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Tour de France 2023 : "Team Radio", ou comment les discussions dans l’oreillette s'invitent désormais dans votre salon

Article rédigé par Théo Gicquel - De notre envoyé spécial
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
Wout van Aert (à droite) en discussion à l'oreillette lors de la 6e étape du Tour de France, le 6 juillet 2023. (AFP)
Depuis le début de l’édition 2023, des discussions entre des coureurs et leur équipe sont diffusées en différé.

"Je suis trop fière de toi, t’es un vrai guerrier ! Profite avec ce super public basque qui te fait vivre des émotions. Profite, profite, je t’aime fort !" Vous avez peut-être relevé ce message surprise de la femme de Laurent Pichon (Arkéa-Samsic) diffusé alors que le doyen français de cette édition (36 ans) était seul en tête lors de la 3e étape.

Depuis le lancement du Tour de France il y a une semaine, l’organisateur ASO innove et propose en différé des discussions entre les directeurs sportifs présents dans les voitures et leurs coureurs. "L'idée est de voir comment encore mieux raconter la course pour les téléspectateurs, d’essayer d'aller plus à l'intérieur avec la communication entre directeurs sportifs et coureurs, comme le fait la Formule 1 depuis pas mal d'années", détaille Guillaume Kleszcz, responsable de la production et des services aux diffuseurs pour ASO.

C'est une nouveauté pour ce Tour de France 2023, à l'image des sports automobiles, certains messages radio entendus par les coureurs seront retransmis sur le direct. C'est le cas pour Laurent Pichon en pleine échappée qui reçoit un message touchant de sa femme présente dans la voiture Arkea.
Etape 3 : le message radio touchant de la femme de Laurent Pichon à son mari C'est une nouveauté pour ce Tour de France 2023, à l'image des sports automobiles, certains messages radio entendus par les coureurs seront retransmis sur le direct. C'est le cas pour Laurent Pichon en pleine échappée qui reçoit un message touchant de sa femme présente dans la voiture Arkea.

Le processus, expérimenté pour la première fois lors du Tour de France Femmes 2022, avait connu quelques problèmes techniques, alors l’organisateur l’a poli pour le proposer lors de cette édition. "On découvre des choses qu'on ne pensait pas avoir. On découvre beaucoup sur les tactiques, émotions, encouragements, problèmes que les équipes peuvent rencontrer. Mardi, on a même eu beaucoup d'humour des différentes équipes", continue Guillaume Kleszcz. "C'est génial. J'aime beaucoup voir de l'intérieur comment ça se passe, car c'est très distant quand on suit à la télévision, on est très loin de tout", approuve Philippe, spectateur croisé au départ à Pau lors de la 5e étape.

Pour veiller au bon fonctionnement, quatre anciens coureurs - deux hommes et deux femmes - devenus journalistes ont été mandatés, "car il faut de la crédibilité, savoir comprendre ce qu'il se passe pour savoir ce qui est intéressant mais également ne pas faire d'erreurs". Leur rôle est d'écouter chacun quatre ou cinq équipes, classer les contenus (encouragements, stratégie, problèmes...) traduits automatiquement, pour ensuite leur donner une étoile de un à cinq en fonction de leur importance. "On a un système de référencement qui aide ensuite le modérateur à faire son choix et à le proposer au bon moment", continue-t-il.

Des anciens coureurs s'occupent de hiérarchiser les contenus de "Team Radio" qui sont ensuite diffusés à l'antenne, le 5 juillet 2023. (THEO GICQUEL / FRANCEINFO: SPORT)

Ce dernier, qui fait office de réalisateur audio, fait ensuite l'interface avec les diffuseurs, comme France Télévisions, dont le propre réalisateur décide en dernier lieu de passer ou non l'extrait à l’antenne. Comme en Formule 1, les discussions ne sont pas diffusées en direct afin de ne pas donner d’indications importantes aux autres équipes. "Notre but est de montrer aux équipes qu'elles peuvent nous faire confiance. On n'est pas là pour les trahir, mais pour raconter l'histoire de la course sans tuer le suspense", affirme Guillaume Kleszcz.

"Ok les gars, on doit être autour d’Adrien (Petit) et Biniam (Girmay). Donc Lilian (Calmejane) reste avec Louis (Meintjes), et les autres restent autour de Bini, c’est important de le protéger dans la machine à laver !"

Les consignes à l'oreillette de l'équipe Intermarché-Circus-Wanty

lors de la 3e étape

Pour éviter malgré tout d'influencer les autres équipes, les directeurs sportifs vont-ils alors adapter leur discours, se sachant sur écoute ? "Non, je ne pense pas, on oublie vite qu’on a quelque chose en voiture, mais il vaut mieux faire attention car on peut raconter des bêtises comme tout le monde ! Je pense que ça permet de bien comprendre les stratégies, les encouragements et le soutien que les directeurs sportifs donnent aux coureurs", affirme Vincent Lavenu, le manager d’AG2R-Citroën, suivi par son coureur Benoît Cosnefroy : "On sait que c'est en différé, que des anciens coureurs filtrent ce qui va être retransmis ou non, donc on n'a aucune inquiétude de ce qui va être diffusé".

Patrick Lefevere, le manager de Soudal Quick-Step confirme avec une pointe de malice : "C'est comme quand vous avez une caméra dans la voiture. Vous faites très attention la première ou la deuxième heure, puis le deuxième jour vous l'oubliez déjà, c'est comme avec Big Brother ! On a une langue secrète que nous seuls comprenons", explique dans un sourire le patron de Julian Alaphilippe.

Un exemple de Team Radio diffusé à l'antenne lors de la 6e étape, le 6 juillet 2023. (FRANCE 2)

Rik Verbrugghe, directeur sportif chez Israel-Premier Tech, y voit lui une source d'information à ne pas négliger : "Je vais écouter car ça peut avoir son influence sur la course : par exemple, lorsqu'une équipe qui a le maillot jaune décide de laisser partir l'échappée pour qu'une autre équipe le prenne. Quand c'est diffusé, ça peut changer toute la physionomie de course", souligne celui qui a fini sa carrière chez Cofidis en 2008.

Cinq équipes encore réticentes

Si l’initiative a trouvé un accueil globalement favorable auprès du public et des équipes, toutes n’ont pas souhaité jouer le jeu. Elles sont cinq à avoir, pour l’instant, refusé de participer à l’expérience : Groupama-FDJ, Cofidis, Jayco-AlUla, Movistar et Alpecin-Deceuninck. "Je crois qu’on est dans une époque où le voyeurisme et le narcissisme sont à leur comble. Les gens aiment voir ce qui se passe dans la vie de leurs voisins. Chacun en pense ce qu’il veut. Pour vivre heureux, vivons cachés", nous expliquait Philippe Mauduit, directeur sportif chez Groupama-FDJ, lors du Critérium du Dauphiné début juin.

Un constat que ne partage pas Jens Haugland, le manager d'Uno-X. "Je ne comprends pas que des équipes refusent. Aujourd'hui, nous vivons dans une société du divertissement et nous sommes à la lutte avec le F1 et d'autres grands sports. C'est important que les organisateurs et les équipes aient un vrai dialogue. Je pense que nous devrions tous y participer. Je ne vois pas un grand risque, pour être honnête", soutient le patron de la seule formation novice sur cette édition.

"Pour moi il n’y a pas de problème. Après, on ne joue pas à la Playstation dans une voiture. Je n’ai jamais dit à mon coureur : 'Attaque dans 3,2,1 km.. Vas-y !' Les acteurs n°1, ce sont les coureurs. On donne des consignes, on est là pour les aider et les soutenir, mais 80% de la réussite vient d’eux."

Julien Jurdie, directeur sportif d'AG2R-Citroën à propos de Team Radio

lors du Critérium du Dauphiné

Pour Cofidis, le refus est plus modéré, et a trait davantage à une question de timing ou de philosophie du cyclisme. "Ça s'est fait vraiment à la dernière minute. Pour nous, c'est compliqué d'un point de vue juridique. On a des coureurs pour lesquels on a l'utilisation des droits, pour les membres du staff c'est plus compliqué. On voulait vraiment se concentrer sur la course, et je pense qu'on a bien fait", dévoile le manager Cédric Vasseur, qui n’est pas contre intégrer le système, mais sous conditions. "On va sûrement le faire dans le futur. Maintenant, ça doit se faire l'hiver autour d'une table en expliquant les tenants et aboutissants, et puis surtout en ayant un contrat gagnant-gagnant, car ce n'était pas forcément le cas", précise celui dont la formation a mis fin à 15 ans de disette sur le Tour.

Des oreillettes parties pour rester

Une porte qu’ASO compte bien laisser ouverte pour les derniers récalcitrants, qui pourraient être convaincus après un an d’expérimentation. "On comprend très bien. Il n'y a pas de problème ou d'obligation. Les équipes sont les bienvenues l'année prochaine. On espère un jour avoir tout le monde", se projette Guillaume Kleszcz.

Si le dispositif "Team Radio" trouve son succès et que l’expérience est renouvelée, il ancrera alors encore un peu plus l’oreillette - parfois critiquée par les coureurs pour accentuer le stress et les chutes - dans les conditions sine qua non du Tour de France. Ce qui n'est pas bon signe pour Benoît Cosnefroy : "Je pense qu'il y a une partie des suiveurs qui sont contents mais il y a une autre partie qui veut retirer l'oreillette. On voit que ça fait des courses bien plus dynamiques et intéressantes à suivre à la télévision. Le fait que ce soit maintenant diffusé sur les antennes, ça nous lie clairement à l'oreillette et je pense qu'elle ne sera jamais retirée, à mon regret".

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