: Reportage Tour de France 2023 : pour ses adieux au Tour, la famille et les fans de Thibaut Pinot ont enflammé le Petit Ballon
Il n’y en a eu que pour lui. Des chants à sa gloire, des pancartes par dizaines et surtout, plus de mille spectateurs massés dans un seul virage. Pour l’avant-dernière étape de sa carrière sur le Tour de France, Thibaut Pinot a eu droit à un adieu de géant, samedi 22 juillet. Si le séisme "Tibopino" s’est répandu sur la totalité du parcours depuis Belfort, l’épicentre s’est situé au "Virage Pinot", situé à deux kilomètres du sommet du Petit Ballon, l’avant-dernière difficulté du jour.
Pour marquer le coup, tous s’étaient réuni à l’initiative de la "Fédération Française de la Lose", média humoristique sur les malheurs des Français, qui avait souvent moqué avec tendresse Thibaut Pinot, ainsi que le "Collectif Ultras Pinot", groupuscule de fans de coureurs qui avait détourné le nom donné aux ultras du PSG. "Ça s’est décidé récemment, car on ne savait pas s’il faisait le Tour, et derrière, on ne savait pas s’il le terminerait", sourit Guy-Laurent, un des membres du CUP.
Un bus affrété exprès, la famille aux premières loges
Certains sont arrivés la veille, chauffant déjà le virage vosgien à la nuit tombée. D’autres sont arrivés par un bus parti de Paris à minuit. "On était une quarantaine dans le bus, on a un peu chanté, crié Thibaut un peu partout durant la nuit", dévoile Alexandre, sélectionné pour le voyage grâce à une affiche spéciale. "La chèvre, c’est pour les deux : c’est notre GOAT (Greatest Of All Time) a nous. Et le voir avec ses chèvres à chaque fois, ça nous donne le sourire, car il est chez lui, dans son monde à lui. C’est ce qui lui correspond le plus", continue-t-il.
Dès samedi matin, l’ambiance était déjà brûlante. Les cinq lettres de "Pinot" balafraient par centaines les routes du Petit Ballon, les pancartes imaginatives s'agitaient : "Certains croient en Dieu, d’autres en Thibaut Pinot" . Croisée à leur arrivée à midi, la famille Pinot avait le sourire aux lèvres. "Ce sont des bons moments, et on se dit qu’il faut en profiter car ce sont les derniers où ça se passe comme ça. Il sait qu’on est là, on lui a envoyé des messages pour lui dire qu’il y avait du monde à certains endroits qu’il connaît par cœur. J’espère qu’il sera dans la course. Il a envie d’être acteur", anticipait son frère et entraîneur Julien.
"C’est impressionnant. On s’en doutait, mais pas vraiment à ce point-là. Là, c’est vraiment la folie, depuis Belfort, ce n’est que ça. C’est émouvant. C’est une super belle histoire qui va se terminer", renchérit son père Régis.
Arthur Vichot ambianceur de luxe
Si Julien et Régis ne se sont pas emparés du mégaphone pour lancer les chants à la gloire de Thibaut, son ancien coéquipier, ami proche, Arthur Vichot s’en est chargé, lui qui était déjà présent la veille. "Au début, on ne savait pas comment ça allait prendre, mais là c’était incroyable, je n’ai jamais vu ça. J’avais pas spécialement prévu de venir, mais je me suis dit que ce n’était pas loin de la maison, il fallait que j’y sois. C’est génial", explique le double champion de France.
De 10 heures du matin jusqu’au passage de leur héros, ses infatigables supporters ont chanté sans discontinuer, haranguant les gendarmes présents à célébrer avec eux, reprenant les chants de supporters pour donner une ambiance de stade de football, ou huant à vive-voix tout véhicule Jumbo-Visma qui passait, après la sortie hasardeuse de Richard Plugge, le manager de la formation néerlandaise, vendredi, scandant avec ironie "une bière pour Jumbo !"
Des t-shirts, bobs, drapeaux et écharpes spécialement confectionnés pour l’occasion ont même fait de l’ombre à la caravane. "C’est impressionnant tout ce qu’il ont organisé. On vit quelque chose de jamais-vu sur le Tour. Plusieurs ont déjà fait des étapes, et ils sont unanimes : ils n’ont jamais vu une ambiance comme ça", se félicite Alexandre.
Pinot seul en tête dans le virage
Sur les coups de 16h20, la terre a finalement tremblé. Thibaut Pinot est apparu, seul, en tête de la course, comme si le symbole devait être total. Le moment fut fugace, le Français n’a pas célébré, concentré sur une possible victoire d’étape. Certains, comme Benoit Cosnefroy qui a joint les mains pour les remercier, ou Quentin Pacher, qui a touché celles de tous les supporters, s’en sont occupés pour lui. "C’était incroyable à tous points de vue : le monde, la ferveur, le partage, et Thibaut qui se fait un grand kif en passant devant nous, seul. Je pense que ça restera un des plus beaux souvenirs de sa carrière", s'enthousiasme Arthur Vichot, placé au milieu du virage.
Une journée d’attente pour dix secondes de bonheur, c’est ce qu’ont vécu les fans de Thibaut Pinot samedi. Finalement 7e de l’étape, le Français n’a pas pu tenir jusqu’au bout, malgré les encouragements des supporters rapatriés à l’auberge toute proche pour suivre la fin.
Dimanche soir, Thibaut Pinot va définitivement refermer sa grande histoire avec la Grande Boucle, et la joie a rapidement laissé place à une certaine amertume. "C’est ma plus belle journée de l’année, mais je sais que tout ça va retomber violemment, car il s’arrête, et Thibaut, c’est douze ans de ma vie", lâche Guy-Laurent du CUP. "C’est clairement la marque d’une nouvelle étape dans ma vie. Il m’a déglingué, avec tout ce qui lui est arrivé ! Je ne suis pas triste, j’ai la chamade. Je ne voudrais pas qu’il en fasse plus, je veux qu’il soit heureux", se rappelle celui qui l’a découvert au hasard dans un col en 2009, alors que Pinot n’était pas encore professionnel.
"Je n’aurai plus jamais ce truc de dingue, cette électricité que j’avais pour ce type. Ca va me faire un grand vide, il va falloir que j’aille voir un psy !"
Guy-Laurent, membre du Collectif Ultras Pinotà franceinfo: sport
Tous ceux présents samedi n’ont pas connu Pinot dès 2012. Certains l’ont découvert lors de son podium en 2014, ou lors de son Tour si contrasté en 2019. "Toutes ses galères, ça me détruisait, mais ça me rendait aussi 'love' de ce gars, et je dis 'love' car je n’ai pas d’autre définition", enchaîne Guy-Laurent. "Depuis que j’ai arrêté, je me rends compte que les gens aiment ce genre de coureur : il ne triche pas, il est simple, il donne des émotions, dans le positif et le négatif, et le public français aime ça. On peut écrire un roman sur sa carrière, il a une personnalité à part, et c’est un grand champion", ajoute Arthur Vichot, retraité depuis 2020.
Sur les coups de 18 heures, le virage Pinot a commencé à se vider, alors que le soleil amorçait sa chute sur les crêtes vosgiennes. Le bus affrété est reparti vers Paris, les vaches présentes ont repris leurs droits dans les prés piétinés, et les fans ont repris le cours de leur vie, après une journée festive, parfois alcoolisée, mais réussie. "D’un point de vue sportif, c’est vrai que c’est une figure emblématique du cyclisme français qui va s’arrêter. Il est iconique maintenant. J’ai aussi le regard d’ami, donc ça me fait aussi plaisir qu’il arrête. Comme ça, on va pouvoir faire des trucs qu’on ne pouvait pas faire avant", se félicite Arthur Vichot.
Le Collectif Ultras Pinot, lui, a vécu une journée inoubliable. Pierre, un autre membre, a perdu sa voix après s’être époumoné toute la journée à lancer les chants. Après la retraite de leur champion, que va devenir leur collectif ? "Ça va être que dalle : il n’y a pas de Gaudu, pas de Molard, pas de Laporte. Il faut quelqu’un qui nous fasse rêver, mais personne ne nous fera rêver comme Pinot. C’est fini, on a vécu sa fin avec lui", conclut Guy-Laurent.
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