Syrie : "Bombarder les entrepôts de gaz sarin ferait courir des risques mortels à la population"
Olivier Lepick, chercheur à la Fondation pour la recherche stratégique, a examiné les analyses des produits recueillis dans la province d'Idleb. Interview.
Des tranchées de la guerre de 1914-1918 au terrorisme, tous ses ouvrages ne parlent que de ça : la guerre chimique et biologique. Olivier Lepick, chercheur à la Fondation pour la recherche stratégique, suit avec attention la crise syrienne et l'emploi désormais avéré de gaz sarin dans le conflit. Il confie à francetv info avoir examiné les analyses des produits recueillis sur le terrain.
Francetv info : Que pouvez-vous dire des armes chimiques recueillies en Syrie ?
Olivier Lepick : J’ai eu sous les yeux ces analyses détaillées. Elles constituent la preuve irréfutable de l’utilisation du gaz sarin par le pouvoir syrien. Il s’agit très précisément de quatre prélèvements urinaires et de deux sanguins. Outre les produits recueillis par les journalistes du Monde, c’est le second échantillon qui est particulièrement édifiant. On sait dans quelles conditions il a été recueilli. Cela s’est passé le 29 avril dernier à 16h30. Des agents hospitaliers en ont été les témoins actifs. Dans leur hôpital de Saraqeb, dans la province d'Idleb, ils ont assisté à l’arrivée d’un combattant dans un état critique. Tous avaient vu un hélicoptère larguer de petites bombes et très vite, au sol, les premiers symptômes sont apparus. De sorte que l’on a, comme l’a dit hier soir sur France 2 Laurent Fabius, toute la séquence de l’attaque elle-même jusqu’à la victime qui a fini par décéder. Le personnel hospitalier a ensuite réussi à acheminer les prélèvements jusqu’en France.
On sait que la Syrie produit depuis longtemps des armes chimiques, sait-on où sont les lieux de production et de stockage ?
Oui, absolument. Je dois d’abord préciser que, pour être une arme, le sarin ou le gaz moutarde doivent être associés à des aérosols. On vise ainsi la peau et les poumons des futures victimes. C’est pourquoi il faut, en plus de la chimie, des bombes aériennes, des missiles ou des roquettes qui doivent diffuser le gaz. Les lieux de production et de stockage du sarin et d’autres substances sont connus. Il y a trois ou quatre lieux de fabrication, mais l’activité est actuellement à l’arrêt. Ce qui est utilisé provient donc des stocks. Alors pourrions-nous bombarder ces entrepôts ? Certainement pas ! On ferait courir des risques mortels aux populations. Des nuages hyper toxiques peuvent se répandre sur les zones habitées. On ne peut donc que déplorer et s’alarmer d’une telle utilisation de ces armes !
Avez-vous été surpris de voir apparaître le sarin comme arme employée par le pouvoir syrien contre les rebelles ?
En fait, oui ! Depuis quelques mois, les tableaux cliniques qu’on nous soumettait ne tenaient pas debout. De plus, je ne voyais pas l’intérêt de Bachar Al-Assad d’utiliser de telles armes alors même que les Occidentaux le menaçaient sur ce point. Bref, j’étais circonspect et je ne le croyais pas assez idiot pour commettre un tel acte. Désormais les choses sont claires. Mais quelle est l’ampleur exacte de cette utilisation ? Pour l’heure, cela semble être une utilisation ponctuelle et limitée. Soit cela relève d’une initiative individuelle, soit c’est Bachar lui-même qui teste la communauté internationale en lui disant : je suis le maître chez moi, je fais ce que je veux !
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