Syrie : pourquoi faut-il continuer à craindre Bachar Al-Assad ?
Malgré l’accord signé avec la Ligue arabe pour mettre fin aux violences, le dictateur syrien ne semble pas prêt à baisser les armes, y compris sur le plan international.
"Voulez-vous connaître un nouvel Afghanistan ou même des dizaines d’Afghanistan ? La Syrie n’hésitera pas à embraser toute la région." Ces menaces ont été proférées par Bachar Al-Assad dans le Sunday Telegraph, le 30 octobre 2011.
Quelques jours plus tard, mercredi 2 novembre, le président syrien a accepté "sans réserve" un accord de la Ligue arabe mettant fin aux violences dans le pays. Faut-il y voir une marche arrière ? Rien n’est moins sûr. Sur le plan intérieur et extérieur, le régime dispose de plusieurs armes qu’il n’hésite pas à brandir pour décourager ses opposants ainsi que la communauté internationale. FTVi vous explique comment.
• Parce qu’il est encore soutenu par une partie de la population
C'est l'une des principales différences avec les autres pays du printemps arabe : "Le régime a beau être cruel, une partie importante de la population le soutient encore", observe Frédéric Encel, maître de conférences à Sciences-Po et spécialiste de la Syrie. "Malgré tout, le parti au pouvoir, le Baas, propose une offre politique, poursuit-il. Il assure a minima la laïcité, des revenus à ses fonctionnaires…"
Et à l’inverse de Mouammar Kadhafi, qui avait prédit des "rivières de sang" pour répliquer au soulèvement en Libye, la répression de Bachar Al-Assad est plus ciblée. "Il autorise l’armée à tuer dix-vingt manifestants par jour, pas plus", constate Frédéric Encel.
Une tactique rendue possible par le fait que le soulèvement en Syrie est beaucoup moins unifié que celui des Libyens. "Les manifestations sont plus diffuses, note Denis Bauchard, conseiller spécial à l’Ifri (Institut français des relations internationales). Et les communautés syriennes (alaouites, kurdes, chrétiens, sunnites…) sont plus imbriquées qu’en Libye, divisée en trois grand ensembles (la Tripolitaine, la Cyrénaïque et le Fezzan)."
• Parce qu’il agite le spectre d’une guerre des religions
Cette imbrication des communautés syriennes fait justement craindre à la population un scénario à l’irakienne, son voisin. Pays à majorité sunnite, la Syrie est dirigée par un président alaouite, une branche du chiisme, et compte plusieurs minorités religieuses, notamment chrétiennes et druzes. Un équilibre fragile et compliqué. Le régime brandit ainsi la menace d’un conflit interreligieux en cas de chute du pouvoir.
"Il est vrai qu'en dirigeant le pays d'une main de fer, il assure aussi l'équilibre des religions", souligne dans Rue89 Jean-François Daguzan, rédacteur en chef de la revue Maghreb-Machrek. En outre, les Frères musulmans sont la seule force politique d’opposition qui émerge depuis trois décennies, malgré l’interdiction de ce parti islamiste. "Si le régime tombe, il est clair que les islamistes s'engouffreront dans la brèche", ajoute le chercheur.
• Parce qu’il dispose d’un arsenal militaire important
La Syrie possède l'arsenal militaire le plus avancé du monde arabe. A l’inverse, "le poids militaire de Kadhafi était réduit en nombre et pas très efficace", rappelle Denis Bauchard. Ce qui explique qu’au moment de l’intervention des forces de l’Otan, une région entière (la Cyrénaïque) était tombée, facilitant l’offensive internationale. Ce n’est pas du tout le même scénario en Syrie : avec ses nombreux blindés, le régime écrase le soulèvement ville par ville. "La Syrie dispose d’une armée de qualité, très idéologisée", souligne Frédéric Encel. Il est donc plus difficile pour les manifestants de s’y confronter.
• Parce qu’il a un pouvoir de déstabilisation au Proche-Orient
Bachar Al-Assad l’a dit à demi-mot dans le Sunday Telegraph : en cas d’intervention extérieure, la Syrie pourrait répliquer en attaquant Israël, pays frontalier. Une menace qui tient plus de la "gesticulation diplomatique", selon Denis Bauchard, que d’un risque réel. "La Syrie sait qu’Israël est imbattable sur le plan militaire", abonde Frédéric Encel.
La chute du régime pourrait toutefois déstabiliser son voisin hébreu. Israël "préfère avoir sur sa frontière nord un diable au visage connu plutôt qu’un régime imprévisible", assurait à Jeune Afrique le politologue libanais Ziad Majed.
Le Liban, justement, est exposé au même risque. Après avoir occupé le pays du Cèdre pendant 29 ans, la Syrie maintient sa position d'acteur incontournable de la scène politique et économique libanaise. "Quelle que soit l'issue de la révolution syrienne, cela aura des conséquences sur l'équilibre politique de son voisin libanais", analyse dans Rue89 Pierre Berthelot, chercheur spécialiste de la Syrie.
• Parce qu’il peut exacerber le conflit entre la Turquie et les Kurdes
Depuis le début de l’insurrection en Syrie, la Turquie ménage le régime d'Al-Assad par crainte que Damas ne modifie radicalement sa politique kurde en représailles. Entre 1984 et 1999, la Syrie était un sanctuaire pour le Parti des travailleurs kurdes (PKK), qui lutte militairement pour l'indépendance des Kurdes de Turquie. Damas a ensuite opéré un rapprochement avec Ankara, rendant le PKK non grata sur ses terres. Mais récemment, Bachar Al-Assad a lancé une invitation aux organisations kurdes, en réaction à l’organisation d’une réunion des opposants syriens en Turquie.
Pour toutes ces raisons, un scénario à la libyenne semble pour l’instant exclu en Syrie. Même si la Russie, la Chine et la Turquie sont de plus en plus critiques à l’égard des violences commises par le régime, un accord de leur part pour une intervention militaire est très loin d’être acquis. "L’opposition syrienne elle-même n’est pas d’accord sur ce sujet", rappelle Denis Bauchard. En attendant, elle va devoir veiller à ce que l’accord sur la fin des violences soit respecté. La réponse est déjà connue : entre mercredi et jeudi, près de vingt manifestants ont été tués à Homs, dans l'est du pays.
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