Vendée Globe 2024 : avec des bateaux de plus en plus rapides, la question de la sécurité des skippeurs n'a jamais été aussi présente

Article rédigé par Apolline Merle - envoyée spéciale aux Sables d'Olonne (Vendée)
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié
Temps de lecture : 9min
Louis Burton navigue sur son monocoque Imoca Bureau Vallée, au départ de la Route du Rhum, au large de Saint-Malo, le 9 novembre 2022. (SEBASTIEN SALOM-GOMIS / AFP)
L'arrivée des foils, qui a révolutionné le monde de la voile, a introduit de nouveaux risques et a obligé l'organisation de la course à redoubler de vigilance en matière de sécurité.

Les bateaux qui ont pris le départ du Vendée Globe depuis les Sables d'Olonne (Vendée), dimanche 10 novembre, sont plus impressionnants les uns que les autres. En quatre ans, depuis la dernière édition, l'évolution technologique a encore franchi un cap, rendant les Imocas à foils (volant sur l'eau) encore plus rapides, repoussant ainsi les limites jusqu'ici atteintes. Mais cette recherche de vitesse empiète sur la sécurité des marins à bord, exposés à des chocs plus violents. "Dans certaines conditions de mer, il peut arriver que le bateau rattrape une vague et vienne s'y enfoncer, ce qui provoque une décélération. Et quand on passe de 50 km/h à zéro en une seconde, il faut être prêt à gérer ce genre de situation", expose Antoine Mermod, le président de la classe Imoca.

"Depuis l'existence des foils, on observe de nouvelles pathologies que nous n'avions pas avant, comme les commotions cérébrales et les traumatismes au niveau du ventre ou de l'abdomen suite à des chocs avec la colonne centrale, constate Laure Jacolot, médecin de la course. La décélération des bateaux génère [en cas de choc] ce qu'on appelle une cinétique lésionnelle (des lésions internes), qui sont des pathologies spécifiques comme on peut en retrouver sur un accident de la route."

"Un risque de collision tous les 4 000 milles nautiques"

Charlie Dalin est l'un des skippeurs à en avoir fait les frais. En mai 2023, sur l'Ocean Race, il est victime d'une violente chute à bord, entraînant une commotion cérébrale. En une fraction de seconde, le bateau est passé de 29 à deux nœuds, soit une décélération de 27 nœuds (l'équivalent de 50 km/h). "Cet accident m'a fait peur car j'étais au milieu de l'océan Atlantique, et c'était impossible de m'évacuer. Pendant les 12 heures qui ont suivi, j'ai eu peur d'avoir une hémorragie cérébrale", se remémore le marin, qui était en équipage lors de cet accident.

"C'est un nouveau risque parce que les bateaux vont de plus en plus vite. Depuis deux ans, la prise de conscience est généralisée, et nous essayons de mettre en place des choses pour limiter les risques, même si le risque zéro n'existe pas."

Charlie Dalin, skippeur de l'Imoca Macif santé prévoyance

à franceinfo: sport

Le cas de Charlie Dalin n'est pas isolé. Quelques mois après lui, Sébastien Simon, est lui aussi victime d'une commotion cérébrale sur le Retour à la Base, et doit respecter une période de convalescence pour se remettre sur pied. On peut encore citer, le cas de Samantha Davies, qui, lors du Vendée Globe 2020, a percuté violemment un Ofni (un objet flottant non identifié) et a été projetée à l'intérieur de son Imoca. La skippeuse s'en est sortie avec des côtes cassées et un traumatisme proche "d'un accident de la route". "Les modèles mathématiques évaluent le risque de collision à un tous les 4 000 milles nautiques. Sur un Vendée Globe (24 300 miles nautiques de distance théorique, soit 45 000 kilomètres), ce n'est pas rien", appuie la médecin de course, Laure Jacolot.

La réglementation évolue

Depuis l'édition 2021, la classe Imoca a rendu obligatoire la présence d'un casque à bord. "Je le mets à chaque fois que je vais à l'avant du bateau ou dans les tronçons rapides. Depuis le Vendée Globe 2020, j'ai vraiment pris cette question très au sérieux", glisse Charlie Dalin, celui qui navigue sur l'un des bateaux les plus rapides de la flotte. Le port du casque est néanmoins limité. "Sur un match de 90 minutes, on peut porter un casque sans discontinu. Quand on est marin, sur un tour du monde, ce n'est pas possible de porter un casque pendant 3-4 mois non-stop", admet la médecin.

Charlie Dalin, à bord de son Imoca Macif, au large de Lorient (Morbihan), le 22 avril 2024. (SEBASTIEN SALOM-GOMIS / AFP)

La direction de course a également mis en place une zone de protection des mammifères, afin de limiter le risque de collision. Certaines sont interdites aux skippeurs, d'autres sont à traverser avec vigilance. Un hazard button (bouton de danger) a également été ajouté à bord. Il permet de signaler un événement dangereux, et dont l'alerte sera consignée dans une base de données commune.

Des caméras infrarouges et thermiques, qui permettent de voir devant le bateau, alertent également le marin en cas de présence inhabituelle. Enfin, les marins ont aussi à leur disposition des pingers, un outil qui envoie des signaux sonores censés prévenir les mammifères marins de leur présence. "Si on commence à bien progresser pour détecter tout ce qui est à ras ou au-dessus de l'eau, nous n'avons pas encore de capteurs capables de détecter ce qu'il y a sous l'eau", nuance Antoine Mermod.

Création d'un protocole commotion cérébrale

Autre nouveauté en 2024 : l'introduction d'un "protocole de crise médicale" en cas de commotion cérébrale, cependant soumis à l'autorisation du skippeur. "[Les symptômes vont] de signes bénins comme des maux de tête ou des troubles de concentration, à un manque de capacité à évaluer la gravité de la situation, ce qui peut vous mettre en danger", explique le médecin de la course. Une fois la commotion identifiée par l'équipe médicale (en plus d'un comportement inhabituel du skippeur), le team manager, la direction de course, le staff médical et la famille peuvent inciter le navigateur à passer partiellement ou totalement en mode hors course.

En complément, la médecin Laure Jacolot a recommandé aux skippeurs de s'adonner à une préparation physique ciblée, avec un gain de masse musculaire au niveau du cou, pour réduire l'impact des décélérations au niveau des cervicales. "On les encourage aussi à adapter leur cellule de vie, en limitant l'espace, pour qu'en cas de projection, celle-ci soit moins importante", poursuit-elle.

L'ergonomie des bateaux repensée

Une problématique prise au sérieux par les skippeurs qui ont, pour beaucoup, repensé l'ergonomie de leur embarcation. Louis Burton a complètement réaménagé son bateau, construit pour l'édition 2020 et racheté à Armel Tripon. Le skippeur de Bureau Vallée a fait installer un siège baquet à mémoire de forme avec un maintien pour sa tête. La bulle du cockpit a été déformée pour agrandir son champ de vision. Des mains courantes, pour se tenir, ont été installées "de partout" et chaque arête a été moussée pour amortir les chocs.

"Je suis équipé d'une combinaison avec des protections intégrées, d'un casque en plastique pour les interventions sur le bateau et d'un casque de rugbyman que je peux porter tous les jours."

Louis Burton, skippeur de Bureau Vallée

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L'aménagement est similaire chez Charlie Dalin. "Le cockpit est très compact pour que la chute soit moindre en cas de choc. J'ai une ceinture de sécurité sur le siège de ma table à cartes, qui me retient en cas de décélération importante. J'ai tout au même endroit : sans me déplacer, je peux me faire à manger, me reposer, suivre ma navigation. On a aussi fait attention à ne pas avoir d'angles à vif (pointu ou coupant)", énumère le skippeur, qui avait terminé deuxième en 2020.

Deux visions chez les skippeurs

Malgré ce constat, pas question de renoncer pour autant à la vitesse. "Comme dans tous les sports extrêmes, il faut se préparer en conséquence et savoir si on en a envie. On s'éloigne des aspects historiques de la course au large, avec les vieux loups de mer, le ciré et l'absence de communication. C'est quand même cool d'aller plus vite", sourit Louis Burton qui vise mieux que sa troisième place en 2020. "Nous sommes dans une compétition donc plus je vais vite et plus je suis content", s'amuse-t-il.

Un avis que ne partage pas Jean Le Cam. Derrière ses 65 ans et ses cinq Vendée Globe, le doyen de la 10e édition ne mâche pas ses mots. "En inventant la vitesse, l'homme a inventé l'accident, tranche-t-il. Avec les filets et les casques, on ne règle pas le problème mais la conséquence. L'heure n'est pas à la remise en cause de l'avancée technologique. À mon sens, on est en train de franchir la ligne rouge". Jean Le Cam, tout comme Eric Bellion, ont d'ailleurs fait le choix de prendre le départ avec un bateau à dérives et non à foil, qui sont donc moins rapides. "A notre sens, le vol est un choix extrême pour le bateau, estime Eric Bellion. Plus le bateau accélère, plus les chocs sont violents en cas d'arrêt brutal, et plus tu casses du matériel. Et c'est la même chose pour le skippeur."

Si pour l'heure aucun cas d'accident grave n'a été déploré sur le Vendée Globe, les organisateurs espèrent que les mesures prises suffiront. "Nous sommes encore dans une phase de transition, et j'imagine que les bateaux seront encore plus adaptés sur ce sujet en 2028", se projette Laure Jacolot. Car pour le moment, l'heure n'est pas au freinage technologique.

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