: Portrait Vendée Globe 2024 : Guirec Soudée, ce marin à la soif d'aventure hors norme n'est jamais rassasié
Guirec Soudée est un homme pressé. Pressé de vivre l'aventure d'une vie. "Le plus dur, c'est d'attendre le départ", glisse le skipper Guirec Soudée, qui s'affaire lundi 21 octobre, sur son Imoca Freelance.com, amarré au port des Sables d'Olonne (Vendée). Pour sa première participation au Vendée Globe, le Breton de 32 ans ne vise pas de classement mais veut "simplement" vivre son aventure pleinement et boucler ce tour du monde à la voile, en solitaire et sans escale ni assistance, "de la meilleure des manières".
Depuis ses plus jeunes années, Guirec Soudée est animé par son besoin d'aventure, d'espace, et de liberté. Déjà petit, il passait tout son temps sur l'eau, sur son île natale d'Yvinec (Côtes-d'Armor). "J'ai eu mon premier bateau à 7 ans et je partais des journées entières pêcher. Et à travers les histoires de mon père, qui a navigué avec Eugène Riguidel [navigateur, vainqueur de la Transat en double en 1979], j'ai beaucoup rêvé de partir traverser les océans à la voile. La petite graine était alors plantée en moi, et a ensuite germé", raconte ce jeune marin au visage encore juvénile malgré sa légère barbe.
Un tour du monde de cinq ans en guise d'études supérieures
À 18 ans, il peut enfin exprimer pleinement son désir d'aventure. Il quitte sa Bretagne natale pour l'Australie "les mains dans les poches" avec l'objectif de travailler pour s'acheter un bateau et "partir à l'aventure". "Il est parti avec 200 euros en poche et ne parlant pas un mot d'anglais. Arrivé à l'aéroport de Sydney, il m'a appelé car il ne savait pas remplir les papiers de douane. Ensuite, il s'est débrouillé au culot", raconte sa sœur aînée Nolwenn, qui ajoute : "Avec Guirec, il ne faut pas que ce soit trop facile. Comme il aime dire, l'aventure commence quand les problèmes arrivent."
Deux ans plus tard, il rentre en France et s'achète son bateau. "L'aventure a commencé à partir de ce moment-là et elle ne m'a plus jamais quitté", se souvient-il. Son palmarès à défis le prouve. En 2013, à 21 ans, il débute un tour du monde, "qu'il appréhende comme ses études à lui", glisse sa sœur. Celui-ci durera cinq ans, accompagné par sa poule Monique, qui lui offrira de la compagnie et des œufs frais. Pendant ce voyage, il traverse l’Atlantique en solitaire, sans moyen de communication et en totale autonomie, puis hiverne 130 jours dans les mêmes conditions, dans les glaces du Groenland. "L'un des plus beaux moments de sa vie" mais aussi "le plus dur", admet-il, du fait des conditions extrêmes et du décès de son père survenu au lendemain du début de son projet.
"Mon père était vraiment mon pilier, témoigne Guirec Soudée. Commencer l'hivernage par la plus dure nouvelle que je pouvais apprendre, et savoir que derrière j'allais enchaîner beaucoup de galères, ça n'a pas été évident mais cela renforce. Et ça a été une source de motivation supplémentaire qui m'a aidé dans les moments rudes." Suivront encore la traversée du périlleux Passage du Nord Ouest en solitaire - où il devient le plus jeune navigateur à réaliser cet exploit - des quarantièmes rugissants, les cinquantièmes hurlants et le franchissement du mythique Cap Horn. Comme si cela ne suffisait pas, il traverse en 2021 l'Atlantique à la rame sans assistance en 74 jours puis effectue le retour en 107 jours.
"L'eau de mer coule dans mes veines"
En mer, Guirec Soudée est pleinement dans son élément. D'ailleurs, son rapport à la mer, il l'évoque avec une certaine émotion. "On dit que j'ai de l'eau de mer qui coule dans les veines. Ce n'est pas complètement faux", sourit-il, les yeux pleins de malice. "À chaque fois que je vois la mer, c'est émouvant, poursuit-il, assis en tailleur à l'avant de son Imoca, le regard vers le large. Je m'y sens vraiment moi-même, et il s'agit d'un des seuls endroits aujourd'hui où tu peux encore avoir une totale liberté."
Cet hyperactif, qui a appris la navigation en autodidacte, a toujours ressenti "le besoin d'être en extérieur" et "de se servir de ses mains", alors qu'il n'a jamais pu se fondre dans le moule du système scolaire. "Il a un projet à la minute. Et il peut parfois se disperser, mais jamais sur son support, quand il est en mer", confie Lucie Queruel. La capitaine et directrice technique du projet Vendée Globe, qui lui a donné des cours de voile au moment de leur rencontre il y a quinze ans, souligne aussi "son mental d'acier, sa plus grande force", et "sa superbe capacité d'apprentissage". "C'est un boute-en-train, confie sa sœur aînée Nolwenn. Il a une énergie débordante, et il va toujours au bout de ses idées. Il est tellement à fond pour tout que parfois c'est un peu fatigant, mais cela fait partie de sa personnalité, au mental hors du commun, nécessaire pour faire tout ce qu'il a accompli."
Et ce n'est pas le skipper Roland Jourdain, double vainqueur de la Route du Rhum en Imoca en 2006 et 2010, et troisième du Vendée Globe 2001, qui dira le contraire. Guirec Soudée l'a convaincu de s'engager avec lui sur la Transat Jacques Vabre en 2023 (ils ont terminé 20e), à bord de Freelance.com (Imoca avec lequel Roland Jourdain avait remporté la Route du Rhum en 2010). "Quand il ne peut pas entrer par la porte, il rentre par la fenêtre. On ne peut pas lui dire non", plaisante "Bilou", qui l'a d'ailleurs accueilli dans ses locaux à Concarneau (Finistère) pour sa préparation au Vendée Globe.
"Guirec est un personnage rare. Il fait partie des gens 'illuminés et illuminants'. Il a cette façon de transformer une situation bien sombre en un petit éclat de lumière."
Roland Jourdain, skipperà franceinfo: sport
Déterminé, sans être une tête brûlée, il s'est malgré tout assagi à la naissance de ses enfants. "Je fais davantage attention quand je vais à l'avant de mon bateau et que ça 'bastonne', alors qu'avant j'y allais sans réfléchir", reconnaît le skipper. Dimanche sera d'ailleurs synonyme du départ de sa prochaine aventure, lui qui découvre encore le milieu de la course au large.
"Clairement, je suis celui avec le moins d'expérience sur des bateaux de course, mais j'ai quand même quelques points forts qui ne sont pas à négliger, sourit-il, serein et confiant. Il n'empêche qu'il a fallu travailler très dur ces trois dernières années pour rattraper toutes mes lacunes que j'avais forcément, en étant projeté directement sur un bateau de course de 18 mètres", constate ce marin, pour qui le Vendée Globe "est bien plus qu'une régate".
Le petit nouveau de la course au large
"S'il y a bien une course qui est faite pour lui, c'est le Vendée globe, parce qu'il a une grande force mentale et une telle expérience de la vie en mer, avec les éléments, que je ne me fais aucun souci pour lui", assure Roland Jourdain.
Cette première participation est-elle le début d'une spécialisation pour le Breton ? "Ce qui m'intéresse, est de toucher à plusieurs supports, je ne veux pas faire de l'Imoca toute ma vie. Ce n'est qu'une étape", tranche-t-il, même si l'idée nouvelle de la compétition ne lui déplaît pas. Mais une fois n'est pas coutume, les idées fusent dans la tête du marin. "Peut-être qu'une fois ce Vendée Globe fait à l'endroit, j'irai le faire à l'envers, évoque-t-il, malicieux. Ce qui est sûr, c'est qu'attendre quatre ans pour faire un tour du monde, c'est juste impossible pour moi."
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