: Interview Vendée Globe 2024 : "Tu as le ciel qui te tombe sur la tête", confie Louis Burton après trois jours de réparation en pleine mer
Il a refusé d'abandonner. Bien lui en a pris. Louis Burton, s'est remis en mode course mardi 19 novembre, après trois jours passés à réparer son Imoca sérieusement abîmé. Le skippeur de Bureau Vallée, victime d'une avarie dans la nuit de samedi à dimanche, avait constaté des fissures à bord, qui menaçaient "l’intégrité structurelle de son bateau". Après avoir sérieusement pensé à abandonner, le Malouin s'est remobilisé et a voulu "tout faire pour continuer". Pour franceinfo: sport, Louis Burton revient sur ces 72 dernières heures éprouvantes.
franceinfo: sport : Tout d'abord, comment allez-vous ?
Louis Burton : Je vais bien dans la tête parce que vous ne pouvez pas imaginer à quel point je suis content de ne pas avoir abandonné. Je navigue normalement depuis 14h cet après-midi [mardi 19 novembre], dans des conditions folles, que l'on adore, avec une mer assez plate, du vent, les poissons volants et il fait chaud. C'est le pied. Par contre, j'ai mal au dos et aux bras. Je suis fourbu. Et j'ai les avant-bras et les jambes qui grattent à cause de la poussière de carbone, de fil de verre et de colle. Voilà l'état des lieux du bonhomme (sourire).
Au moment où vous entendez ce bruit anormal, ce "gros crac", sur le grand gennaker (voile d'avant) mis sur l'écarteur sur le pont, vous comprenez tout de suite ce qu'il se passe ?
Au départ, non. J'ai regardé les safrans, le cockpit, etc, ma is je n'ai pas pensé ça. Puis j'ai entendu au bout de 2-3 minutes, une violente alarme qui prévient de présence d'eau dans le bateau. J'ai en effet constaté qu'il y avait de l'eau à l'arrière sur bâbord et que je prenais l'eau. À ce moment-là, j'ai commencé à apercevoir les problèmes sur la coque et le pont. Le pont était cassé et la coque fissurée, et les deux parties se chevauchaient. À partir de là, tu as le ciel qui te tombe sur la tête.
Vous avez pensé abandonner. Qu'est-ce qui vous a remobilisé ?
Hormis cette fameuse pièce, l'écarteur, qui appuie très fort à cet endroit-là du bateau, ce n'est pas une zone extrêmement sollicitée en temps normal. J'avais emporté beaucoup de résine, de tissus de carbone et de pièces en composite. On s'est rapidement dit qu'il y avait quelque chose à tenter et que ça allait être l'aventure parce que la fin ne serait pas certaine à l'issue de cette réparation. Il fallait essayer.
"Je suis allé dormir car j'avais besoin d'avoir les idées claires. En me réveillant, je me suis dit 'si tu abandonnes maintenant, sans essayer, tu vas être tellement déçu.'"
Louis Burton, skippeur de Bureau Valléeà franceinfo: sport
Voilà quatre ans que tu te prépares à ce Vendée Globe, avec toute une équipe derrière, tes sponsors qui te soutiennent, les scolaires qui suivent le projet pédagogique. Tu ne peux pas ne pas essayer. Et puis, par le passé, j'ai déjà eu des grosses galères en mer, j e connais l'immense joie que ça représente de se sortir d'une galère et de réussir à s'en sortir. Quand tu as déjà goûté à ça, tu sais que cela vaut le coup de se faire mal parce que la joie est exponentielle au curseur de souffrance.
L'immersion avec le Raid vous a-t-elle aidée pendant ces 72 heures compliquées ?
Oui, à fond (rire). Rester actif, ne pas rester immobile (il le répète comme une devise). J'ai beaucoup pensé à eux en filmant tout ça, en me disant que j'aimerais bien pouvoir leur montrer. J'espère qu'ils seront fiers.
Les réparations étaient impressionnantes entre le ponçage intérieur et extérieur, découpage à la meuleuse, collage, puis la pose des tissus. Combien de temps avez-vous mis et y a-t-il eu des parties plus compliquées que d'autres ?
Je dirai que cela m'a pris trois jours et deux nuits. Je n'ai vraiment fait que ça, sauf peut-être quatre fois deux heures de sommeil dans les phases de séchage. Comme il s'agissait d'une réparation vraiment sérieusement structurelle, il fallait que tout soit hyper bien réalisé. Et donc, dans un contexte de travail qui n'est pas idéal, c'était ça le plus dur, que le tissu soit parfaitement collé, que la résine soit parfaitement mélangée, qu'il n'y ait pas une goutte d'eau qui arrive dessus tant que cela n'avait pas polymérisé.
Et puis la partie la plus scabreuse était celle sur la coque parce qu'il a fallu que je travaille en étant en suspension au-dessus de l'eau. Enfin, d'un point de vue technique, toute l'application à l'intérieur n'était pas simple. Sur le pont, c'est assez clair, mais à l'intérieur, tu as toutes les cloisons, les varangues... Q uand tu découpes des pièces de tissus de carbone, il faut faire tous les arrondis. Quand tu viens poser les lattes, il faut faire les encoches dans toutes ces pièces-là. C'est un puzzle.
Et justement, les images de vous, suspendu à une corde sur la coque ou à travailler avec la meuleuse en pleine mer, sont impressionnantes. Est-ce que l'on peut se préparer à ça ?
Je ne sais pas si on peut se préparer à ça. Comme je navigue depuis longtemps, j'ai accumulé des galères. Et j'ai toujours adoré bricoler. J'ai passé beaucoup de mes vacances avec mon grand-père maternel qui était cultivateur et qui m'a appris à me débrouiller avec ce que j'avais sous la main. J'ai appris à me débrouiller par la force des choses.
Les réparations sont donc terminées. Vous êtes donc repartis en mode course ?
Oui, je suis en mode course depuis 14 heures cet après-midi. Je suis en mode course et sous observation à la fois. Je ne suis pas à 100 %. Mon idée est de démarrer à 90 % puis de monter 5 à 5 les échelons jusqu'à pouvoir vraiment pousser le bateau très fort tant que nous sommes dans des contrées à peu près civilisées afin de valider totalement la solidité et la pérennité de cette réparation structurelle avant de m'engager dans le Grand Sud.
Avant votre avarie, vous étiez dans le groupe de tête avec ceux qui ont choisi l'option par l'ouest. À présent, vous êtes 25e. Quelles sont les prochaines étapes ?
Il y a un certain nombre de bateaux qui sont moins rapides que le mien, donc l'idée est de grappiller des places. Il y a quelques bateaux comme le mien qui ne sont pas très loin, donc là encore, c'est d'aller les recoller. Et puis, c'est essayer de profiter du pot-au-noir, où forcément ça va tamponner un peu devant, pour recoller et essayer de négocier le meilleur passage du pot-au-noir, où on a déjà vu des écarts de 200-300 milles se résorber en quelques heures.
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