soucis, mais on va être aussi impliqués dans la solution de ces problèmes-là.
Vous vous attendez à des moments difficiles en particulier ?
Chaque fois, c'est différent. C'est mon quatrième départ du Vendée Globe et ce qu'on sait, c'est qu'on ne sait pas. Il y a une part d'inconnu, et notre cap, c'est notre propension à trouver des solutions, à gérer l'imprévu. C'est ça qui fait la différence. Par exemple, lors du naufrage en 2020 de Kevin Escoffier, personne n'avait imaginé qu'un Imoca en 2020 pouvait couler avec la technologie réputée insubmersible, des cloisons étanches à l'intérieur. Notre but, c'est que tout le monde revienne à terre, que ce soit aux Sables-d'Olonne ou ailleurs. Si un bateau a une avarie, démâte en Australie ou autre, qu'il puisse rejoindre l'Australie et on le suivra jusqu'à ce qu'il mette le pied à terre. Il y a des zones géographiques où les systèmes météo sont beaucoup plus complexes, et des endroits tellement isolés qu'il n'y a pas d'autres solutions en cas de problème que les autres concurrents. C'est notamment le cas dans les latitudes au Sud.
Vous êtes vous-même navigateur, est-ce nécessaire pour ce poste ?
C'est fondamental. Fondamental de naviguer, de passer des nuits en mer sur ces bateaux, d'aller prendre un front ou deux pour voir comment ces bateaux réagissent quand il y a du vent fort et de la houle. Quand on voit un skipper de l'autre côté de son écran pendant le Vendée Globe, on a une petite idée de ce qu'il va vivre et on comprend mieux les complexités, les problématiques. On peut se permettre aussi de dire à la communication de ne pas appeler un skipper à tel moment pour faire un enregistrement audio parce qu'il est dans un système météo compliqué. L'équipe de direction de course, ce sont des marins qui restent à terre. On parle la même langue que les skippers.
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