Tour de France 2023 : six mois après la disparition de leur équipe, que deviennent les anciens B&B ?
Avec l’énergie "de la haine et de la colère". Sur la course en ligne amateur du championnat de France, samedi 24 juin, Alexis Gougeard, ancien coureur de l’équipe B&B Hotels-KTM, disparue en décembre dernier, s’est offert un raid solitaire de 115 kilomètres, avec l’envie de démontrer qu’il n’avait "rien à faire" à ce niveau. A 30 ans, le coureur du VC Rouen fait partie des moins bien lotis depuis l’arrêt de l’ancienne équipe bretonne, puisqu’il n’a pas retrouvé de place dans une équipe professionnelle. Parmi ses coéquipiers, peu ont réussi à rebondir au plus haut niveau, et une grande majorité sera contrainte de regarder le Tour de France à la télévision.
"Je m’occupe de mes enfants, je fais du sport, j’ai du terrain que j’entretiens et je fais quelques tâches que ma femme avait l’habitude de faire avant". Pour Jimmy Engoulvent, ancien directeur sportif de l’équipe B&B, le quotidien a bien changé. Autrefois absent du domicile familial près de 200 jours par an, avec une vie rythmée par le calendrier des stages et des courses, il s’est retrouvé au chômage, en décembre, avec la disparition de l’équipe, faute de sponsors suffisants pour la financer une saison de plus.
Ancien coureur de l’équipe, Julien Morice, 32 ans, voit lui aussi son quotidien bouleversé. Il a été contraint de prendre sa retraite sportive, alors qu’il avait signé une prolongation de contrat de deux ans en octobre et qu’il se voyait encore courir. "J’ai repris un emploi plus traditionnel, parce qu’à mon âge, j’avais bien conscience que ce serait plus difficile de trouver une place et que les effectifs étaient déjà complets. Après deux ou trois mois à tourner en rond à la maison, j’en ai eu marre, et je suis devenu commercial pour une petite marque de vélos bretonne", témoigne-t-il.
Tous les deux ont fait les frais d’une annonce tardive de la fin de l’aventure B&B Hotels. "Les coureurs et directeurs sportifs se sont retrouvés dans le dur, de par la nature de leurs postes, parce que sur le plan sportif, les équipes sont bouclées dès le mois d’octobre, et les premiers stages ont lieu dès la fin de l’année. Alors que les mécaniciens ou les soigneurs peuvent travailler à la vacation, sur une journée, ou obtenir des contrats à d’autres moments de l’année", explique Fred Adam, ancien attaché de presse de l’équipe qui avait décidé d’entamer une formation d’éducateur spécialisé avant même l’annonce de l’arrêt de la formation.
"Je me suis demandé s'il fallait que j'aille à l'usine"
Si certains coureurs, comme Julien Morice, ont préféré prendre une retraite sportive anticipée que de poursuivre leur carrière à un échelon inférieur, d’autres, à l’image d’Alexis Gougeard, tentent de rebondir en amateurs. C’est le cas de Jérémy Lecroq, 28 ans, deux tops 10 sur le Tour de France 2022, même si la décision n’a pas été facile à digérer. "J’ai passé beaucoup de temps à espérer retrouver une équipe professionnelle. Et puis, à la suite de cela, quand j’ai compris que toutes les portes se fermaient, je voulais arrêter le vélo, je ne me voyais pas retourner en amateur. Mentalement ça a été très dur, presque une dépression parce que je ne voulais plus faire de vélo. Je n’en ai pas fait pendant un mois", témoigne-t-il.
Le coureur a finalement été approché par l’équipe Philippe Wagner Cycling, qui évolue en première division nationale, avec une rémunération à la clé. "Je peux toujours en vivre, et c’est aussi cela qui m’a poussé à continuer. C’était beaucoup de stress, surtout avec la naissance à venir de ma fille. Il y a eu beaucoup de questionnements, je me demandais s’il fallait que j’aille à l’usine", raconte Jérémy Lecroq, qui doit désormais s’habituer à une autre manière de courir. "En amateurs, ce sont des équipes avec beaucoup de jeunes qui ont l’ambition de devenir professionnels et qui veulent se montrer, donc ça donne des courses beaucoup plus débridées et c’est presque du chacun pour soi", décrit-il.
Pour les plus chanceux, un mal pour un bien
Parmi les 27 coureurs que comptaient B&B Hotels-KTM, seul un tiers a retrouvé une place dans une équipe professionnelle. Axel Laurance est l’un des mieux lotis, puisqu’il évolue désormais chez Alpecin-Deceuninck. Bien qu’il soit inscrit dans l’équipe réserve de cette formation, il court en grande partie avec l’équipe première. "Forcément, la jeunesse a été un facteur important pour trouver une équipe, souligne le coureur de 22 ans. Quand tu es jeune et que tu as du potentiel, tu as encore moyen d’élever ton niveau et ça plaît aux équipes, alors que quand tu es plus âgé, on sait que tu as déjà atteint ton niveau maximum".
Contrairement à beaucoup de ses anciens coéquipiers, le jeune coureur, qui a aussi été approché par Soudal Quick-Step et AG2R-Citroën, avait senti le vent tourner. "C'est un petit monde donc tout le monde est au courant de ce qu’il se passe. Quand plusieurs équipes viennent vous voir alors qu’aucune annonce n’a été faite, c'est qu’il y a quelque chose qui ne va pas très bien", explique Axel Laurance, qui découvre aussi une autre approche du professionnalisme, dans une équipe aux moyens supérieurs. "En stage, on a un cuisinier tout le temps et tout est calculé, ce qui n’était pas le cas lors des stages avec B&B. On était une petite équipe donc on subissait la course, alors que désormais avec Alpecin, c’est à nous de la faire et d’imprimer le tempo, parce qu’on a des leaders qui peuvent gagner, comme Mathieu van der Poel et Jasper Philipsen. C’est à nous de créer des tactiques, et c’est très motivant", assure-t-il.
Dans les starting-blocks à l'approche du mercato
Comme Axel Laurance, la majorité des mécaniciens et soigneurs de l’équipe ont retrouvé du travail dans d’autres équipes, avec des postes qui permettent de travailler à la vacation, sur une journée, selon les besoins des formations, ou bien en contrat sur une saison. "J’ai eu la chance de n’être resté que dix jours dans l’incertitude, raconte Grégory Guédon, désormais mécanicien au sein de l’équipe DSM et qui a vu son contrat d'un an être prolongé pour trois ans supplémentaires. J’ai appelé le plus d’équipes possible, et il y a des équipes françaises qui ont voulu faire jouer la solidarité. La Groupama-FDJ me l’a dit, chez eux, c’était certain que dès qu’un poste de mécano se débloquerait, il serait pour un ancien B&B".
Des postes dans une équipe professionnelle, c'est ce que vont tenter de décrocher les anciens "Glaz" (leur surnom, qui signifie bleu-vert en breton) restés sur la touche, alors que la période du mercato cycliste s'ouvre dans l'été. Jimmy Engoulvent a continué à suivre le cyclisme pour retrouver un poste de directeur sportif. "J’ai vraiment envie de rebondir. Pour être opérationnel, il faut que je connaisse bien les courses et les coureurs. Pour mon poste, il n’y a qu’une trentaine de places en France, et la plupart sont en CDI, donc avec des personnes bien en place. Ça évolue peu, il faudra compter sur d’éventuelles augmentations de budget dans une équipe, ou bien un départ à la retraite", affirme-t-il.
Du côté des coureurs, Jérémy Lecroq et Alexis Gougeard espèrent avoir tapé dans l’œil d’équipes professionnelles en première partie de saison. Sur les routes du Tour de France, Luca Mozzato (Arkea) sera le seul ancien “Glaz” du peloton.
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